Aujourd’hui, nous allons parler de la Chute. Pas celle de l’homme – qui serait du fait de la femme – mais de celle de la Femme qui vint avant et fit des femmes la propriété des hommes. Commençons par le commencement. La Genèse donc. De la Bible s’entend. Dans le premier récit de la création, en Genèse 1, 26-28, nous apprenons que l’être humain est « homme et femme » ainsi qu’IL (Dieu) « les créa ». Chefs d’œuvre de la création, ils arrivent après la terre, les cieux, les plantes, les animaux … tout ce qu’IL avait fait et avait trouvé bons. Puis, quelque chose s’est passé. Un chapitre plus loin, au second récit de la création, en Genèse 2, 7/ 21-23, la femme devint tributaire de l’homme. Tirée de lui. Lui qui a été créé le premier. Lui qui domine les animaux et toutes les autres créatures qui vinrent après lui. Il y eut un soir… et nous nous battons, aujourd’hui encore, pour qu’arrive enfin le matin.
La Bible ne fournissant guère d’explication sur ce renversement brutal, c’est vers la mythologie grecque que nous nous tournons pour essayer de comprendre. Dans Les Euménides, troisième volet de l’Orestie, le grand tragique grec Eschyle nous invite à un procès fondamental : celui de la Mère (et de son sang) que son fils renie; car, même si c’est le matricide Oreste qui est au tribunal, c’est sa mère, assassinée par lui pour venger son père, que l’on juge. La déesse Athéna offre sa voix, pour départager le jury, en cas d’égalité. Le jury étant à égalité, elle libère Oreste et condamne la Mère. « Je n’ai pas de mère qui m’ait enfantée », dira-t-elle, un peu comme une explication. « En tout et partout, je favorise les mâles ». Les femmes comprennent tout de suite que, si elles ne réagissent pas, c’en est fait d’elles. « O nuit noire, ma mère ! vois-tu ces choses ? », soupire le chœur des Euménides. Voici désormais la Femme « couverte d’opprobre, méprisée, misérable » mais aussi « emplie de colère » et décidée à se venger. La Déesse arrive toutefois à la convaincre de se calmer, de faire confiance au Père, Zeus, et d’entrer avec joie « dans les retraites souterraines ». Désormais, ce sera la demeure des Euménides, anciennes gardiennes de la loi matriarcale, dégradées, réduites à vouloir et garantir le bien de ceux qui les ont couvertes de honte. Le dieu Apollon s’empresse de consacrer ce revirement. Il déclare, triomphant, la nouvelle loi patriarcale:
Ce n’est pas la mère qui engendre celui qu’on nomme son fils ; elle n’est que la nourrice du germe récent. C’est celui qui agit qui engendre. La mère reçoit ce germe, et elle le conserve, s’il plaît aux dieux. Voici la preuve de mes paroles : on peut être père sans qu’il y ait de mère. La fille de Zeus Olympien m’en est ici témoin. Elle n’a point été nourrie dans les ténèbres de la matrice.
Au vingt-et-unième siècle, le ridicule de cette proclamation nous fait sourire. Ce serait plutôt le contraire, dirons-nous, en pensant à la parthénogénèse et aux recherches en cours sur le sperme synthétique. Mais il n’est guère besoin d’aller si loin. La réalité biologique, obstinée comme elle seule et défiant avec bonheur les théories d’Athéna et d’Apollon, insiste que les enfants, qu’ils l’admettent ou le nient, sont du sang de leur mère. Athéna, fille du Père, ne savait pas, la pauvre, qu’elle avait une mère et que, grâce à celle-ci, elle aurait pu le remplacer. Elle ne savait pas qu’elle était la fille de l’Océanide Métis. Elle ne savait pas que sa mère avait été avalée par un Zeus déterminé à empêcher qu’un enfant de celle-ci ne prenne sa place sur le trône. Zeus avait des raisons de se méfier. Une prédiction similaire s’était déjà réalisée lorsque lui, roi des Dieux, renversa son père, Cronos, pour lui prendre son trône, continuant ainsi une belle tradition familiale où le pouvoir s’arrache et s’acquiert en versant le sang de son sang.
Au commencement était le Ciel étoilé, Ouranos, et sa femme, Gaïa, la Terre. Décidé à ne pas les laisser voir le jour, Ouranos maintenait ses enfants enfermés dans les entrailles de leur mère. Furieuse, Gaïa, arma son plus jeune fils Cronos qui coupa le pénis de son père – descendu couvrir sa mère – et prit le pouvoir. Son père l’ayant averti que lui aussi perdrait le pouvoir au profit de son fils, Cronos essaya de faire mieux en matière de prévention: il avala ses fils. Mais la Mère veillait. Sur les conseils de Gaïa, Rhea, épouse et sœur de Cronos, cacha son sixième fils, Zeus, et le remplaça par une pierre que son puissant mari engloutit goulûment. Le temps venu, Zeus renversa son père, avec l’aide de Métis, déesse du conseil, de la ruse et de l’intelligence. Plus futé que son père et son grand-père, Zeus avala Métis. Pas de mère, pas de fils; pas de fils, pouvoir éternel. Et c’est ainsi qu’Athéna, qui devait mettre fin à ce pouvoir mâle forgé dans le sang, consacra la domination masculine, parce qu’elle n’a pas connu sa mère.
