Ces hommes dans nos vies qui nous tuent

Il y a 5 ans, je recevais par Whatsapp ma première photo de cadavre. C’était celle de ma pauvre Saahmie kidnappée, torturée puis assassinée et jetée dans une décharge. Son corps sans vie posé là sur un tas d’immondices a changé quelque chose en moi. Pour la première fois de ma vie, sur cette terre pourtant peu clémente, j’étais folle de rage.  Les ravisseurs de Lencie Sanuela Mirville avaient détruit son corps, les bruits de couloirs et d’Internet se sont chargés du reste: attaquer sa mémoire.

Il y a deux jours, quand j’ai reçu la nouvelle de la mort d’Évelyne Sincère dans des conditions similaires, j’ai eu comme un flash-back. Je ne la connaissais pas, ce n’était pas ma Saahmie mais je me suis immédiatement préparée au pire. C’était une jeune femme pleine de vie, cela ne devrait pas prendre longtemps avant qu’on ne l’accuse d’être responsable de sa mort. Avec Saahmie, les rumeurs avaient commencé tôt. L’on savait qu’elle était elle-même montée dans la voiture sans qu’elle y soit forcée, l’on en déduit qu’elle avait un big boss qui lui payait ses études, qu’elle devait probablement tromper et qui l’aurait fait kidnappée et tuée. Le mécanicien du père de Saahmie était l’un de ses 4 ravisseurs, naturellement qu’elle est montée dans la voiture. Elle le connaissait, elle lui faisait confiance, c’était un homme dans sa vie.

Evelyne Sincère aussi aurait été tuée par un homme dans sa vie: son petit ami chez qui elle s’était rendue comme elle le connaissait et lui faisait confiance. L’enquête de la police n’est pas terminée et les détails sont encore flous mais elle aurait été droguée puis kidnappée et finalement tuée. Les ravisseurs avaient bien exigé une rançon – et d’écouter la sœur de la victime raconter les négociations m’a paralysée de rage des heures durant – mais la rançon n’aurait probablement rien changé. Comme  avec Saahmie, la victime connaît le ravisseur, ses chances de survie étaient minimes.

Les premiers messages arrivèrent, façon conseil salutaire, avec l’invitation classique à mieux choisir nos hommes parce que, c’est connu, l’agresseur, le kidnappeur, le violeur, l’assassin qui finira par nous agresser, kidnapper, violer,  assassiner dépose son CV de criminel lorsque nous le recrutons pour sortir avec. Très vite, les bons conseils se transformèrent en interrogatoire. Qu’allait-elle chercher là ? Ne savait-elle pas que les jeunes femmes ne doivent pas se rendre dans des garçonnières ? Pourquoi avait-elle de telles fréquentations ? En d’autres termes, pourquoi l’a-t-elle cherché ?

C’est le propre de la culture du viol que de trouver toujours un moyen de blâmer les femmes des violences multiples dont elles sont victimes. C’est une idéologie particulièrement puissante qui permet d’occulter le caractère systémique de ces violences sexospécifiques en individualisant ce qui est un problème social. La victime isolée, rendue responsable, perd le bénéfice de la sympathie à laquelle son statut de victime la prédispose. Voilà l’injustice érigée en valeur par une culture plus intéressée à faire payer les filles d’Ève qu’à protéger ses filles.

Voilà pourquoi les prédateurs dans nos vies s’en sortent presque toujours. De Valdo Jean évadé à Oberde Joseph fugitif, même meurtriers ils s’en sortent. Les chiffres sont pourtant clairs. Globalement, dans 90% des cas de viol, la victime, qui à 93% est une femme, connaît son agresseur qui, à 96% est un homme. La violence est massivement mâle pour les meurtres aussi. Pour tous les crimes en fait. À moins de décider de rester à jamais loin des hommes, on voit mal comment une femme peut s’assurer de ne pas finir victime. Ce n’est pas seulement insensé de le dire, c’en est presque criminel puisque, dans les faits, cela revient à excuser le criminel dans le but de maintenir intact la domination masculine.

Dans notre longue tradition de découvrir des cadavres dans nos rues, au petit matin, il n’est pas que des corps de jeunes femmes à être jetés aux immondices. Il n’est pourtant que dans ces cas-là que, des défenseurs du patriarcat, hommes et femmes, se trouvent à débattre de la faute de la victime.

Dans quelques jours, comme pour tous les cas d’assassinats ici, nous serons passés à autre chose. Au prochain scandale. Au prochain assassinat. Demeurera toutefois une constante : le blâme de toute victime de sexe féminin.

4 commentaires sur “Ces hommes dans nos vies qui nous tuent

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  1. Comment en sommes nous arrives lá? Je suis choquées et je ne sais plus quoi dire. Comment en sortir?

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  2. Mwen li atik sa avek anpil tristes. Premyeman paske m se yon moun. Dezyèmman paske m se yon papa kap leve yon pitit fi nan yon sosyete kote vyolans sou fanm ap fè raj. Map poze tèt mwen kesyon eske pitit fi m nan pa pwochen viktim de vyolans sou fanm?

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    1. Pi fasil la se mande l. Epi sitou koute l. Si pitit fi w ap fè retisans parapò ak yon moun – kit li fi, kit li gason, kit li fanmi kit li zanmi – pa fòse l. Gen bagay ou p ap janm wè, gen bagay ou pa konnen. Mande l epi kwè l. Ou ka mennen ankèt pa w men fè l kredi li konn sa l ap pale a.

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