Pour V. que ce genre de discours révolte.
Ainsi donc, en réaction à un viol collectif qui a choqué toute la nation, le porte-parole de la Police Nationale d’Haïti s’est résolument installé dans la longue tradition qui consiste à blâmer la victime. Un lecteur, furieux, vient de m’envoyer l’article de Loop News rapportant les propos irresponsables et dangereux du porte-parole de la PNH. Dans son « conseil salutaire », Monsieur Desrosiers invite les jeunes filles à « Evite ale nan chanm gason ». Et à deux reprises. Sispann antre nan chanm gason. Au cas où ce ne serait pas suffisamment clair que, si elles n’allaient pas retrouver ces messieurs, elles ne se retrouveraient pas victimes de viol à cinq.
Monsieur Desrosiers n’avait toutefois pas fini d’invectiver les vrais coupables : ces jeunes filles, certes, mais aussi leurs parents qui ont négligé de restreindre leurs mouvements, comme ça doit:
Nous vous demandons de mieux vous comporter, et les parents de leur côté doivent mieux surveiller leurs enfants. Quand l’enfant a 15, 16 ans, c’est encore une mineure, elle pense qu’elle peut faire ce qu’elle veut. Vous avez la responsabilité en tant que parent d’aider la police de ce côté-là.
Après, on s’étonnera que nos femmes n’osent pas aller voir la police quand elles sont victimes d’un viol. Il y a un peu plus d’un an, dans une lettre au Commissaire du Gouvernement, j’attirais l’attention sur le peu de cas que notre système judiciaire fait des actes de violence contre les femmes:
Dans la grande majorité des cas, [les victimes] se taisent pour des raisons multiples liées à leur statut économique, leurs croyances ou leur manque de foi dans le système judiciaire. Le plus triste est qu’elles ont généralement raison. Le Rapport sur la réponse de la police et du système judiciaire aux plaintes pour viol dans la région métropolitaine de Port-au-Prince de la MINUSTAH (2012) souligne la nonchalance avec laquelle nos institutions étatiques traitent les violences contre les femmes : renvoi aléatoire aux tribunaux de paix, à la brigade des mœurs ou au Parquet ; importance moindre accordée aux viols qu’aux autres crimes ; enquêtes non systématiques ; tenue de registres généralement faible …
Cela m’a valu des réactions, au final, assez convenues. L’on m’accusa de défendre un kòb. L’on supputa que mon mari ne me battait pas assez. L’on estima que j’avais besoin que quelqu’un m’apprenne à me mêler de mes affaires. Sauf que les violences contre les femmes sont mes affaires. Parce que je suis une femme. Parce que je suis humaine. Et tant que je maintiendrai ce blogue, je m’attacherai, de billets en billets, à dénoncer ceux – et celles – qui contribuent à maintenir une culture qui réduit la femme à un butin au service de l’homme ou à un trophée à sa gloire.
Je l’ai déjà dit ici mais cela vaut sans doute la peine de le répéter :
[U]ne seule personne est capable de prévenir, dans l’absolu, le viol d’une femme par un homme: cet homme. Le viol n’est pas une maladie que l’on peut attraper si l’on ne fait pas attention. Ce n’est pas un accident. Il n’arrive pas comme ça. On peut être tué par accident. On ne peut être violée par accident. Le viol résulte d’une décision consciente : celle du violeur. On ne se fait pas violer, on est violée. Un violeur se fiche de ce que porte une femme, de ce que fait une femme. Il lui importe peu qu’elle soit jeune ou vieille, belle ou laide, saoule ou sobre. Tout ce qui l’intéresse c’est l’opportunité.
Il est grand temps d’abandonner ce réflexe qui consiste à trouver des excuses au violeur. Il n’en a pas besoin. Il viole parce qu’il le peut. Par que, aussi, dans la majorité des cas, il s’en sortira indemne. Parce que, aussi, vous avez déjà préparé sa défense. Parce que, aussi, entre la longueur de la jupe, la présence dans une « chanm gason » ou la vie sexuelle suspecte de la victime, on en viendrait presque à croire que, après toute cette provocation, c’est l’absence d’un viol qui aurait été le crime.
Il est grand temps que nous abordions la question autrement. Que nous envisagions le problème du viol là où se trouve la solution. Non pas du côté de la victime, mais de celui du criminel et des attitudes sociales quant à son crime. Comme je le disais, il y a quelques jours, à ce même lecteur du début :
[Ce qu’il faut c’est] apprendre à nos garçons que violer c’est mal et qu’il n’existe aucune justification possible à un viol. Jamais. Cela suffit de toujours demander à nos filles de faire attention et à nos garçons de protéger leurs sœurs. Si nos garçons ne violent pas nos filles, le problème ne se pose plus.