Qui sème la démocratie récolte des migrants ?

L’année 2014 a été l’année de tous les records. Trente-huit (38) millions de gens à travers le monde que les conflits et la violence ont forcés hors de chez eux, dont onze (11) millions en 2014 uniquement. En ses dix années d’existence, jamais le rapport annuel de l’observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) n’a enregistré autant de déplacés en une année. En 2014, ce sont 30 000 victimes qui, chaque jour, ont dû laisser leurs maisons, leurs quartiers, leurs villes, leurs régions … où vivre était désormais devenu dangereux ; confirmant une forte tendance à la hausse observée depuis trois ans.

En mai 2015, en prélude à la publication du rapport, le Secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), Jean Egeland, regrettait que « [l]es diplomates du monde entier, les cessez-le-feu, les pourparlers de paix et les résolutions des Nations-Unies [aient] perdu la bataille contre des hommes armés impitoyables, mus par des intérêts politiques ou religieux plutôt que des impératifs humains. » J’ajouterais, pas si humblement, le peu de succès de la communauté internationale dans sa responsabilité de protéger les peuples des pays ayant enregistré le plus (60%) de nouveaux déplacements : l’Irak, le Soudan du Sud, la République Démocratique du Congo, le Nigéria et la Syrie. Dans cette dernière, c’est 40% de la population (7.1 millions) qui a été déplacé ; le plus grand nombre enregistré à l’échelle mondiale. En 2015, ils amerrissaient (ou pas) aux portes de l’Europe.

Le 20 mars 2003, défiant l’opposition de l’Onu et de la (vieille) Europe, Bush Jr s’en allait bravement libérer les Irakiens du sanguinaire Saddam Hussein, dictateur de son État. Les membres de l’Opération Iraqi Freedom, nous promettait-on, seraient accueillis avec des fleurs  par un peuple reconnaissant qui allait enfin goûter, grâce à un regime change en règle, à la douce et pacifique démocratie. Douze ans et quelques centaines de milliers de morts plus tard – à peu près aussi bien donc que ce cher Hussein – les Irakiens fuient en grand nombre cette nouvelle démocratie qui a vu naitre le Daesh. Au mois de juin de cette année, l’un des architectes de l’opération, l’homme des inconnnus non connus, reconnaissait que l’Irak n’était pas prêt pour la démocratie (à l’américaine).

Le 9 juillet 2011, suite à un référendum au score soviétique de 98.83%, le Soudan du Sud est devenu indépendant. Un jour plus tôt, le 8 juillet 2011, le Conseil de Sécurité de l’ONU, dans sa résolution 1996, établissait la toute dernière opération de maintien de la paix au monde: la Mission des Nations Unies au Sud du Soudan (MINUSS). Cette nouvelle mission remplaçait la Mission préparatoire des Nations Unies au Soudan (MINUS) rendue caduque par cette nouvelle indépendance démocratiquement acquise. Depuis la région est engoncée dans des conflits internes – avec une guerre civile en règle depuis 2013 et le plus haut pourcentage de dépenses militaires par rapport au PIB (SIPRI, 2015) – et accuse le plus fort score de l’index des États fragiles. Il y a quatre jours, le 16 octobre 2015, dans un dernier effort pour calmer le jeu, le Président Salva Kiir a pris un décret établissant, selon des frontières plutôt ethniques, 28 États en lieu et place des 10 établis par la Constitution. Ce même Président Kiir qui s’est distingué l’été dernier en menaçant de tuer les journalistes qui oseraient écrire « contre le pays », parce que, sans doute, #SonSudDuSoudanEstDifferent. Il n’est que d’attendre.

La République Démocratique du Congo cherche depuis une semaine son nouveau Pierre-Louis Opont. Le pays le plus pauvre de l’Afrique  – et du monde – vient de perdre le président de sa commission électorale – qui a démissionné de ses fonctions – et il lui faut en trouver un incessamment. Peut-être pourrions-nous leur envoyer ce cher Gaillot Dorsainvil ? Encore que, une Commission électorale sans tête ne soit peut-être pas pour déranger ce cher Joseph Kabila qui termine son deuxième et, constitutionnellement, dernier mandat. Naturellement, l’ONU – par la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en RDC (MONUSCO) – est là qui exige des élections libres, crédibles et démocratiques – parce que des élections sans qualificatif seraient sans doute trop demander. En attendant, les déplacés congolais continuent d’augmenter.

Le Nigéria semble être l’intrus sur cette liste. Puissance pétrolière et première puissance économique d’Afrique, elle n’abrite aucune opération de paix, est à sa cinquième élection présidentielle depuis la fin du régime militaire et a vu un Président en poste perdre les élections pour la première fois. Cette merveilleuse réussite n’est toutefois qu’apparente. L’indice de corruption (137/175), le creusement des inégalités et l’émergence de Boko Haram … sont autant de problèmes systémiques qui expliquent le chiffre record de trois millions trois cent mille déplacés. Heureusement, il y a 6 jours, le président américain Barack Obama a décidé d’envoyer trois cents soldats américains pour combattre Boko Haram au Cameroun voisin. Il n’est que d’attendre.

La Syrie, elle, c’est la Syrie. Un territoire marqué par 8 guerres simultanées. Un conflit aux multiples acteurs, aux multiples facettes et aux multiples atrocités qui dure depuis 2011. Une guerre civile débutée dans le contexte du Printemps arabe qui s’est rapidement muée en guerre par procuration entre des meilleurs intéressés (Iran, Russie, États-Unis, Europe). Une guerre énergétique maquillée en guerre sainte ayant réclamé des centaines de milliers de morts. Un déplacement massif d’une moitié de la population dont quatre millions ont dû fuir leur pays, une famille à la fois, toutes les 60 secondes. Ces quatre millions d’âmes infortunées ont bénéficié de l’empathie d’une grande partie de la population mondiale – surtout européenne – dont certains se sont proposés pour les accueillir chez eux, au point qu’existe désormais un Airbnb pour ces réfugiés.

Il est un autre pays en instabilité démocratique perpétuelle – le renouvellement annuel et mécanique de la mission des Nations-Unies qui y est déployée en atteste – qui pourrait aussi se retrouver sur cette liste si l’extrême pauvreté, la géographie et les missions de paix ne s’étaient pas entendus pour l’en empêcher. Dommage que chez nous, la responsabilité de protéger réussisse si bien à nous garder céans. Le rêve haïtien étant de migrer, voilà qui tomberait bien !

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