Dans le fameux article du New York Times sur l’implication présumée de la famille de l’ancien Président Michel Martelly dans la magnicide de son dauphin, nous retrouvons sa femme, Sophia Saint Rémy Martelly, clarifiant pour une dilettante qu’elle s’appliquait à réprimander: « Jovenel Moïse est un propriété. »
Selon Esther Antoine, anciennement de la Commission Présidentielle pour le Suivi, l’Efficience et l’Efficacité des Politiques Publiques (Delivery Unit), madame Martelly était furieuse de ne pas être tenue au courant de tous les déplacements du candidat Jovenel Moïse. Alors que son président de mari avait accepté de se mettre un peu en retrait pour laisser au Nègre Banane la chance de se faire connaitre, madame Martelly ne l’entendait pas de cette oreille. Il importait de le comprendre: « Jovenel est une propriété ». Une propriété que l’on doit pouvoir retracer à tout moment.
Dans un pays qui a fait 1804 et où la question de couleur – les américanisés parlent de colorisme – demeure prégnante, une telle affirmation évoque des images mal venues de personnes noires asservies. Jovenel Moïse est un homme bien noir, choisi – nous assure le chanteur et ex-Sénateur Jacques Sauveur Jean – pour sa ressemblance avec le paysan haïtien anciennement asservi. Les Martelly sont des grimauds – Noirs de teint clair – se projetant mulâtres – métis générationnels. L’affirmation provoque un certain inconfort.
« Jovenel Moïse est une propriété » ne veut pas dire toutefois qu’il est celle des Martelly ou même des Saint-Rémy. Seulement qu’il appartenait à quelqu’un. Quelqu’un qui tenait à tout connaître de ses faits et gestes. Quelqu’un qui devait continuer à le suivre durant sa présidence et qui doit en savoir plus sur sa mort. Qui y a donné son accord ? Qui l’a commandité ?
Dans l’article du New York Times, comme dans les ragots de la République, Michel Martelly semble être un jouet aux mains de sa femme et de la famille de celle-ci. Cela s’entend. La journaliste semble avoir surtout rencontré des informateurs venant du camp Lamothe – Esther Antoine, certes, mais il faut sans doute compter le compagnon de celle-ci parmi les conseillers anonymes cités.
À l’époque où il était Premier Ministre, le camp de Laurent Lamothe pointait déjà du droit Sophia Martelly comme l’artisane du schisme entre les deux amis. Sophia Martelly qui faisait espionner le Palais par Anne-Valérie Timothée Milfort. Sophia Martelly qui faisait espionner Global Voices – l’entreprise de Monsieur Lamothe – à qui elle louait une maison. Sophia Martelly qui, avec le concours de son frère, Kiko, remettait les ministres à leur place et travaillait à faire tomber le Premier Ministre.
La chose n’est pas nouvelle. Depuis 1804, les hommes qui ont fait la révolution ont décidé de s’emparer du pouvoir au détriment de celles qui l’ont fait avec eux. Parallèlement, se construisit une rhétorique d’arrivistes, d’intrigantes, de grands jupons contrôlant dans l’ombre de pauvres hommes politiques livrés aux descendantes de Jouthe Lachenais – archétype de la séductrice haïtienne qui se serait offerte 35 ans de pouvoir en prenant au piège Alexandre Pétion puis Jean-Pierre Boyer. Sophia Martelly en femme fatale de l’ère PHTK, sorte de Lady Macbeth des Caraïbes, n’est pas difficile à vendre. Dans un pays où pour mieux empêcher les femmes d’accéder au pouvoir, on s’empresse de leur supposer un pouvoir de l’ombre, le récit trouvera – et de fait a trouvé – facilement un écho.
Ce caveat posé, l’on ne peut ignorer l’influence des Saint-Rémy dans l’ère PHTK. Il y a la femme, Sophia, ancienne manager du chanteur Sweet Micky un temps reconvertie en gestionnaire de programmes sociaux financés par les fonds Petrocaribe après avoir travaillé sur les problèmes de laide humanitaire en compagnie d’un certain Josué Leconte, futur collègue de son beau-frère, Gesner. Il y a le beau-frère – Gesner Champagne – qui menace des directeurs généraux, dont la compagnie – Preble-Rish Haiti – dépêche des mercenaires américains à la Banque centrale et chez qui, le frère, Kiko, gifle des ministres. Il y a le frère, Charles « Kiko » Saint-Rémy, giflant des ministres par ci, menaçant qui veut lui enlever le monopole du commerce d’anguilles, par là ou appelant à et obtenant la démission du Premier ministre Lamothe.
Contrairement à l’histoire officielle de leur rencontre, c’est par Kiko que Michel aurait fait la rencontre de Jovenel. La mémoire collective se souvient d’un homme maigre en chemise verte poussé au-devant de la scène par un Michel Martelly goguenard présentant sa belle découverte – un fauxpreneur aux réussites douteuses – qu’il nous a vendu comme le paysan qui allait sauver la banane haïtienne et en qui il allait investir, par l’entremise du Fonds pour le développement industriel, 6 millions de dollars de l’argent du contribuable. En réalité, Jovenel Moïse et son cousin Jacques Jean Kinan, avaient travaillé avec M. Saint-Rémy dans l’industrie de l’anguille – une industrie, nous apprend le New York Times, récemment identifiée comme étant un canal de blanchiment de fonds.
L’ancien sénateur du Nord-Est, Jean Baptiste Bien-Aimé, évoque une relation fusionnelle – pwason kraze nan bouyon – entre Kiko Saint-Rémy, Jovenel Moïse et Evinx Daniel – un proche de Michel Martelly, arrêté en 2014 pour trafic de drogue et dont l’entreprise fut longtemps soupçonnée de blanchiment d’argent. Jovenel Moïse étant arrivé au pouvoir avec une inculpation pour blanchiment d’argent, l’on serait en droit de penser que le bouillon où flottait tous ces poissons, avec ou sans anguille, en était un de narcotrafic et que le propriétaire dudit bouillon devait aussi être celui de Jovenel Moïse.
C’est ici que tout devient compliqué. Le réflexe premier est de s’intéresser à la fameuse Baz Galil – le gang de ce pauvre Brandt, fait kidnappeur à l’insu de son plein gré – et dont Monsieur Saint-Rémy serait le numéro deux. L’on pourrait faire pire. Après tout, Woody Ethéart- alias Sonson Lafamilia – grand ami des Martelly et cerveau présumé de Baz Galil – avait été arrêté puis transféré par la police dominicaine au mois de mai 2021 et Jovenel Moïse ne semblait pas pressé de le faire libérer comme ce fut le cas, en 2015, sous la présidence de Martelly. Le fils ainé du président Moïse – Joverlein Moïse qui s’est lancé dans une croisade pour que justice soit rendue à son père – y va de son interprétation:
Il est possible que Martelly ait perçu son arrestation comme un manque de respect, que mon père était un traître et trahissait la famille Martelly.
Joverlein Moïse, cité par le New York Times
Mais peut-être faut-il étendre la trahison ressentie et la Famille en question. La Familia de Galil, certes, mais aussi La Familia internationale qui les fournit en drogues à faire passer aux États-Unis et, possiblement, accessoirement, en mercenaires chargés d’éliminer une propriété fait président qui s’apprêtait à tout raconter au Blan.
Pas de veine, le Blan, Léviathan spontané, donnera sa bénédiction à un remplaçant soupçonné de connivences poussées avec les assassins.
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