Depuis l’odieux assassinat du président de la République, nous avons passé 5 jours à nous tourner vers le Blan. Certains pour qu’il nous dise que faire, d’autres pour qu’il leur dise que croire, et nos meilleurs pour qu’il leur donne sa bénédiction. Nous, filles et fils d’Haïti, héritiers et héritières de la terre de Dessalines. Nous, peuple fier, à la tête altière. Nous, de la première République noire. Depuis bientôt 6 jours, nous voilà, dans l’attente du Blan. De ce qu’il va dire. De ce qu’il va faire. Et, surtout, de qui aura son aval.
Hier, nos meilleurs, comme il est de coutume, se seront assurés de bien s’humilier devant le maître. Il est de bon ton, dans ces cas-là, d’offrir un spectacle permettant de renforcer tous les préjugés que l’étranger – et précisément notre Oncle d’Amérique – peut avoir contre nous. Nous nous sommes donc empressés de démontrer qu’il nous était impossible de montrer la moindre maturité – même en traitant les autres d’imberbes. Après tout, le jour d’après, ne sommes-nous pas le premier à tenter de nous convaincre nous-mêmes de notre importance, en appelant les émissions de grande écoute pour diffuser, de vive voix, toute la considération que le Blan a pour nous ?
Je dis Nous parce que le Sénateur Lambert n’est pas seul dans sa quête d’onction. Combien sommes-nous à courtiser les journalistes et médias étrangers, à nous empresser de leur parler et de leur fournir les quelques petites phrases insignifiantes dont ils parsèmeront leurs articles pour faire « terrain ». Combien sommes-nous à leur faire aveuglément confiance ? Ils ont beau se montrer d’une extraordinaire paresse dans leurs articles et reportages, ils sont notre référence. Nous attendons qu’ils disent avant de croire, avant de penser, avant de dire. Des médias qui ne s’intéressent à Haïti que quand nous faisons de notre mieux pour valider les stéréotypes les plus tenaces. Pays le plus pauvre de l’Amérique. Pays en crise permanente. Entité sui generis ingouvernable.
Je dis Nous parce que les appels d’empire se font de plus en plus nombreux. Du Premier Ministre a.i à qui l’empire a opposé – pour l’instant, ils l’envisagent tout de même – une fin de non-recevoir, aux citoyens lambda qui ne voient pas d’issues, en passant par nos politiciens – de la classe politique comme de la « société civile » – qui s’essaient à convaincre le Blan de valider leurs plans de transition. Parmi ces multiples plans de transition qui, depuis des mois, débarquent sur la table du Blan, celui de Christian Emmanuel Sanon – auteur intellectuel/intermédiaire présumé du magnicide de la nuit du 6 au 7 juillet 2021 – mérite le détour.
Hier soir, au cours d’un point de presse du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN), le Directeur Général a.i de la Police Nationale d’Haïti, Monsieur Léon Charles, annonce avoir arrêté un nouvel individu d’ascendance haïtienne. Il s’agit du Dr Emmanuel Sanon, médecin, pasteur et leader émérite qui, à en croire les 3 vidéos de sa chaîne Youtube à 23 abonnés, rêve depuis au moins 9 ans – c’est l’âge de la chaîne – à devenir le président de la République d’Haïti, pays aux riches ressources en uranium et en or, régulièrement livrées au Blan, en contrepartie du pouvoir politique. Le Dr Sanon aurait été désigné comme point de contact par les membres du commando accusé d’avoir tué le Président Jovenel Moïse. Et, de fait, apprenons-nous, après l’assassinat, il a reçu un appel d’un des membres du groupe. Le Dr Sanon serait aussi celui qui a contracté la CTU Security du Vénézuélien Antonio Enmanuel Intriago Valera; la compagnie qui aurait recruté les mercenaires colombiens.
Le Dr Sanon est ce que l’on appelle, dans le jargon spécialisé, un malere. Aux États-Unis, il est principalement connu pour avoir monté près d’une dizaine de compagnies qui n’ont été nulle part et pour avoir fait faillite après avoir traîné une dette de $400 000 dollars. Un peu brasseur, un peu dégageur, nous le retrouvons en Haïti accompagnant des pasteurs et médecins américains lors de « cliniques mobiles », propriétaire de télé et de radio (Vasco) ou encore en organisateur de voyages médicaux pour chrétiens. On le voit donc mal financer une telle opération, payer une trentaine de mercenaires à 2700 dollars par mois et organiser des réunions de planification à l’Hôtel Royal Oasis.
Hier, son frère demandait des prières à la communauté protestante de Boynton (Floride) pour que Dieu délivre le docteur accusé à tort. Aujourd’hui, un ami aurait expliqué à l’Associated Press que – tout comme pour le coup d’État raté du 7 février 2021 – Sanon aurait été contacté par des personnes prétendant représenter le Département d’État et le Département de la Justice américains et qui voulaient l’installer à la présidence, le Blan donc. Tout comme, pour le plan présenté par l’inspectrice Antoinette Gauthier, il s’agissait d’arrêter le président de la République et, ainsi de Sauver Haïti, avec le soutien du gouvernement américain.
