Anguilles sous roche à Savane Diane

Dans un reportage-fleuve du New York Times sur le rôle que le trafic de drogues a pu jouer dans le magnicide du 7 juillet 2021, nous retrouvons Savane Diane, sa zone franche, ses pistes d’atterrissage d’héroïne et de cocaïne. Le journal new-yorkais en dresse un portrait très virvant:

Dans cette région où la malnutrition est endémique, les habitants refusent de s’approcher d’un petit lac situé dans les environs, alors qu’il regorge de poissons. Interrogés par le New York Times à sujet, les fermiers expliquent que des restes humains y sont souvent déposés.

« Le président haïtien dressait une liste de narco-trafiquants. Ses tueurs l’ont saisie ». The New York Times. 12 décembre 2021

Le 8 février 2021, un jour après la répétition générale de son magnicide, le Président Jovenel Moïse publiait l’arrêté présidentiel créant la « zone franche agroindustrielle de Savane Diane« . L’arrêté a été immédiatement dénoncé. Sept organisations de défense des droits – Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen (TK), Solidarité des Femmes Haïtiennes (SOFA), Kolektif Jistis Min (KJM), Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH), Institut Culturel Karl Levêque (ICKL), Mouvement Démocratique et Populaire (MODEP) et la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) – ont fait sortir une note conjointe pour s’opposer à la décision illégale d’un « président de facto … malgré la fin de son mandat constitutionnel » au profit d’un « bourgeois apatride » et d’une multinationale : la Coca-Cola. Ces organisations ont vu dans cette nouvelle zone franche une preuve de plus du caractère anti-paysan et antinational d’un régime acquis à la cause des capitalistes mondiaux au détriment des intérêts de la majorité et tenaient à faire savoir que

Savane Diane appartient aux productrices et producteurs paysans : Elle n’est ni à vendre, ni à concéder à des tiers.

Note de Presse: Savane Diane. 4 mars 2021

Les visas de l’arrêté précisent sa genèse. Il existe

Vu la requête en date du 11 novembre 2019 présentée par Madame Nina Apaid, identifiée au numéro d’immatriculation fiscale: 003-209-594-0 et au numéro d’identification nationale: Ol-01-99-1950-02-00016, propriétaire, demeurant et domiciliée au numéro 11, Rue Saint Hubert, Turgeau, Port-au-Prince, Haïti, Présidente de la Société Stevia Agro Industrie S.A. (STEVIA S.A.) sollicitant le Statut de zone franche au profit d’un projet d’investissement agricole devant être implanté à Savane Diane, territoire relevant concomitamment des Communes de Saint-Michel de l’Attalaye (Artibonite), Maïssade (Centre), Pignon et Saint-Raphaël (Nord) ;

Arrêté du 8 février 2021.

La famille Dejoie a précisé à qui appartiennent ces terres devant accueillir ce projet ambitieux de 250 millions de dollars devant « générer plus de 20,000 emplois directs, sans tenir compte des emplois indirects »:

En tant que représentant légal, « mandataire » de la famille Déjoie, je rédige cette note pour clarifier certains malentendus dans de récentes publications sur les médias sociaux et certaines émissions radiodiffusées concernant le projet en cours à Savane Diane sur la propriété de ma famille.

«La zone franche est créée sur la propriété privée de ma famille et non sur une propriété appartenant à l’État haïtien», Louis Déjoie III, cité par Le Nouvelliste, 25 février 2021.

La famille Apaid a voulu rassurer sur les retombées du projet:

 Sur les 32,000 hectares de terre de la Savane Diane, la famille Apaid, à travers la Stevia Agro Industrie, nourrit de grandes ambitions. Cette superficie s’étendant sur trois départements, est consacré à l’agro-industrie. Le manioc, la canne-à-sucre, l’avocat et la Stevia, seront les principales cultures de l’entreprise.

André Apaid cité par Ici Haiti. 10 mai 2021

et sur son financement:

les rumeurs sur les 18 millions de dollars reçus de l’État sont fausses …  Pas une gourde ne provient de l’État [si on exclut un prêt à 6% du FDI] …  Il n’y a eu aucun accord politique avec le pouvoir.

André Apaid cité par Le Nouvelliste. 5 mai 2021.

