Et la misogynie se fit Dieu

Au commencement était la vie. Et la vie était dans la femme. Et la vie était par la femme. Et la vie était la femme. Elle était la Vénus de Berekat Rham taillée dans la pierre par l’homo erectus, il y a 800 000 ans. Elle était toutes ces vénus paléolithiques qui ont suivi, célébrant, par leurs formes généreuses, le pouvoir féminin par excellence : la fertilité. Elle était,  au commencement, au cœur de la vie. Tout fut par elle, magicienne, déesse procréatrice. Et rien de ce qui fut ne fut sans elle qui donnait la vie. En elle était la joie, l’abondance et l’amour. Elle était le doux refuge contre la crainte et la peur. Elle voulut partager son savoir, faire de l’autre son égal, offrit une pomme et signa, trop confiante, sa reddition.

En 2013 est parue une intéressante Histoire de la misogynie de l’Antiquité à nos jours (de Adeline Gargan et Bernard Lançon) retraçant les retombées de cette reddition. Les auteurs se lancent dans une étude archéologique de la défiance, du mépris, voire de la haine dont la femme a été victime au cours de l’histoire, de la Grèce archaïque à nos jours. Si l’ouvrage n’a ni la charmante impertinence ni la belle delicieuseté de La Chair interdite de Diane Ducret, il met merveilleusement en lumière l’invariance de la pensée misogyne d’un mythe à l’autre.

Qu’ils soient antiques, gréco-romains ou bibliques, les mythes s’accordent à présenter la femme comme maléfique. La curieuse Pandore, la féroce Amazone, l’indépendante Propétide et la transgressive Ève, sont les grandes responsables des malheurs des hommes. Émasculatrices, elles méritent les plus grandes punitions. Avec Ève, la grossesse cesse d’être un super pouvoir pour devenir une malédiction.

La science prendra le relais pour organiser effectivement le discours misogyne. Hippocrate, Aristote et Galien s’emploient à décrire une « débile » – fragile – dont l’utérus gambadeur en a fait une créature lubrique et dangereuse, une hystérique. Médecins, philosophes, théologiens et scientifiques s’accordent pour gérer l’intraitable malade. Car, la femme, même si on découvre aux XVIIème et XVIIIème siècles qu’elle est anatomiquement correcte, est définie d’abord et avant tout en fonction de l’homme, est présentée d’abord et avant tout comme déficiente. Délicatesse des fibres nerveuses (XVIII ème), phrénologie (XIXème), génétique, endocrinologie et neurosciences (XXème siècle)… le discours scientifique s’évertue à établir la défectuosité du sexe féminin : plus faible, plus sensible – ce qui se traduit par moins fort, moins résistant.

La politique – et subséquemment le droit – se chargera d’institutionnaliser et de normaliser la subjugation de la femme. Les femmes se retrouveront cantonnées à la sphère privée de l’économie domestique et tenues bien éloignées de la sphère publique du pouvoir politique. Par les institutions – morales, sociales, culturelles … – la domination de l’homme est établie, assurée, garantie. Les remettre en cause c’est s’installer dans la déviance, dans l’immoralité et – encore plus grave – dans le blasphème et l’hérésie. Propétides de l’Antiquité, sorcières du Moyen-Age et hystériques du XIXème siècle ont en commun le refus d’obéir aux diktats de la misogynie faite Dieu et leurs châtiments ont marqué les âges.

Référent ultime, Dieu – nous garderons ici celui de la Bible mais ses incarnations multiples partagent souvent la même pensée misogyne – a clairement établi la place de la femme. Dans le Siracide (42, 12-14), se trouve un rappel cinglant de sa grande dangerosité:

[…] ne t’assieds pas au milieu des femmes, car des vêtements sort la teigne et d’une femme une méchanceté de femme. Mieux vaut la méchanceté d’un homme que la bonté d’une femme; une femme couvre de honte et expose à l’insulte.

Aussi, importe-t-il de la garder à sa place. Et les livres de la Bible, d’un testament à l’autre, s’y emploient avec méthode. Car, la femme est synonyme d’ennuis à venir.

À la naissance déjà, où elle double la durée d’impureté de sa mère:

Si une femme est enceinte et enfante un garçon, elle sera impure pendant sept jours comme au temps de la souillure de ses règles. et pendant trente-trois jours encore elle restera à purifier son sang. Elle ne touchera à rien de consacré et n’ira pas au sanctuaire jusqu’à ce que soit achevé le temps de sa purification. Si elle enfante une fille, elle sera impure pendant deux semaines, comme pendant ses règles, et
restera de plus soixante-six jours à purifier son sang.  [Lévitique 12:2-5]

À l’adolescence, où l’homme qui la rencontre et la viole doit, le pauvre, la prendre pour femme, si elle satisfait aux strictes conditions de pureté établies:

Si un homme rencontre une jeune fille vierge non fiancée, lui fait violence et couche avec elle, et qu’on vienne à les surprendre, l’homme qui aura couché avec elle donnera au père de la jeune fille cinquante Shekels; et, parce qu’il l’a déshonorée, il la prendra pour femme, et il ne pourra pas la renvoyer, tant qu’il vivra.  [Deutéronome 22:28-29]

Dans sa vie d’adulte mariée, où elle risque de toucher le phallus sacré d’un autre que son mari en essayant de défendre celui-ci:

Lorsque des hommes se querelleront ensemble, l’un avec l’autre, si la femme de l’un s’approche pour délivrer son mari de la main de celui qui le frappe, si elle avance la main et saisit ce dernier par les parties honteuses, tu lui couperas la main, tu ne jetteras sur elle aucun regard de pitié. [Deutéronome 25:11]

Après la mort de son mari – qu’elle n’a pas pu sauver, par respect pour le pénis de l’agresseur – où le beau-frère devra l’épouser à son tour:

Lorsque des frères demeureront ensemble, et que l’un d’eux mourra sans laisser de fils, la femme du défunt ne se mariera point au dehors avec un étranger, mais son beau-frère ira vers elle, la prendra pour femme, et l’épousera comme beau-frère.  [Deutéronome 25:5]

À ce mari, elle devra la plus parfaite obéissance :

Femmes, soyez de mêmes soumises à vos maris, afin que, si quelques-uns n’obéissent point à la parole, ils soient gagnés sans parole par la conduite de leurs femmes.  [1 Pierre 3:1]

Et, surtout, surtout, surtout, en public, elle devra la fermer :

Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d’y parler; mais qu’elles soient soumises, selon que le dit aussi la loi. Si elles veulent s’instruire sur quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris à la maison; car il est malséant à une femme de parler dans l’Église. [1 Corinthiens 14:34-35]

Après tout, sa parole a déjà causé assez de mal comme cela:

Que la femme écoute l’instruction en silence, avec une entière soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de prendre de l’autorité sur l’homme; mais elle doit demeurer dans le silence. Car Adam a été formé le premier, Eve ensuite ; et ce n’est pas Adam qui a été séduit, c’est la femme qui, séduite, s’est rendue coupable de transgression. [1 Timothée 2:11-14]

CQFD.

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