Silence, on hurle !

Si vous faites partie de la Gen Z, c’est-à-dire que vous êtes né.e.s entre 1997 et 2012, et que vous vivez encore en Haïti, plus précisément dans la capitale, les sentiments qui vous traversent ne sont que déception, désolation, et incertitude. Mais le pire de tous, c’est l’incertitude. Les autres ne sont rien à côté d’elle. Car, dans l’incertitude, se retrouvent le stress permanent d’un avenir non assuré, de l’incapacité de se projeter, de la peur de recevoir une balle perdue en pleine fuite, avant que des hommes armés sans foi ni loi, n’envahissent, ne pillent, et ne mettent à feu et à sang.

Si vous êtes une femme, vous avez sans aucun doute peur de subir des viols collectifs. C’est devenu un sujet de conversation banal, comme acheter des épices. Mentalement, on se prépare. Au cas où.  On partage ce qu’on a vécu ou ce que d’autres nous ont raconté. J’ai entendu des femmes dire tout bas: “youn omwen, men lè 7 ap pase sou ou a…”.

Les femmes racontent lorsque la guerre a commencé. Au Bicentenaire. Lorsque tout cela ne faisait que commencer. Les viols se déroulaient sur l’asphalte boueuse où se mêlaient la sueur des gens qui courent pour s’échapper, de l’urine, de la défécation d’humains et d’animaux mélangés, du sang de celles et ceux qui ont succombé aux balles à Martissant. Les bandits alignaient les femmes et se faisaient la passe, comme on le ferait avec un ballon de foot.

C’était cela la monnaie de passage tendue à Charon, le barquier des Enfers, chargé de faire traverser le fleuve Styx aux âmes des défunts. Sauf que ce fleuve dans ce cas précis était la route de Martissant, ou le VAR, qui faisait le transit non seulement entre le centre-ville et Fontamara, et tout ce qui s’y trouvait après, mais aussi le royaume des vivants et des morts. Certaines étaient hissées sur les mêmes voitures qui les transportaient, ou sur les carcasses de voitures brûlées de victimes dépouillées, avant d’être soit tuées, ou pour celles et ceux qui en avaient la chance, libérées. Les femmes, elles, étaient retenues, toujours retenues. Et on estimait celles violées sur la route, à même le sol, au vu et au su de tous et toutes, les plus chanceuses, car il y avait celles qu’ils kidnappaient et qu’ils jugeaient trop juteuses pour juste avoir le loisir de partir après avoir été humiliées ainsi. Il y avait celles qu’ils faisaient entrer au village et là, elles subissaient le même sort que Hakim Rimpel aux mains de ses ravisseurs et pire encore. Violées jusqu’à saigner, par un nombre inimaginable d’hommes, et par des objets comme des armes à feu pour ensuite être laissées pour mortes. Et cela c’était le sort de celles qui étaient relâchées, les autres, elles, leur collaient une balle.

Des histoires qui font froid dans le dos. Le dos de chaque jeune femme à Port-au-Prince en ce moment. Le dernier rapport sur les violences faites aux femmes publié par Nègès Mawon, nous informe d’un total de 1 169 violences sexuelles perpétrées sur tout le territoire, recensées de janvier à novembre 2023. Aujourd’hui, nous avons certainement perdu le décompte. Non seulement il n’y a nulle part où obtenir justice, mais aussi plus que jamais les femmes sont réduites au silence, par crainte de représailles, ou tout simplement, parce qu’elles jugent cela inutile. Et qui peut oser les convaincre du contraire! 

D’ailleurs, elles sont en proie à des blessures qui tuent de l’intérieur, des douleurs, des traumatismes qui ne seront jamais soignés, jamais guéris. Ce sont là des histoires que j’ai ouï ça et là. Certaines victimes rencontrées au marché, en camionnette, dans la zone où je vis, ou simplement après le petit répit d’un “kouri”, où dans les rues, nous continuons de marcher assez rapidement pour rentrer mais aussi où les femmes expriment leur peurs, leur vécu entre elles. “Anmweeeyy, yo fè m kite Fontamara, m ale ak manman m Thomassin, m kite Thomassin m ale Carrefour Feuilles, yo fè m kouri kite l vin Turgeau, kounye a ki kote m pral kouri ankò…” m’explique une de mes amies.

