Il y a quarante-deux ans, le 11 septembre 1973, le président chilien démocratiquement élu, Salvador Allende, fut brutalement renversé pour crime de lèse-capitalisme. Déjà en 1958, lorsqu’il rata la présidence de seulement 3%, il inquiétait Washington. En 1964, celui-ci dépêcha la Central Intelligence Agency (et des membres du Département d’État) pour organiser la campagne anti-Allende au Chili à coup de spots radio et TV, posters, affiches, tracts … et de support financier au parti démocrate-chrétien d’Edouardo Frei qui remporta les élections avec 17% d’avance. Le succès fut de courte durée toutefois puisque, le 3 novembre 1970, Salvador Allende devint le premier président marxiste élu au Chili (et en Occident). Pendant trois ans, les États-Unis tentèrent de lui faire payer son outrecuidance par un embargo virtuel destiné à, selon les termes choisis du Président américain Richard Nixon, « faire hurler l’économie chilienne », mais ne réussirent qu’à consolider sa position au Parlement où il gagna une confortable majorité en 1973. Il fallait désormais employer les grands moyens. Le Général Augusto Pinochet, à qui nous devons la tristement célèbre Opération Condor, mit fin à cette dérive démocratique.
C’est un joli paradoxe de l’Empire Bienveillant américain, la plus grande force de bien dans l’histoire de l’humanité, le flambeau de la démocratie et de la liberté, que de promouvoir la démocratie en cherchant à renverser des dirigeants élus démocratiquement. En 1951, la CIA et le MI6 britannique décidèrent de se défaire du gouvernement très populaire et démocratiquement élu de Mohammad Mossadegh parce que, entre autres, celui-ci osa nationaliser, à l’unanimité, l’industrie pétrolière iranienne. Le succès se fit toutefois attendre; Mossadegh résista pendant deux ans aux assauts combinés de Londres et de Washington. Au même moment, la CIA se lançait, au Guatemala, dans ce qui allait devenir l’archétype du coup d’État bien fait, le modèle qui servira de manuel à tous ceux qui ont suivi : l’opération PB Success qui emporta la tête du président Jacobo Árbenz Guzmán, hostile aux intérêts de la United Fruit Company (hispanisée depuis sous le nom de Chiquita et en excellente position sur la longue liste de compagnies que je boycotte). Les États-Unis eurent gain de cause en Iran aussi (1953) où ils soutinrent le très incompétent et non moins détesté Chah jusqu’à la Révolution de 1979 qui leur vaut de s’en mordre le doigt aujourd’hui encore.
L’Iran n’est toutefois pas le premier pays à bénéficier d’un intérêt particulier des États-Unis quant à son mode de gouvernement au point de l’aider à en changer. Dès 1949, la Syrie en connut les douces emb(r)assades, un peu comme elle en refait l’expérience aujourd’hui. De nombreux autres pays connurent aussi ces joies. Les États-Unis ont ainsi tendrement pris dans leur bras et travaillé à changer la Thaïlande (1957), le Laos (1958-60), le Zaïre (1960), la Turquie (1960, 1971 et 1980), l’Équateur (1961 et 1963), le Vietnam (1963), la République Dominicaine (1963), l’Argentine (1963), le Honduras (1963 et 2009), l’Iraq (1963 et 2003), le Brésil (1964), la Bolivie (1964, 1971 et 1980), l’Indonésie (1965), le Ghana (1966), la Grèce (1967), le Panama (1968 et 1989), le Cambodge (1970), le Chili (1973), le Bangladesh (1975), le Pakistan (1977), la Grenade (1983), la Mauritanie (1984), la Guinée (1984), le Burkina Faso (1987), le Paraguay (1989), Haiti (1991 et 2004), la Russie (1993), l’Ouganda (1996) ou encore la Libye (2011).
