Pendant que vous discutiez podophilie 

Nos Sénateurs viennent de voter la proposition de loi d’un de leurs collègues scribendi. Intitulée « PROPOSITION DE LOI SUR LA RÉPUTATION ET LE CERTIFICAT DE BONNES VIE ET MŒURS » c’est un monument à la stupéfiante productivité de nos pères conscrits qui, de délateurs attitrés sur Ranmase votant une loi contre la diffamation, passent à collègues solidaires d’un trafiquant de drogue votant une loi sur la réputation et les bonnes vies et mœurs. C’est de bonne guerre. Qui de mieux que des menteurs et des corrompus pour élaborer des lois contre la diffamation et les mœurs suspectes ? Pervers eux-mêmes, ils doivent posséder une perspective particulièrement pertinente sur la question. Aussi, l’article 4 de la (future ?) loi Sénatus m’a-t-il eu par surprise :

Article 4.- La notion de mœurs concerne tout acte public en rapport à la pornographie infantile ou juvénile, l’inceste, la polygamie, la pédophilie, la prostitution infantile ou juvénile, le proxénétisme et l’homosexualité avérée.

La formule de lancement est certes curieuse et son interprétation s’avérera certainement ardue pour les juges mais c’est la dernière énumération de cette intéressante liste qui surtout m’interpelle. Je fais l’impasse sur la polygamie – qui n’est pas juste une question de mœurs mais qui est tout bonnement illégale chez nous – pour m’intéresser à cette homosexualité particulière qu’est l’homosexualité avérée.

La première question qui vient à l’esprit est naturellement celle des conditions d’attestation de cette vérité. Un baiser entre deux personnes de même sexe suffit-il ou la pénétration est-elle ici obligatoire? Ou alors,  l’article 2 rappelant que « la notion de bonne vie porte sur la vie publique de l’individu », faut-il comprendre que seul un acte public serait susceptible de faire perdre sa réputation de bonnes mœurs. Devons-nous donc nous attendre à des délits flagrants d’homosexualité publique ? Devrons-nous voir nos Verlaines, après le toucher anal médical, condamnés à quelques mois de prison pour avoir aimé leurs Rimbauds?

Voilà des questions que j’ai hâte de voir nos députés éclaircir lorsqu’ils devront à leur tour se prononcer sur cette loi. Surtout quand on voit que les « critères d’éligibilité pour l’obtention d’un certificat de bonnes et vies et mœurs » (articles 9 et suivants) font mention d’un casier judiciaire où je suppose devra être inscrite cette homosexualité avérée pour que le coupable se voit refuser la délivrance de l’important certificat en vertu de l’article 14-c. Il pourra ensuite travailler pendant un an (article 15) à changer son comportement d’homosexualité avérée à douteuse (?) pour recouvrer sa bonne réputation.

En attendant, nos ouvriers pourront continuer de manifester seuls contre les salaires de misère dont les gratifient, dans leur grande munificence, leurs patrons qui sont souvent les patrons de nos représentants au Parlement. Ces pauvres patrons qui, en juin 1995 déjà, lorsque le Président Aristide venait de doubler le salaire horaire minimal, le faisant passer de 18 à 36 gourdes, se plaignaient de devoir rater des week-ends à la plage avec leurs femmes parce que des paresseux décidaient de faire la grève. Aux journalistes et chercheurs étrangers venus s’informer de la question, ils lamentaient alors, en toute candeur, le départ du bébé dictateur Jean-Claude Duvalier et la fin de sa révolution économique qui comprenait que pour garantir l’emploi au petit peuple il fallait lui faire passer, manu militari, les envies qui lui prenait de réclamer un juste salaire.

Les 36 gourdes déjà étaient un piètre compromis – Aristide en voulait 45 – mais l’oncle SAM – par l’organe de la USAID – doutait de la capacité du marché haïtien à accueillir un si grand changement. Les créateurs d’emplois ont fini par accepter, quoique à leurs corps défendant. Pour la peine, à son retour au pouvoir en 2003, Aristide redoublera à nouveau le salaire minimum qui passer de 36 à 70 gourdes. Moins d’un an plus tard, un certain sénateur élu récemment condamné à Miami pour blanchiment d’argent trafic de drogues réussissait, avec l’aide des créateurs d’emplois et le support de la France et des États-Unis d’Amérique, à se débarrasser du père encombrant … jusqu’à ce qu’un sénateur accusé d’homosexualité triple le salaire minimum en le faisant passer à 200 gourdes en 2009. Aujourd’hui, la même pantomime se répète dans une lassante régularité avec, chez les ouvriers, les mêmes revendications pour plus de justice et d’équité et chez les patrons, les mêmes menaces de partir créer de l’emploi ailleurs.

Il y a là des recoupements intéressants à étudier, d’autant que les mêmes noms – y compris chez les créateurs d’emplois – se répètent, d’un épisode à l’autre; mais, s’offre à nous le spectacle autrement plus jouissif d’un deuxième secrétaire de la Haute Chambre dont l’illettrisme avéré nous régale de grands éclats de rire, entre émail épistolaire et fanstames podiques.

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