Mieux, « les responsables ont annoncé avoir déjà commencé la distribution de certificat de propriété à ceux qui vivaient sur les terres de Déjoie depuis 60 ans qu’elles ont été abandonnées, dans le souci de ne pas les déposséder ».

L’affaire n’alla pas plus loin. Il était question d’une ouverture prochaine à de nouveaux actionnaires mais, avec notre chance, nous aurons probablement un nouvel Agritrans sur les bras … jusque dans la piste d’atterrissage pour avions clandestins pour le compte de narcotrafiquants latinoaméricains.

L’article du New York Times nous parle d’un appel furieux de la brigade des stupéfiants américaine, la Drug Enforcement Agency (DEA). L’Agence américaine voulait des explications sur l’augmentation de vols en direction de la zone.

Entre mai et juin, la piste à Savane Diane, ainsi qu’une autre dans le nord de Haïti, connaissait un volume anormal de trafic, au moins une douzaine d’avions se posant avec potentiellement des milliers de kilos de cocaïne, selon des responsables de sécurité haïtiens.

New York Times. op.cit.

Nous sommes à la mi-juin. Le Président Jovenel Moïse, furieux, aurait donné l’ordre de détruire les pistes d’atterrissage mais … il nétait pas le vrai leader, il était une « propriété ». Personne ne l’écouta. Il n’était qu’un bonhomme choisi pour garder une chaise au chaud, un « fauxpreneur » à qui l’on avait créé une histoire bidon d’entrepreneur à succès après l’avoir tiré de la fabrique de biscuits Mariella – une entreprise appartenant à un proche de Michel Martelly « soupçonnée d’être une façade pour du blanchiment d’argent ».

Il fut également question d’anguille. Et pas que sous roche. Un commerce d’anguille avec le beau-frère de Martelly – Kiko Saint-Rémy – qui se serait arrangé, sous l’administration de son beau-frère, pour se faire accorder des permis d’exploitation, au point de forcer Jovenel Moise à se retirer des anguilles pour se lancer dans la banane. L’ex associé de ce dernier dans le commerce d’anguille – reconverti en hôtelier et, accessoirement, arrêté pour trafic de drogue puis relâché à la demande de Martelly – est présumé mort. Moise aurait dû en prendre de la graine. Mais non, il voulut se comporter en chef. « Le Président a parlé. Point barre. » martellait-il mais Martelly n’en avait cure. L’appareil étatique n’en avait cure. Le peuple n’en avait cure. Une blogueuse en conclut qu’il était aussi naïf que menteur. L’invita même à être chef pour de bon, que diable! *

 L’impéritie est une calamité pour tous, y compris notre incapable de président. Dans son op-ed d’hier, il parle de nuits blanches à plancher sur ses difficultés à diriger le pays. Une fois n’est pas coutume, je le crois. […] Sous Moïse, même les Premiers Ministres ne peuvent plus jouer leur rôle traditionnel de fusible. Le Président embrasse ses crises, saute avec elles et compte sur l’ambassade américaine pour sauver quelques morceaux.

Monsieur le Président, puisque vous tenez à garder le titre et nous imposer votre disgracieuse personne, agissez comme tel. La loi de ma bouche. 13 juillet 2019.

Vers la fin, l’ambassade américaine se garda bien de sauver les morceaux de Monsieur Moïse. Joseph Felix Badio, un ancien informateur de la D.E.A, est présumé à la tête des assassins. Le Dr Ariel Henry, imposé par le Core Group les États-Unis d’Amérique, a reçu plusieurs appels de Monsieur Badio le jour même de l’assassinat; les rumeurs veulent même que ce dernier ait circulé dans des véhicules blindés du gouvernement avant de quitter le pays avec la complicité de celui-ci.

Depuis peu, le Dr Henry a viré les derniers jovenelistes qui s’accrochaient encore et s’est installé au Palais National … en attendant, le jour, où, inévitablement, le Blan, Léviathan spontané le broiera à son tour.


Note: Le Ministère de l’agriculture et des ressources humaines maintient sur son site un inventaire des zones agroécologiques de Savane Diane réalisé par l’École moyenne de développement de Hinche. Il retrace l’histoire agricole de la zone.

* Au 14 janvier 2020, le MARDNR a bien communiqué un memorandum sur la suspension des licences des entreprises ayant dépassé leur quota d’exportation d’anguilles mais il est peu aisé de savoir quel fut son impact réel.

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