Personne n’écoute ces cris de douleur. Bien que chaque jeune femme à Port-au-Prince les ressente dans sa chair en ce moment, ces cris de détresse demeurent largement ignorés. Relégués à plus. Les hommes qui nous dirigent jugent qu’il y a d’autres priorités. Selon eux, il y a bien plus urgent. Résultat, personne n’écoute les femmes. Alors que, au-delà des appels à l’aide, il y a cette douleur silencieuse partagée.

Enfin, en tant que militante des droits des femmes, j’ai pleinement intégré cette citation de Simone de Beauvoir : ‘Rien n’est jamais acquis définitivement. Il suffit d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Tout au long de votre vie, vous devrez rester vigilantes.’ Ici, en Haïti, les droits des femmes ne sont pas seulement remis en question, ils sont pratiquement inexistants. Demandez aux femmes haïtiennes, elles vous le diraient, si nous n’étions pas 52% forcées d’être aphones.

Musiciens de Palais

Le nouvel ambassadeur américain ne cache pas sa joie. Bientôt, il pourra présenter ses lettres de créance. Il était bien embarrassé, le pauvre ! Pensez-vous? Un ambassadeur que la rumeur disait avoir remis ses lettres de cabinet. Comme s’il était un vulgaire chargé d’affaires et même pas en pied.

Or, l’ambassadeur Hankins n’est pas n’importe qui. Au printemps 1997, officier politique à Kinshasa, il était réputé servir de liaison avec la rébellion. C’était à l’époque où Mobutu tombait pour que s’éleva Kabila. Le mois d’août précédent, le voisin rwandais, Paul Kagame, s’était rendu à Washington. Il y était allé pour se préparer à la nouvelle ère que préparait la rébellion zaïroise. Une rébellion que beaucoup considéraient alors comme la création (créature?) des Américains. À l’administration Clinton , Kagame, tel un Abinader avant l’heure, avait exposé le caractère dangereux du désordre du voisin congolais et réclamé l’intervention de l’aigle. De retour chez lui, il ne perdra pas de temps. Kabila, recruté par les Tutsis, est amené à Goma pour incarner la révolte contre Mobutu. The rest, comme on dit, is history.

Dennis B. Hankins possède donc un potentiel énorme dans le contexte actuel qu’on se doit d’apprécier à sa juste valeur. Conseiller en politique étrangère au Bureau de la Garde nationale, c’est un diplomate de carrière du rang de ministre-conseiller, qui, en sus de ses activités congolaises, fut ambassadeur en République de Guinée sous Barack Obama. Des rumeurs de lettres de cabinet, c’était lui faire offense.

L’ambassadeur Hankins n’est toutefois pas le seul ambassadeur arrivé en Haïti post-magnicide. L’administration Henry ayant dû se contenter, 31 mois durant, d’un président défunt, la présentation de lettres de créance était quelque peu délicate, mais plus maintenant. Certes, le Conseil présidentiel de transition n’a toujours pas de contenu officiel mais il est potentiellement chef de l’État et donc …

Ce matin, tout le corps diplomatique s’est rendu à l’installation du Conseil, comme il se doit. Comme ils l’ont fait pour Ariel Henry, puis pour le Haut Conseil de Transition et désormais pour le Conseil Présidentiel de Transition. La communauté internationale céans n’est pas regardante. Telle une musicienne de cour, elle donne ochan à qui de droit, à qui de facto.

Certes, la musique est parfois discordante et s’accélère, comme la fanfare présidentielle de ce matin, mais la musique est là. Elle accompagne. Tant qu’elle le peut. Avant d’être remplacée par le bruit des balles.

Que faites-vous tous.tes aux États-Unis?

Ces derniers temps, les États-Unis d’Amérique explosent toutes les statistiques du blog. Régulièrement. Pour tous les billets. Loin, très loin devant Haïti. Généralement le double. La France ou le Canada ferment le top 3.

