Ne protégeons plus les agresseurs. #PaFèSilans

Dès les premiers jours de l’affaire Weinstein, j’ai voulu inviter la société haïtienne à lutter, autrement, contre le harcèlement sexuel. Je souhaitais que la parole se libère, non pas uniquement du côté des victimes mais du côté des témoins de la violence sexuelle. Du côté des parents, amis, collègues, connaissances … qui préfèrent ne pas s’en mêler ou qui refusent de se laisser entraîner dans des « histoires de cul ». Il fallait trouver un hashtag (mot-dièse, pour les francophiles) qui traduisent ce changement de paradigme, aussi ai-je lancé un appel à contribution.

En France, le mouvement #balancetonporc prenait de l’ampleur et les suggestions que je recevais allaient dans le même sens. Mon changement d’angle n’arrivait pas. Aussi ai-je résolu d’y aller directement. Ce que je souhaitais, c’était libérer la parole, des victimes comme des témoins, briser un silence qui participait du maintien de l’oppression. Il fallait donc inviter la société haïtienne, dans son ensemble,  à #PaFèSilans.

La toute première réponse, accessoirement venue d’un Haïtien de sexe mâle, n’est pas très encourageante :

Et là se trouve la plus grande difficulté de l’exercice que je veux nous inviter tous à faire. Beaucoup d’hommes se sentent visés par cette vague mondiale de dénonciation. Ils ont peur de se retrouver, du jour au lendemain, dans la liste des harceleurs, agresseurs, violeurs. Ils sont déboussolés parce qu’ils se voient forcés de remettre en question des comportements depuis longtemps naturalisés, des attitudes liés à leurs privilèges d’homo sapiens mâles, et se retrouvent sur la défensive, se méfiant de ces « féministes extrémistes » qui ne cherchent qu’une occasion de les acculer.

Il est, bien sûr, ceux et celles qui ne voient pas pourquoi on en fait tout un plat, qui pensent que ces femmes l’ont cherché ou qu’elles cherchent à faire le buzz. Nous allons les ignorer royalement. Nous n’avons pas besoin de la négativité de ces messieurs et dames prompts à dénoncer une chasse aux sorcières -l’ironie ici est trop évidente pour qu’on s’y attarde – contre de pauvres hommes qui ont le malheur d' »aimer » les femmes. Ces gens-là, nous les renverrons à un précédent  billet – « C’est quand la dernière fois que vous avez battu votre femme » – et nous les prierons de laisser les adultes continuer ici la discussion.

Maintenant qu’ils sont partis, revenons à nos hommes qui s’inquiètent de la possibilité qu’une vague d’accusations mensongères viennent détruire la réputation de braves et honnêtes gens – comme eux, par exemple.

L’inquiétude est compréhensible – c’est celle de tout membre d’une classe dominante quand les dominés se soulèvent. Le membre de la classe dominante n’a pas besoin d’avoir participé activement à l’oppression, n’importe quelle personne blanche en Afrique du Sud après l’apartheid, aux États-Unis à la fin de Jim Crow, ou en Haïti après la colonie de Saint-Domingue, aura ressenti cette même crainte : que les opprimés se vengent. Nous avons abordé ailleurs, le blues du mâle occidental blanc. L’égalité suppose la perte de privilèges et cela peut se ressentir comme une oppression.

L’inquiétude est cependant sans fondement. Il n’existe pas une cabale contre les hommes. Les femmes dénoncent, avec beaucoup de peine et un courage extraordinaire, des agressions quotidiennes, qu’elles ont longtemps été obligées de taire. Parce qu’on ne les croit pas. Parce que leur souffrance est considérée comme négligeable. Parce qu’on les accuse de provoquer le crime. Parce que, aussi, des hommes comme Harvey Weinstein ont à leur disposition une armée d’espions et d’avocats chargée de faire taire leurs victimes.

Une fois n’est pas coutume, je me garderai de sortir une longue liste de statistiques. Ce billet commence déjà à être trop long et ce n’en est pas vraiment l’objet. (Pour celleux qui y sont intéressés, cet article de Slate devrait faire l’affaire). L’essentiel ici est de comprendre que nous ne sommes pas face à une épidémie de fausses accusations et qu’une telle appréciation de l’actualité participe des raisons pour lesquelles les femmes ne parlent pas. Ce qui nous ramène au point de départ de ce billet: Il ne faut pas que ce soit uniquement les victimes qui parlent. Elles ont besoin de témoins engagés. Elles ont besoin que la société cesse de protéger les harceleurs, les agresseurs et les violeurs. Elles ont besoin que la société limite leur émergence en mettant fin à la naturalisation de certains attitudes et comportements.

En luttant contre « la culture du viol », par exemple:

En dénonçant les agressions sexuelles dont on est témoin ou dont on a connaissance:

En s’engageant à ne pas faire silence face aux comportements sexuels inacceptables:

Loop Haiti et Nègès Mawon ont lancé une campagne vidéo #PaFèSilans où des  femmes parlent de leur expérience du harcèlement sexuel.

C’est une bonne chose mais si elles sont seules à le faire, les comportements sexuels inacceptables continueront d’être une affaire de femmes alors qu’ils sont prioritairement un problème d’hommes.

Je me réjouis de voir qu’il existe des hommes bien de chez nous qui l’ont bien compris et cherchent à aider. Ce billet s’adresse à eux, en priorité. Naturellement, je reste consciente que des hommes sont aussi parmi les victimes et je n’entends pas passer leur expérience sous silence. Le problème demeure toutefois prioritairement un problème d’hommes, un peu comme les tueries aux États-Unis sont prioritairement un problème d’hommes blancs ayant pris l’habitude de battre leurs femmes. À nos alliés, je laisse trois recommandations:

  1. Ne demandez pas aux femmes ce que vous pouvez faire pour les aider. Elles sont bien trop occupées à se défendre contre un système construit contre elles pour s’occuper de vous monter un plan de bataille. Montez le vôtre et donnez le meilleur de vous-même.
  2. Ne vous attendez pas à recevoir une médaille parce que vous êtes un être humain décent. Les femmes se battent contre la misogynie depuis des siècles sans avoir le privilège d’être mâle. Elles risquent de ne pas trouver le temps de vous remercier de ne pas être un agresseur de plus.
  3. Ne vous lancez pas dans ce combat parce que vous avez une mère, une sœur, une fille. Il ne doit pas s’agir de vous battre pour « vos » femmes mais pour les femmes, pas parce qu’elles sont vôtres mais parce qu’elles sont des êtres humains et méritent le respect.

Vous voilà désormais bien armés pour la campagne #PaFèSilans. Avec un peu de chance, nous réussirons à faire changer le discours autour des comportements sexuels inacceptables en Haïti.

Bonne chance et, si je n’en trouve plus le temps, merci!

7 commentaires sur “Ne protégeons plus les agresseurs. #PaFèSilans

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  1. Bonsoir Madame Camilien. J’ai reçu un lien qui annonce une marche ce dimanche qui partira de l’UniQ. Mais j’ai remarqué que cet article est publié depuis 2017. Est-ce-que vous pouvez confirmer pour moi qu’il y aura vraiment une marche ce dimanche 26 Mai ?

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