La chose se tient. Au mois de décembre 2020, le plan de transition du Dr Sanon était déja bien établi. Un décret – écrit en anglais pour le bénéfice du Blan – offre les détails de la salvation Sanon. Lui – illustre inconnu – serait le Président lors d’une transition de 3 ans (article 1), avec un Premier Ministre choisi sur une liste de 3 personnes proposées par des éléments vitaux (? – of the lifeblood dans le texte) de la société, 72 heures au plus après son investiture (article 2). Ce Premier Ministre aurait la tâche de trouver un accord politique pour former un gouvernement (article 3) qui s’occupera de justice et de sécurité (article 4) et surtout sera un gouvernement de refondation de la République (article 5). Les trois derniers articles apportent de très vagues précisions. Suivent les signatures suspectes – elles ont visiblement été rattachées au document initial – d’autres patriotes convaincus.
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Ce plan d’une rare compétence a été envoyée au Blan. La liste de distribution ne concerne que des responsables américains et deux journaux haïtiano-américains: Haiti Libre et The Haitian Times. L’on peut voir comment – à se fier à la version présentée par l’ami du Dr Sanon – lorsque, le ou les « responsable(s) » américains se sont présentés à lui, il a pu se dire: ça y est, le Blan a reconnu le génie de mon plan et y adhère, j’ai l’onction du Blan, je serai bientôt Président d’Haïti.
Sur les réseaux sociaux haïtiens circulent des photos du Dr Sanon, travaillant, présumément à sa nouvelle Haïti: Somos Haïti. Un nom en espagnol, pour des discussions avec des vis-à-vis parlant espagnol ? La photo accompagnant le tweet promettant « le développement industriel et le redressement socio-économique d’Haïti », le présente en compagnie de James Solages – l’Haïtiano-américain, membre du « commando » accusé d’avoir tué le Président. Celui qui aurait déclaré avoir été employé comme « traducteur » est en treillis militaire, à gauche sur les photos. Une autre photo qui a fait le tour de WhatsApp aujourd’hui semble montrer le Dr Sanon, marchant aux côtés du Président Moïse alors que celui-ci discute avec des enfants. [En vrai, il s’agirait de celle d’un délégué départemental ressemblant au docteur.]
C’est que le Dr Sanon a l’habitude des projets pour sauver Haïti. Avant Somos Haiti, il travaillait, l’année dernière sur le projet Haiti Lives Matter – à qui nous devons le « décret » de décembre 2020 et dont même si le site web n’est plus, l’archive demeure. Sur la page Twitter défunte du projet – @HaitiMatter, créé en juin 2021 – la première publication date du 6 juin et partage un tweet de la Commission Politique Étrangère de la Chambre des Représentants des État-Unis d’Amérique. Le Blan y discute politique de l’administration Biden en Haïti. Le lendemain, 7 juin 2021, soit un mois tout juste avant l’assassinat du Président Moïse, le principe est posé: Port-au-Prince est dans un chaos total, un gouvernement de transition est inévitable. Ce jour-là, selon les informations combinées des police haïtienne et colombienne, les mercenaires accusés d’avoir assassiné le Président étaient déjà chez nous.

La figure du Blan est omniprésente céans. Elle évoque l’autorité. La même qu’il avait à la période coloniale et esclavagiste. La même qu’il semble conserver dans notre démocratie souveraine. Voilà pourquoi – même si le doute est à encourager face aux informations qui nous arrive cette semaine, quelle que soit la source – il est parfaitement envisageable qu’il ait suffi d’un DEA Operation! crié dans un mégaphone pour que certains membres de la garde présidentielle déposent les armes. Nous sommes, pour beaucoup, formatés – tout citoyens de la première république noire indépendante que nous soyons – à écouter le Blan, surtout quand il s’agit de la variante américaine. Le policier haïtien lambda face à une injonction de la Drug Enforcement Agency peut parfaitement s’incliner, sans demander plus. On ne sait jamais, il pourrait risquer de miner ses chances d’obtenir, un jour, le sacro-saint visa américain.
Du reste, ne venons-nous pas d’apprendre, via CNN, courtoisie du FBI, que plusieurs des mercenaires présumément impliqués dans l’assassinat étaient des informateurs pour la DEA et du FBI ? En attendant que le Directeur Général Léon Charles revienne nous donner – comme promis – les noms des deux personnes qu’aurait contacté le Dr Sanon, après l’assassinat; il serait peut-être utile de se questionner sur le fait que le Sud de la Floride semble jusqu’ici représenter le cœur de la conspiration.
« La figure du Blan est omniprésente céans. Elle évoque l’autorité. La même qu’il avait à la période coloniale et esclavagiste. La même qu’il semble conserver dans notre démocratie souveraine. » Vous faites exactement pareil en utilisant à tort et à travers le concept essentialiste de »Blan ». Pourquoi ne pas nommer les entités pour ce qu’elles sont (en l’occurrence, le gouvernement américain) plutôt que de réduire inlassablement les gens à leur couleur de peau ? La couleur de peau n’est pas un état d’esprit ou une idéologie. Vous déploriez dans votre blog des enfants haitiens qui croyaient que seuls les Blancs étaient astronautes, mais ne voyez-vous pas que vous participez vous-même à instiller l’idée que les « Blancs » sont fondamentalement différents des « Noirs » et seraient une espèce de catégorie homogène mue par une même idéologie?
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