Hier soir, j’ai lancé ce blog en guise de protestation contre l’insidieuse implication que ne pas voter aux élections équivaudrait à se départir de sa liberté d’expression, à ne plus avoir droit de cité dans les affaires de la cité. Même en passant sous silence le fait que, chez nous, le vote n’est pas obligatoire, il serait sans doute utile rappeler aux bien-pensants et aux donneurs de leçons qu’il y a deux cent vingt quatre ans, dans la soirée du 14 au 15 août 1791, mes ancêtres asservis, à qui je dois la loi de ma bouche, ont fait le choix inconditionnel et incontestable de la liberté. Ce choix ils l’ont fait pour eux-mêmes et tous ceux à venir, lançant une révolution qui devait rendre les droits de l’homme effectivement et indubitablement universels.

En 1948, l’Organisation des Nations Unies consacra cette universalité par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dont l’article 19 se lit comme suit:

Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Cette liberté de répandre son opinion est fondamentale. Elle est au coeur du libéralisme – en tant que projet d’émancipation de l’espèce humaine résultant d’une révolte des fils (liberi) contre l’autorité du père. La liberté d’expression est une des manifestations les plus évidentes de ce désir de liberté au coeur la lutte des individus, « mesure de toute chose » (Protagoras), contre le despotisme des monarques pour l’instauration d’un nouveau régime plus égalitaire et plus juste.

Avec la Cérémonie du Bois Caïman, nos ancêtres longtemps asservis, se sont réclamés de l’Humanité, envoyant au diable le Code Noir, monstruosité juridique dont la minutie dans l’inhumanité commande consternation et admiration – dans le sens primaire du terme. Et cette réclamation de leur humanité commença, comme tout grand événement de l’histoire humaine, par la parole. Boukman s’adressa ainsi à la foule assemblée:

« Le Dieu des blancs fait ce que le blanc fait. Le Dieu des blancs commande le crime, tandis que le nôtre sollicite des bienfaits. Pourtant, le nôtre qui est si bon demande notre vengeance : il va conduire nos bras et nous donner assistance. Brisez donc l’image du dieu des blancs, l’objet de nos larmes. Goûtons la liberté qui est au fond de nos cœurs à tous ». (Traduction française de Jean-Price Mars dans Ainsi Parla L’Oncle)

Cette liberté de rejeter la pensée unique, de rejeter la pensée de l’autre et d’oser proclamer la nôtre, nos ancêtres sont morts (500 000 sur 900 000 selon Victor Schoelcher) pour que nous l’ayions. C’est l’une de nos meilleures armes contre la zombification actuelle nous forçant à fermer nos yeux pour boire l’eau qui pue alors que notre nez continue de nous informer qu’il y a quelque chose de pourri dans la démocratie haïtienne – et ce n’est pas le peuple haïtien.

34 réponses à « Le choix de la liberté – La cérémonie du Bois Caïman »

  1. […] nous l’utiliserons – dimanche dernier, vous n’avez pas été voter. Vous n’avez pas fermé les yeux pour boire l’eau qui pue. Bravo ! Vous êtes de véritables patriotes ! Non, ce n’est pas du sarcasme – enfin pas que. […]

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  2. […] Désormais, nous reprenons notre statut de peuple « qui résiste ». Nous avons déjà fait le choix de la liberté. Vient le temps de le refaire. Ce choix de la liberté, c’est d’abord l’instauration de la […]

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  3. […] nous avons discuté farces électorales, Bois Caïman, citoyenneté et … armes de distraction massive. Vous avez retrouvé mon compte Facebook […]

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  4. […] que nos ancêtres asservis n’aient fait le choix irrévocable de la liberté, c’est ce système d’humiliation persistante qui expliquait que les maitres aient pu maintenir […]

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  5. […] de prouver la respectabilité de notre religion ancestrale. Ils ont oublié les paroles de Boukman au Bois Caïman et par une triste méprise d’un syncrétisme né sous la contrainte – par peur, notamment, du […]

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  6. […] Des jours comme celui-ci, je me rêve Antigone guidant mon père (ma patrie) prisonnier de l’obscurité où il s’est volontairement plongé. Je me vois insistant pour offrir une digne sépulture à mes frères, en dépit de l’interdiction de l’oncle Créon. Insister, tempêter et mourir. Puis, je me rappelle de ce commentaire plein de sagesse d’une de mes lectrices : […]

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  7. […] dans le développement local intégré d’une petite commune du pays en-dehors. Certes, le marronage ne suffit pas. Nos ancêtres l’ont découvert et compris. Mais c’est un début. Nos nouveaux maîtres proclamés, nous aviserons sur la meilleure […]

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  8. […] la sécurité à la place de la liberté. Pas le peuple haïtien. Jamais le peuple haïtien. Nous avons élevé la liberté au rang de divinité. Liberté ou La Mort. 500 000 sont morts pour que 400 000 vivent libres. La liberté est notre […]

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  9. […] mais les combattre activement, en nous, et autour de nous. Être là pour Haïti, c’est (re)devenir haïtiens. Èske ou […]

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  10. […] Il existe d’autres options. Plus respectables, responsables et dignes. Dignes de nos ancêtres dont les corps ont été anciennement asservis et qui méritent mieux que des descendants mentalement asservis. Mais, ce sont là des options […]

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  11. […] Le grand et controversé dramaturge allemand d’obédience communiste, Bertolt Brecht, proposait, provocateur, de dissoudre le peuple s’il votait contre le gouvernement. En Haïti, nos meilleurs, en émules d’Erostrate, s’y emploient régulièrement. Mais cela n’est évidemment pas possible. On ne dissout pas un peuple… et sa patience a une limite. […]

