Les parlementaires sont aussi des élus

Ces derniers temps, je me trouve dans l’improbable position de devoir défendre le droit des parlementaires … à parlementer. Cela devrait tomber sous le sens mais il semble de plus en plus inconcevable pour la plupart des gens que des parlementaires retardent ou bloquent les décisions d’un Président, quelles qu’elles soient. Réflexe présidentiel oblige, on peine visiblement à comprendre l’outrecuidance de ces empêcheurs-de-tourner-en-rond de laisser « [s]on pays marcher » en approuvant, au plus vite, la politique générale du Premier ministre nommé. Le Président, nous apprend-on, ayant été « élu par le peuple », il faut, et rapidement, lui donner les moyens de mettre en oeuvre son programme politique. Pourtant, le Parlement aussi a été « élu par le peuple » – et avec plus de trois fois le nombre de voix obtenues par le Président – il a donc aussi son mot à dire. Du reste, dans notre système chimérique, mi-présidentiel, mi-parlementaire, celui-ci est possiblement le véritable lieu de pouvoir, voulu par la Constitution.

La Constitution de 1987 a d’abord été conçue en réaction à. En réaction à un régime dictatorial. En réaction à un régime (hyper)présidentiel (à vie). En réaction à la pensée macoutiste. Aussi, s’est-elle donnée pour tâche de prévenir le retour des trois. Premièrement, en établissant une démocratie –  l’annonce se fait au Préambule, se précise à l’article 1 et se pérennise à l’article 284.4. Deuxièmement, en renforçant le Pouvoir Législatif (articles 93; 97; 98.3; TitreV, Chapitre II, Section D …) et en posant des restrictions sérieuses au mandat et aux pouvoirs du Président de la République qui  « ne peut bénéficier de prolongation de mandat […] ne peut assumer un nouveau mandat, qu’après un intervalle de cinq (5) ans […] ne peut briguer un troisième mandat (article 134.3) et « n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution » (article 150). Troisièmement, en excluant du pouvoir, et pendant dix ans, les serviteurs zélés de la dictature  (article 290).

Plutôt kelsénienne, la Constitution semble voir dans le Parlement le lieu de la démocratie et lui consacre un cinquième de son texte. Il place celui-ci au cœur des rapports entre les trois pouvoirs, entre contrôle de l’action gouvernementale et élaboration des lois de la République (article 128). Aussi, la grande question démocratique ne peut-elle et ne doit-elle être examinée que par rapport aux pratiques actuelles de nos institutions représentatives puisqu’elles déterminent et rationnent les éléments de la démocratie haïtienne.

Le problème est que trop peu de citoyens connaissent les institutions démocratiques, ce qui est un obstacle de taille à leur participation réelle au processus politique alimentant l’indifférence, la méfiance, voire la défiance à l’endroit du Parlement. Récemment, à un dîner entre amis, ce déficit s’est manifesté de la plus criante façon. Les convives – une quinzaine de personnes environ – presque à l’unanimité, n’en revenaient pas que les parlementaires puissent avoir leur mot à dire dans le choix du Premier Ministre. Qu’attendent-ils pour ratifier sa politique générale? Combien d’argent va-t-on devoir leur payer, ces repris de justice, dealers de drogue et autres malfaiteurs notoires, pour qu’ils rentrent dans les rangs? De quel droit osent-ils faire attendre un Président de la République (accessoirement inculpé dans une affaire de blanchiment d’argent)? Après une bonne dizaine de minutes d’échanges convaincus, je me résolus à intervenir pour leur rappeler le fonctionnement normal de notre démocratie. Ah, mais on ne savait pas, pourquoi on ne nous le dit pas? Je reconnus volontiers que le Parlement avait un sérieux déficit de communication et qu’il était plus facile à blâmer parce que les décisions y sont plus difficiles, assemblée nombreuse oblige mais, précisai-je, le problème majeur pourrait être celui de l’ignorance des citoyens des règles du jeu de notre démocratie principalement parce que nous ne nous donnons pas la peine de savoir.

Nous sommes prompts à blâmer nos politiciens mais il nous faut prendre conscience du danger que comporte notre indifférence aux affaires du pays. Lorsque nous abandonnons l’espace public et/ou laissons à d’autre le soin de nous dire que penser, nous permettons à nos élus de s’entendre pour continuer à profiter outrageusement du pays et de s’en tirer à bon compte. De 1950 à nos jours, les présidents haïtiens ont été objectivement plus voraces que les parlementaires – vraisemblablement plus par facilité d’accès que par éthique citoyenne mais le fait demeure – nous nous entêtons toutefois à leur accorder un bénéfice du doute, à appeler à les laisser agir sans entraves parce que [leur] réussite est la réussite de tous ».

Depuis presque 70 ans, la réussite de nos présidents « élus au suffrage direct » s’est pourtant, en majorité, conjuguée en termes d’accumulation de richesses pour eux et leurs cours et de paupérisation accrue du reste de la population. Aussi, cette bonne foi que nous leur prêtons me parait-elle excessive. Quitte à nous méfier, méfions nous des deux, de l’Exécutif comme du Législatif, et encourageons même la méfiance entre les deux – même si et surtout quand ils sont du même courant politique. Ainsi, le rat parlementaire et le chat présidentiel étant également au courant, le baril de maïs national restera peut-être bien en place.

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