Quand les aigris refusent de maigrir

Dans les temps anciens, ceux qui avaient la pêche se moquaient de ceux qui étaient dans la dèche, ceux dont la vie était rose éructaient sur ceux pour qui elle était morose, ceux qui opprimaient prétendaient défendre ceux-là même qu’ils brimaient.

Dans les temps anciens, ceux qui osaient signaler les dérives arbitraires, se rebiffer contre le banditisme légal des trafiquants de toute sorte et s’insurger contre le gaspillage normalisé et l’appropriation des biens publics par la famille et les amis du régime, n’aimaient pas leur pays.

Dans les temps anciens, un mariage somptueux défraya la chronique, de belles fêtes se célébrèrent avec rythmique, des touristes nombreux visitèrent un pays magnifique alors que son peuple en haillons était invité, triste spectateur, à battre la musique.

Puis, il y eut comme un arrêt soudain. Le vent avait tourné. La rue avait parlé.

C’était, il y a trente ans, en 1986. Fort du soutien de l’Oncle – pour sa lutte contre les ennemis du sacro-saint capitalisme – le dernier Président à vie d’Haïti vivait, sans souci aucun, sa vie de jet-setter, confiant qu’il était dans le bien-fondé de la victoire que représentait pour cette nation la révolution de son médecin de père.

En 1971, les États-Unis d’Amérique avaient salué, de la grande façon, l’arrivée de Jean-Claude Duvalier au pouvoir. En guise d’encouragement pour les grandes percées démocratiques d’un régime autoritaire dont le président détenait un pouvoir quasi-absolu accordé par une constitution (re)faite sur mesure, ils installèrent, fidèles à leurs grands idéaux, le programme USAid en Haïti.

Malheureusement, le peuple ne l’entendait pas ainsi. Peu convaincu par la démocratie duvaliérienne, il manifesta son mécontentement et, vers la fin des années 1970, le fils avait re-découvert le bien-fondé des méthodes de son père. Il s’en prit à la loi de la bouche mais surtout à la loi du corps de ces ingrats.

La grogne monta. Les manifestations se multiplièrent. L’opposition prit de l’assurance. Mais le bébé ne s’inquiètera pas outre mesure. Il a, il le sait, le soutien de l’Oncle. Il s’en sortira. En janvier 1986, il se fait pourtant lâcher par Reagan qui ira même jusqu’à lui refuser l’asile. Comme beaucoup d’Haitiens avant lui – et beaucoup d’Haitiens après lui – il venait de perdre son Blanc.

Le Blan est une curieuse créature. C’est un Léviathan spontané qui n’est issu d’aucun contrat social. Il n’a donc aucun compte à rendre et favorise qui il veut, quand il veut. Ce qui veut dire qu’il peut aussi les lâcher quand il veut, comme il veut. Mais ses protégés, bien au chaud au creux de ses mains, oublient vite que ces mêmes mains, immanquablement, les broieront sans remords.

C’est le propre des monstres que d’écraser ceux dont ils n’ont plus l’usage. Pourtant, cela étonne toujours. L’on se dit que ce n’est pas vraiment vrai. Que c’est pour la galerie. Que notre monstre ne nous ferait jamais cela. Qu’il nous aime. La preuve, il nous a soutenu, longtemps, alors que personne ne croyait en nous.

Convaincu de la justesse de notre analyse, nous crions aux aigris, ceux qui rêvent d’être à notre place, ceux que la jalousie doit faire maigrir, que NOUS NE PARTIRONS PAS.

Puis, arrive le moment où il faut faire face. Arrive le moment où les aigris refusent de maigrir et de laisser les méritants en paix. Arrive le moment où les mauvaises expériences ayant conduit à l’aigreur alimentent plus que l’amertume et l’irritation. Arrive le moment, et ce moment arrive toujours, où le vase déborde.

Alors, l’on part, tout penaud, la queue entre les jambes.

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