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  12. […] C’est le Core Group et, avec lui, l’ensemble de la communauté internationale qui doivent être contents. Ils ont exigé, menacé, tempêté … et voilà que leurs élections vont avoir lieu dans 12 jours. Certains, dont le  candidat réfractaire, refusent de jouer le jeu. D’autres réclament l’annulation pure et simple des élections ou invitent à ne pas avoir peur de la transition. Mais qu’à cela ne tienne. Le candidat à la présidentielle continue de faire campagne. Il nous a ouvert sa bananeraie. Il n’y aura pas de route par bois. Les élections auront lieu. Avec ou sans le peuple haïtien. C’est son choix. […]

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  13. […] que ne dit pas le Cardinal c’est que le peuple haïtien parle à ses dieux la nuit parce que le Dieu des dégénérés qui l’ont maintenu en esclavage avait le monopole du jour. Le Cardinal ne dit pas que, par crainte du blanchiment, nos ancêtres […]

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  14. […] be hard, America. It will be hard, but you’ll survive. You’ve seen worst. You’ve a great past you can always go back to, to soothe your worries and keep intact the pride of your forefathers. It won’t be easy but […]

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  15. […] la filiation spirituelle – le culte des Saints remplace celui des Ancêtres et participe à l’émancipation des fils (liberi) qui ne s’estime plus obligé par les traditions ancestrales. C’est d’ailleurs le […]

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  16. […] quant à nos progrès en matière de stabilité et, ipso facto, les conséquences de celles-ci. Devenir maître de sa tête a un coût. Assumons-le. Nous ne pouvons continuer d’attendre de l’autre qu’il nous fasse […]

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  17. […] Qui sait, en cette journée qui leur est consacrée, nos aïeux voudront peut-être réparer et, à défaut de nous en trouver un grand mari, mettre le f…. […]

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  18. […] que, lois économiques inévitables obligent, qu’il nous faille bientôt admettre que, à moins d’un miracle, nous soyons condamnés à vivre dans et par la […]

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  19. […] arrive alors ce moment où les aigris refusent de maigrir, où un peuple se soulève et exige des comptes.  C’est qu’à vouloir museler la presse, on finit par se mettre […]

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  20. […] avoir pris notre indépendance de ceux qui avaient asservi nos corps, nous semblâmes déterminés à leur offrir, à la place de ceux-ci, nos cerveaux et, […]

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  21. […] plus brutaux – dans plus d’un sens – de la société haïtienne. Pour avoir été les premiers asservis à dire non à l’esclavage et réussi à conquérir notre liberté et no…, nous n’en demeurons pas moins un pays où entre 200 et 300 mille enfants vivent en […]

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  22. […] de peuple et garantir la stabilité. Après tout, l’histoire de l’armée haïtienne, hormis l’épisode des va-nu-pieds donneurs d’indépendance, n’a jamais été faite que d’un souci profond, et maintes fois prouvé, du bonheur de […]

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  23. […] misogyne leur refuse depuis des millénaires et que, comme nos ancêtres anciennement asservis, elles n’ont pas cru nécessaires de laisser un espace aux « propriétaires &ra…. Il n’y a pas à dire : l’ironie de la chose est […]

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  24. […] comme limite effective du droit de la société haïtienne à s’exprimer conformément à la loi de notre bouche que nous ont léguée  nos ancêtres. Toutefois, le français a beau être une langue mal maîtrisée chez nous, il est certaines fautes […]

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  25. […] misogyne leur refuse depuis des millénaires et que, comme nos ancêtres anciennement asservis, elles n’ont pas cru nécessaires de laisser un espace aux « propriétaires » d’humai…. Il n’y a pas à dire : l’ironie de la chose est […]

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  26. […] d’un peu partout à travers le monde, célèbrent la fête nationale du vodoun. En Haïti, pays libéré par le vodou, des abrutis se drapent dans la religion de l’ancien maître pour attaquer celle de leurs […]

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  27. […] ki sot pase yo, moun soti toupatou sou latè pou vin selebre fèt nasyonal vodoun. Nan peyi Dayiti, yon peyi vodou libere, yon ekip sanzave vlope kò yo nan relijyon ansyen kolon yo pou yo atake relijyon zansèt yo […]

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  28. […] de prouver la respectabilité de notre religion ancestrale. Ils ont oublié les paroles de Boukman au Bois Caïman et par une triste méprise d’un syncrétisme né sous la contrainte – par peur, notamment, du […]

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  29. […] que ne dit pas le Cardinal c’est que le peuple haïtien parle à ses dieux la nuit parce que le Dieu des dégénérés qui l’ont maintenu en esclavage avait le monopole du jour. Le Cardinal ne dit pas que, par crainte du blanchiment, nos ancêtres […]

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  30. […] de 1805– et Rouge comme le sang versé par nos ancêtres pour nous donner un pays où nous sommes chers maîtres, chères maîtresses. Il aurait été dévoilé le 19 mai […]

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  31. […] générale s’installe. L’armée qui n’avait toujours pas compris que c’était fini, que les Haïtiens et les Haïtiennes avaient fini de se résigner et accepter un régime liberticide et …, l’armée à la solde d’un bébé dictateur intervient. On enregistre des morts au Cap, aux […]

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  32. […] de 1805– et Rouge comme le sang versé par nos ancêtres pour nous donner un pays où nous sommes chers maîtres, chères maîtresses. Il aurait été dévoilé le 19 mai […]

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  33. […] misogyne leur refuse depuis des millénaires et que, comme nos ancêtres anciennement asservis, elles n’ont pas cru nécessaires de laisser un espace aux « propriétaires » d’humains pour …. Il n’y a pas à dire : l’ironie de la chose est […]

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