À Nicolas … dont je préfère taire le nom de famille

Hier soir, sur Twitter, je suis tombée sur une photo, publiée par vous, de votre père en compagnie du boxeur légendaire Mohamed Ali alors en visite en Haïti. Je suis tombée aussi – malheureusement – sur les discussions qui ont suivies. Je comprends que vous ayez ressenti le besoin de partager ce souvenir de famille. La planète entière était en mode #TheGOAT. Le Président Barack Obama était de la partie. L’occasion semblait trop belle pour la laisser passer. Vous ne l’avez donc pas laissée passer. Vous auriez dû pourtant.

Avant que vous ne protestiez contre ce qui pourrait être interprété comme une restriction à la loi de votre bouche – ce qui serait un comble venant de ce blogue – je rappellerais que le droit d’user de celle-ci ne vous absout pas des critiques que peuvent entrainer cet usage. Je pourrais aussi, mais je ne le ferai pas, vous faire remarquer que cette liberté d’expression dont vous jouissez si allègrement en critiquant à tout va les dirigeants de l’après-dictature, nous le devons au fait de nous être débarrassés de votre famille et de son régime liberticide. Que vous en usiez pour réécrire l’histoire, présenter la dictature de votre père et de votre grand-père comme vertueuse et nous la vendre comme une époque où notre pays commun était sûr et prospère, n’est pas seulement ironique, c’est trompeur, malhonnête et insultant.

Mon premier réflexe était de vous laisser dans votre poursuite ridicule. Je crois en l’obstination de la réalité à s’imposer, telle qu’elle est, indépendamment de nos tentatives de la redéfinir. Les exactions du régime sont connues et bien documentées. Celles de votre grand-père ont inspiré au célèbre Graham Greene « le seul de ses livres [écrit expressément] pour faire passer un point de vue et afin de se battre contre l’horreur de la dictature« . Celles de votre père servent de toile de fond à l’un des films les plus dommageables qui soit pour notre religion ancestrale. Votre grand-père figure sur la liste des dix dictateurs les plus brutaux des temps modernes, avec des compagnons comme Hitler, Staline et Pol Pot qui ont largement démontré qu’il n’existe guère de limites à la monstruosité de certains hommes. La macabre réalité du régime est implacable. Elle est là, défiante, sublime dans sa nudité. Les pitoyables tentatives de la teinter de rose ont lamentablement échoué. Votre projet chimérique est immanquablement voué à l’échec.

Je me suis toutefois rappelée, juste à temps, de l’accueil que des jeunes sous-éduqués, sous-informés et privés de mémoire ont réservé à votre père à son retour d’exil. L’image d’en-tête de votre compte Twitter – dont la brutale subtilité n’est pas sans évoquer celle d’un coup de boutoir – n’est sans doute pas étrangère à ce rappel. Elle vous présente en Messie avec une foule clamant pour toucher votre tête. Un fantasme freudien où vous voyez devenir « [votre] père, [votre] héros », peut-être? Je me suis alors rendue compte que vous étiez peut-être comme ces jeunes qui adulent votre famille, que comme eux, on ne vous a pas dit, ne vous a pas expliqué … et vous n’avez pas cherché à savoir. Peut-être êtes-vous semblable à ces enfants de nazis qui peinent à réconcilier le souvenir de ces hommes qui, en privé, les chérissaient et qu’ils chérissaient avec le personnage public du criminel de guerre. Ils ont toutefois compris qu’il valait mieux rester à l’écart des discussions publiques sur le sujet. Ils ont bien fait.

Je veux bien croire qu’il soit difficile d’admettre l’existence de monstres dans sa propre famille. Madame votre mère, qui s’est récemment (et inopportunément) rappelée à notre souvenir pour défendre son ex-mari, n’a pas dû vous dire la misère de ce peuple alors qu’elle jouait à la Marie-Antoinette tropicale. Monsieur votre père, décédé alors qu’il était visiblement en plein déni, n’a pas dû vous parler du règne de terreur de son père, du massacre du 26 avril 1963. Peut-être, ne savez-vous pas? Peut-être, ne voulez-vous pas savoir? Quelle que soit la raison de votre ignorance, prenez exemple sur les enfants de nazis et, à moins de travailler activement à défaire les dommages causés à notre pays par votre famille, faites profil bas.

