La richesse est une vertu

Au retour de son premier voyage à l’extérieur après la proclamation de sa victoire aux présidentielles, le Président élu, Jovenel Moïse, a rencontré une presse visiblement peu intéressée à sa visite chez nos voisins – qu’il nous faut, je le répète, arrêter de détester par habitude – et déterminée à obtenir une déclaration sur le fameux rapport de l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) accusant le futur chef de l’État de blanchiment d’argent, entre autres. Dans sa réponse à ces questions, le Président élu a de nouveau rejeté les accusations d’un revers de main, qualifiant le rapport de manœuvres politiques méchantes d « institutions faibles » qui, sous sa présidence, seront « obligé[es] de devenir forte[s] » et « [a]rrête[r] de dire ce qui n’est pas vrai sur un citoyen car chacun à un droit au travail et le droit de devenir riche ».  La loi de chaque bouche s’arrêtant à la diffamation, M. Moïse a annoncé avoir « pris un avocat afin de réparer [s]a réputation » ternie dans cette affaire d’autant que, nous explique-t-il, « la richesse est une vertu ».

D’entrée de jeu, je commence par noter que je n’ai pas d’opinion particulière sur le nouveau président élu; à tout le moins aucune qui dépasse mes opinions habituelles sur le marketing politiquele populisme démagogique et la légitimité d’élections boudées par 80% de l’électorat. S’il sert de prétexte à ce billet c’est que cette confusion qu’il semble encourager entre richesse et vertu est trop dans l’air du temps, de Donald Trump se vantant de ne pas payer ses impôts parce qu’il est intelligent et riche à son cabinet de milliardaires ne rougissant pas d’être devenu riches en détroussant littéralement la veuve et l’orphelin, de ces théologiens de la postérité encourageant leurs fidèles à investir leur argent dans l’Église pour que Dieu les rende riches au business de la foi à mille gourdes l’entrée, pour se payer le luxe de l’ignorer.

Le débat n’est pas nouveau. Les rapports entre la richesse et la vertu préoccupaient déjà les philosophes de l’Antiquité grecque qui voyaient dans la première, au mieux “une chose utile, un moyen en vue d’une autre chose” (Aristote, Éthique à Nicomaque) et au pire quelque chose qu’un « [h]omme de bien … Athénien, et citoyen de la plus grande cité du monde et pour la sagesse et pour la valeur » devrait avoir « honte de ne penser qu’à amasser » (Socrate tel que rapporté par Platon dans son Apologie de Socrate). C’est toutefois au XVIIIème siècle – alors que, révolution bourgeoise de 1789 oblige, les sociétés commerciales se développent – que la querelle sur la moralité de la richesse se fait vive, avec un intérêt particulier pour le luxe et son impact sur la société. C’est aussi l’époque où l’économie politique, avec notamment les physiocrates, s’essaie à l’objectivité scientifique et celle de l’apparition de la célèbre Fable des abeilles (1714) de Bernard de Mandeville, médecin philosophe, spécialiste des passions – lire maladies nerveuses – et auteur d’un Traité sur les passions hypocondriaques et, naturellement, hystériques

Dans cette fable fondatrice, de Mandeville – rapidement rebaptisé Man-Devil par nombre de ses contemporains – offre la version originale de la philosophie de Wall-Street:  « les vices privés font le bien public ». Greed is Good. Provocatrice, l’oeuvre dénonce la modestie, la décence, l’honnêteté ou encore le sens de la hiérarchie comme des fausses vertus; soutient que la convoitise, l’orgueil et la vanité sont à la base de la prospérité anglaise au Siècle des Lumières et démontre l’utilité de la prodigalité et de l’amour du luxe en termes d’emplois garantis pour les pauvres. Pour aller vite, à la fin de sa fable, l’auteur nous la fait version courte et nous présente la « Morale » de sa fable:

Quittez donc vos plaintes, mortels insensés ! En vain vous cherchez à associer la grandeur d’une Nation avec la probité. Il n’y a que des fous qui puissent se flatter de jouir des agréments et des convenances de la terre, d’être renommés dans la guerre, de vivre bien à son aise et d’être en même temps vertueux. Abandonnez ces vaines chimères. Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les doux fruits. …

… Le vice est aussi nécessaire dans un Etat florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu seule rende jamais une Nation célèbre et glorieuse. …

Mettons de côté le fait que « la fraude, le luxe et la vanité » n’ont guère réussi à rendre Haïti très riche. Même si nous convenons avec André Maurois (Études américaines, 1945) – et la vague ploutocrate en Russie ou aux États-Unis milite en ce sens – que « [l]a corruption des riches par la richesse n’est pas plus évitable que la corruption des pauvres par la pauvreté », il ne semble pas moins évident que, lois économiques inévitables obligent, qu’il nous faille bientôt admettre que, à moins d’un miracle, nous soyons condamnés à vivre dans et par la corruption.

Accusé de corrompre la jeunesse, Socrate – toujours repris par Platon – leur disait pourtant:

Toute mon occupation, c’est de travailler à vous persuader, jeunes et vieux, qu’il ne faut pas tant s’inquiéter de son corps, des richesses et de toutes les autres choses, que de son Âme ; car je ne cesse de vous dire que la vertu ne vient point des richesses ; mais, au contraire, que les richesses viennent de la vertu, et que c’est de là que naissent tous les autres biens publics et particuliers.

Plus magnanime, Constance de Salm, poétesse, féministe, femme de lettres et princesse ayant la loi de sa bouche,  reconnaissait volontiers à la richesse une possible vertu. Dans ses Pensées diverses (1835), elle écrit que:

Le seul véritable avantage de la fortune, et surtout des titres, c’est qu’ils en imposent assez au vulgaire pour qu’il prenne la peine de cacher à ceux qu’il croit au-dessus de lui une foule de défauts, de fâcheuses vérités, dont la connaissance trop positive détruit une partie des illusions de la vie.

Nos suceurs se croyant définitivement au-dessus de nous ne se donnent guère la peine de se cacher. Ils ne voient pas l’intérêt de maintenir une quelconque illusion sur leurs personnes. Ils préfèrent nous taxer d’aigris, de perdants, de losers, comme un certain nouveau président américain dont l’inauguration a lieu dans quelques heures …

Notre futur Président semble, lui, tenir à sa réputation. C’est, possiblement, de bonne augure.

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