Aujourd’hui, des filles du Père, défendent et maintiennent ceux qui les ont couvertes de honte. Une jeune femme est violée et découvre, en même temps que le reste du monde, son corps humilié, brisé, martyrisé et il se trouve des gens pour la blâmer, elle: le juge et le père du jeune homme, pour avoir gâché la vie d’un jeune sportif prometteur pour « 20 minutes d’action »; des femmes « préoccupées », pour s’être mise, l’irresponsable, dans une situation de viol. Le juge, le père et le violeur ne m’intéressent pas ici. Nous l’avons déjà établi: ils viennent d’une longue lignée de violeurs, de pilleurs, d’assassins … tous victimes de la fourbe arrogance des femmes et décidés à leur faire payer. Ce qui m’inquiète, ce sont les disciples d’Athéna, Euménides des temps modernes ayant accepté d’abandonner leur rôle de défenderesses au profit de celui de pleureuses. Ce qui m’horripile ce sont ces femmes qui expliquent aux femmes que, pour ne pas être violées, il n’y a qu’à. Je reprends ici, pour leur bénéfice, cet extrait de la lettre lue par la victime pendant un procès pour viol qui, malgré des preuves accablantes, des témoins oculaires et l’aveu du suspect, n’aura valu à son violeur que 6 mois d’incarcération, avec la possibilité d’être libéré après 3 mois pour bonne conduite:
Quand l’enquêteur lui a demandé comment on s’était retrouvés derrière la benne, il a dit qu’il ne savait pas. Il a admis qu’il avait embrassé d’autres filles à cette fête, dont ma sœur, qui l’avait repoussé. Il a admis qu’il voulait coucher avec quelqu’un. J’étais l’antilope blessée du troupeau, complètement seule et vulnérable, incapable physiquement de me défendre, et il m’a choisie. Parfois je me dis que si je n’y avais pas été, rien de tout ça ne se serait passé. Mais ensuite je me suis rendue compte que ça se serait passé, ça serait juste arrivé à quelqu’un d’autre.
La réalité, défiante et obstinée, est qu’une seule personne est capable de prévenir, dans l’absolu, le viol d’une femme par un homme: cet homme. Le viol n’est pas une maladie que l’on peut attraper si l’on ne fait pas attention. Ce n’est pas un accident. Il n’arrive pas comme ça. On peut être tué par accident. On ne peut être violée par accident. Le viol résulte d’une décision consciente : celle du violeur. On ne se fait pas violer, on est violée. Un violeur se fiche de ce que porte une femme, de ce que fait une femme. Il lui importe peu qu’elle soit jeune ou vieille, belle ou laide, saoule ou sobre. Tout ce qui l’intéresse c’est l’opportunité. Il est, sur ce point, semblable aux pédophiles actifs. Leur victime n’a pas besoin de les « provoquer » activement, il lui suffit d’exister et que l’opportunité du crime se présente. Voilà pourquoi, dans la grande majorité des cas, ces criminels s’en prennent à ceux qui les connaissent, qui leur font confiance.
À moins d’adopter le point de vue féministe radical qui invite à cesser tous rapports avec les hommes, il est virtuellement impossible pour une femme d’éviter de se trouver dans une situation où elle peut être violée. À chaque fois qu’une femme se trouve avec un homme, le risque existe et il est d’autant plus grand qu’il s’en trouve toujours pour chercher des excuses au violeur : longueur des vêtements, sexualité affirmée, état d’ébriété … Un homme qui se saoule, se réveille le lendemain matin avec la gueule de bois. C’est dans l’ordre des choses. Une femme qui se saoule, se réveille violée. C’est dans l’ordre des choses mais cela ne devrait pas l’être.
En attendant, Gaïa, Rhéa et Métis font signe à Athéna. Elles essaient de lui expliquer que, même si elle ne l’a pas connue, elle est du sang de sa mère. Athéna ne les entend pas toutefois. Elle écoute le Père. Elle lui « fai[t] confiance ». Si bien que, lorsque le laid et repoussant Héphaïstos, par la hache de qui elle est sortie de la tête de son père, répandra, en la poursuivant, son sperme sur la cuisse d’Athéna, celle-ci se contentera d’essuyer l’offense et la rejeter sur Gaïa. De ce viol naîtra, Érichtonios qui sera élevé par Athéna, à l’insu des autres dieux et deviendra le quatrième roi légendaire d’Athènes. Quand Poséidon et Athéna, se disputant Athènes, le prirent pour arbitre, Érichtonios commit un « suicide de sexe » et prit parti pour la déesse. Son règne dura cinquante ans, avec une grande réputation de justice et d’équité. Au contraire d’Oreste, il avait compris et reconnu qu’il était bien du sang de la Mère.
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En attendant le changement de mentalité tant espéré ou les hommes seront socialisés pour respecter les femmes,Eh bien moi, je garderai tjrs le conseil du père de ton amie: d’être tjrs bien armée pour se protéger des hommes prédateurs.
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C’est tout-à-fait compréhensible mais aussi tellement triste.
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