Cette liste ne prend pas en compte – comment le pourrait-elle ? – les tentatives ratées et suspectées de coup d’États orchestrés par les États-Unis d’Amérique à travers le monde, comme en Albanie (1949), en Afghanistan (1980) ou au Nicaragua (1979). Elles ont été et demeurent bien trop nombreuses pour être présentées ici. Elles ont toutefois leur propre entrée sur Wikipedia. Faites-y un tour. Un peu comme dans le terrier d’Alice au pays des merveilles, vous pourrez, pendant des heures, d’hyperliens en hyperliens, vous perdre dans les méandres infinies de l’entreprise mondiale de promotion démocratique des États-Unis d’Amérique. Vous en sortirez probablement secoués mais moins niaiseux, ce qui, à en croire les Québécois, est une excellente chose à être avant de se coucher.
L’on se rappelle de la fameuse boutade de l’avocat de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, Ira Kurzban, quant à l’absence de coups d’État à Washington. Sa réponse, l’absence d’une ambassade américaine à Washington, a bien fait rire l’assistance composée d’Haïtiano-Américains qui ne comprirent que trop bien la triste vérité de la caricature. Les ambassades américaines, nous l’avons vu, nous réservent toujours de ces joies auxquelles elles ne s’adonnent qu’une fois qu’elles sont bien loin de la maison. Aussi, n’ai-je guère été étonnée, quand j’ai vu passer, sur Facebook, il y a deux jours, la note de l’Ambassadeur américain en Haïti, insistant sur la nécessité pour nous de respecter les 25 millions de dollars dépensés par son pays pour le machin du 9 août 2015 pour éviter un lave men siye atè.
Je comprends aisément le désir de Mme Pamela Whiite de ne pas voir se gaspiller l’argent du contribuable américain, même si je ne vois guère en quoi cela devrait commander notre respect. Je comprends aussi son désir d’en finir avec cette histoire d’élections pour continuer à prétendre que les États-Unis ont « rétabli la démocratie » en Haïti, même si – et c’est le Président américain Barack Obama lui-même qui le disait le 1er juillet 2013 à l’ancien Président égyptien Mohammed Morsi, deux jours avant que le pauvre ne se fasse renverser par un coup d’État militaire – « la démocratie, ce n’est pas seulement des élections ». Je digère moins toutefois le besoin qu’elle a ressenti de nous faire la morale quant à la nécessité d’établir un VRAI gouvernement en Haïti après que, Hillary Clinton, alors Secrétaire d’État – et actuelle candidate favorite à l’élection présidentielle américaine – soit venue nous imposer, de la façon la plus directe, en venant elle-même sur place, notre président actuel.
La presse s’étant contentée de rapporter, sans plus, les propos de l’Ambassadeur Pamela White, je prends sur moi de lui dire, ce que nos directeurs d’opinion se sont bien gardés de lui dire :
Madame White, avec tout le respect que nous vous devons, mais que vous ne méritez probablement pas, gardez donc vos leçons de démocratie pour vous. Après les succès retentissants de votre pays en matière de promotion de la démocratie partout sur la planète, il est sans doute indiqué qu’il s’en garde désormais. Votre démocratie, elle-même, est loin d’être parfaite. L’année dernière, une étude conjointe de deux de chercheurs en provenance de deux vos meilleures universités (Princeton et Northwestern) a conclu que le régime politique américain s’apparente beaucoup plus à une oligarchie qu’à une démocratie. Sur 1779 politiques étudiées, il est ressorti « que les élites économiques et les groupes organisés représentant les intérêts des milieux d’affaires ont un impact direct sur les politiques du gouvernement tandis que les groupements d’intérêts représentant un grand nombre de personnes et les citoyens ordinaires n’ont aucun impact sur ces politiques ». En conclusion, puisque vous semblez être fan de nos proverbes créoles, retire bout bwa ki nan je w la, avan w vin retire pay ou ride mete nan pa n lan. Thank* you !
J’espère que ceux qui vous lisent ont conscience du service que vous leur rendez en résumant pour eux ce qu’ils n’iront pas chercher eux-mêmes dans les livres, par ignorance, manque de temps et de motivation. Merci.
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Merci de continuer à me lire.
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Texte concis et précis.
Félicitations
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