Personne ne vous demande de vous torturer ou de vous empêcher de vivre parce que votre père et votre grand-père étaient objectivement des salauds. La culpabilité n’est pas héréditaire. Personne ne vous demande de ne plus être sur les réseaux sociaux, de ne plus partager vos photos, de ne plus (essayer de) vendre votre condiment. Grâce à 1986, vous êtes libre de vous exprimer sur tous les sujets qui vous plaisent, quand et où vous le souhaitez. Toutefois, par respect pour cette terre, pour cette nation, pour son histoire, gardez-vous des envies qui vous prennent de glorifier un passé dictatorial odieux. Le caractère révoltant de celui-ci, contrairement à ce que vous essayez de faire croire, n’est pas affaire d’opinion politique mais un fait établi. Que la situation actuelle soit loin d’être idéale n’enlève rien à l’horreur absolue de la dictature. Nous essayons de mettre votre famille et leurs crimes derrière nous, épargnez-nous cette indécente entreprise de réhabilitation posthume et laissez-nous le faire en paix.

20 commentaires sur “À Nicolas … dont je préfère taire le nom de famille

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  1. Nicolas est malade. Que d’efforts pour faire mentir l’Histoire: Nicolas n’etait pas meme pas encore ne quand Ali a visite Haiti. En fait, Jean-Claude etait encore celibataire, courant les 12 kilometres asphaltes de Port-au-Prince a bord d’une Lamborghini, avec un mecanicien italien attitre…

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    1. Quel Superbe Texte, Ecris avec beaucoup d’Intelligence et de délicatesse ! Dommage que son destinataire Nominal n’en Comprendra Très Probablement pas Son Essence ! Pourtant, il aurait grand Intérêt à Suivre les Bons Conseils qui lui sont prodigués et ce pour le Bonheur d’Haïti !

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  2. Merci pour ce billet. Je ne doute malheureusement pas qu’il tombera dans l’oreille d’un sourd , ni que les truands modernes de ce pays hausseront les epaules en le lisant. Qu’ils soient tous maudits

    Aimé par 1 personne

  3. Nicolas est malade. Que d’efforts pour faire mentir l’Histoire: Nicolas n’etait pas meme pas encore ne quand Ali a visite Haiti. En fait, le pere de Nicolas, Jean-Claude, etait encore celibataire, courant les 12 kilometres de route de Port-au-Prince a bord d’une Lamborghini, avec un mecanicien italien attitre…

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  4. J’ai beaucoup de peine pour ce jeune homme, malgré son négationnisme. Son cas tout comme celui du petit-fils de Pinochet au Chili me plonge, à chaque fois que j’y pense, dans une réflexion profonde sur le sens et le poids de la filiation. Que signifie faire des choix quand nos choix conditionnent aussi le futur de nos enfants? Comment demander à des êtres que leurs parents auront certainement comblé d’attentions et d’amours d’admettre que ces derniers puissent être des monstres? Comment admettre cela sans devenir soi-même schizophrène? Je crois que nos discours n’y suffiront pas Mme Camilien. Le jeune homme devra suivre une psychanalyse.
    En passant, il y a un livre récent qui traite des enfants de grands dictateurs du XXeme siècle. Je l’ai vu à La Pléiade. Il y a un chapitre sur Duvalier. Jean-Christophe Brisard, Enfants de dictateurs, Editions First, 2014.

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  5. Merci, …de lui adresser ces conseils Oh Combien salutaire !

    Je fais partie de cette génération de qui je lis ,vois, parfois ceux qui tendent à vanter  » les bontés » de ces Regimes dont ils n’ont ni vécu, s’ils se sont informés, non rien compris apparemment,à moins que ce soit de la mauvaise foi.

    L’Anarchie constatée à tous les niveaux, vous pousserait parfois à dire que ces regimes tortionnaires avaient leur ( soit disant bon côté)..mais je fais toujours l’effort pour convenir qu’ils n’étaient rien …, si c’était le cas d’ailleurs, nous n’en serons pas là où nous sommes..en quête d’un mieux-être dans tous les domaines,même quand les mauvais temps ( désordre,instabilité politique) qui ont suivi ont ravagé le peu qui était..ou qui restait..!

    En tout cas,Merci encore de toujours rappeller à cette personne d’avoir un peu de gêne et vaudrait mieux prendre son baton de Pèlerin,et fasse un Mea Culpa pour ces ancêtres vis-à-vis des parents de victimes qui y sont encore..au lieu d’afficher ces genres d’arrogance à tout bout de Champ !

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