Depuis le début de la semaine, des photos de jeunes Swazies et de jeunes Zouloues participant à la traditionnelle cérémonie de l’Umhlanga sont devenues virales dans les réseaux de la gente masculine céans. Nos braves hommes sont nombreux à se passer et repasser les photos de ces jeunes femmes dont les seins nus leur émoustillent les sens.
Les photos sont arrivées chez nous par l’entremise d’un article sur la décidément curieuse décision de la maire d’Uthukela d’offrir des bourses à toutes les étudiantes qui resteront vierges – des tests de virginité réguliers sont prévus – pendant leurs études. Le choix de l’illustration se justifiait par le fait que cette cérémonie de l’uMkhosi WoMhlangala (en français, danse des roseaux) est le lieu d’un échange particulier où des dizaines de milliers de jeunes femmes vierges – test de virginité à l’appui – démontrent leur loyauté au roi qui, bon prince, se choisira une nouvelle femme parmi les danseuses. Chez nous, ces photos sont devenues une occasion de plus pour dénigrer les femmes.
L’emploi du mot dénigrer ici n’est pas fortuit. Il permet de rappeler, en passant, que le mot pour désigner le fait d’entacher la réputation de quelqu’un a une racine commune avec le nègre. Étymologiquement, dénigrer, c’est rendre noir. Que ce dénigrement soit le fait de Noirs – l’article 14 de la constitution impériale de 1805 établit, avec une certaine poésie, que « les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination génériques de noirs »- ne rend la chose que plus pénible.
Une image vaut mille mots, surtout quand on sexualise immédiatement celle de l’Autre – sans se soucier du contexte de celle-ci. Après tout, qu’importe que ces jeunes femmes doivent sortir leur carte de virginité pour participer à une tradition qui devait, à la base, honorer une reine? Transformons-les en prostituées et marrons-nous ! Qu’importe qu’il s’agisse de tenues traditionnelles et de culture et non de postures à caractère sexuel? Des seins debout sont devant nos yeux, marrons-nous ! Qu’importe que ces jeunes femmes dont les photos circulent d’une façon aussi abjecte soient les filles et les sœurs d’autres hommes comme nous ? Elles n’avaient qu’à ne pas se faire photographier à poil, marrons-nous !
Excédée, je fis remarquer à quelques-uns de nos hommes qu’en réduisant ces jeunes femmes à des objets destinés à satisfaire leurs désirs, ils les déshumanisaient et se déshumanisaient eux-mêmes. – Et quoi ? On ne peut plus apprécier la beauté d’une femme, me dit un Monsieur Jourdain misogyne qui s’ignore. – Bien sûr que vous pouvez, mais ce n’est pas apprécier la beauté d’une femme que d’en faire une prostituée, rien que parce que vous trouvez ça drôle. – Mais, on ne fait rien de mal; nous ne les connaissons même pas. – Justement.
Le problème ici ne réside pas dans le fait de trouver une femme attirante. La gent féminine a de très grands charmes – les mâles hétérosexuels et les femmes lesbiennes en attesteront volontiers. Le problème est dans le fait de réduire une une femme aux seins nus à son sexe alors que vous n’auriez pas eu la même réaction dans le cas d’un homme. La misogynie se double ici d’un racisme primaire, un de ces racismes qui rejettent la différence de l’autre comme sauvage et barbare.
Avouez, on exigea presque, que, traditionnelles ou pas, ces tenues sont indécentes. – Mais non, pas du tout, elles participent à une cérémonie annuelle … – Annuelle, dites-vous ? À quelle époque de l’année ? Je crois que je viens de trouver le lieu de mes prochaines vacances. Et, avant que vous ne montiez sur vos grands chevaux, je ne toucherai à rien, je me contenterai de regarder … À moins que…
Quelque part, entre la fin du 19ème et le début du 20ème, à une des expositions universelles de Paris, Saartjie Baartman et d’autres indigènes ramenés en Europe pour être vus par les civilisés… voient des Haïtiens se comporter de la sorte et sont pris de pitié.