Certains anciens responsables américains et haïtiano-américains ayant maille à partir avec la loi de ma bouche, j’ai pensé un certain temps que je devais être sur une liste de hate reading. Aujourd’hui, à tout hasard, j’ai consulté les statistiques d’ouverture des mails par les abonné.e.s et c’est là que j’ai compris. Vous avez déménagé aux États-Unis! Au moins la moitié de mes Haïtiens et Haïtiennes du pays sont désormais chez l’Oncle Sam. La découverte est belle !

Alors, dites-moi, les enfants ! Que devenez-vous ? Que faites-vous ? Vous vous rencontrez-vous régulièrement pour prendre un café, un thé, le poison de votre choix pour discuter pays et refaire le monde ? Je veux tout savoir. Vous avez mon adresse e-mail. Racontez-moi. J’ai hâte de vous lire !

Patricia

Un secteur privé d’affaires

J’ai vu passer la lettre du « secteur privé des affaires » au président kényan. Je n’ai pas réagi parce que ces associations, sans personnalité juridique, ne représentent finalement pas grand monde et n’ont donc d’importance qu’en prétendant en avoir. En ce sens, elles ne sont pas différentes des partis et autres regroupements politiques qui parlent au nom d’un pays qui ne les connaît guère, souvent même pas de nom.

C’est le propre de nos laideurs leaders de n’avoir aucune base, aucun bloc de solidarité, tout en prétendant diriger. Le dernier PSAR (2014) de la Banque interaméricaine de développement est clair. Le secteur privé haïtien regroupe un peu moins d’un million d’entreprises, dont 60 000 sont considérées comme petites (10-50 employés) et moyennes entreprises (50-250 employés). Les micro-entreprises représentent 93 % du secteur privé haïtien, il serait donc mieux servi par une association de celles-ci. Après tout, nous parlons d’un secteur dominé par l’agriculture, une activité économique financée presque totalement par les paysans eux-mêmes et qui emploie 51 % des travailleurs.

Pourtant les voix autorisées du secteur privé sont dans l’industrie du tourisme (0.39 % du PIB et 0 % du tourisme international dans la Caraïbe) et celui de l’import-export, surtout l’import – le textile représentant 90 % de nos exportations et 6 % de notre PIB. Sur quelle base donc des associations représentant moins de 10 % de notre PIB s’engageraient-elles pour nous ? Pourquoi le président Ruto, qui, nous le savons, attend surtout qu’on lui donne enfin son argent, se préoccuperait-il d’un secteur privé désargenté qui jusqu’à très récemment payait les gangs pour protéger ses biens et a ainsi directement contribué à faciliter leurs conquêtes de territoires.

Plutôt que d’écrire des notes, ces associations feraient peut-être mieux de contribuer à la cagnotte qu’il nous faudra nous résoudre à lancer pour financer cette mission d’appui. Qui sait? Cela pourrait marcher. Ce qui est certain c’est que ce sera une démarche plus utile que cette lettre.

La conférence nationale n’aura pas lieu

Toute l’après-dictature, il a été question, sous une forme ou une autre, d’organiser un dialogue national, une conférence internationale, ou les deux. À chaque transition, cette proposition, aussi régulière qu’un métronome, finit par s’évanouir dans le néant. Possiblement parce qu’il n’y a aucune intention sérieuse de mise en œuvre, les termes employés ne sont pas compris des acteurs, ou qu’il y a tout simplement plus urgent à faire. Ce qui semble certain, c’est que ces initiatives sont souvent utilisées de manière superficielle et/ou opportuniste, sans réel engagement à les concrétiser.

Il est quelques avantages à la tenue d’une Conférence nationale. Elle pourrait etre utile pour discuter de questions cruciales telles que la réforme constitutionnelle, en signalant l’ouverture au dialogue et la recherche de solutions inclusives. Une telle réforme toutefois, nous l’avons vu, devra attendre après les élections. Nous avons des considérations autrement plus pressantes vu l’urgence de la situation, le besoin de se concentrer sur les prochaines scrutins et la nécessité de légitimité démocratique, qui rendent impraticable l’organisation d’un tel événement.

Il ne faut pas perdre de vue qu’Haïti n’a pas tenu d’élections depuis huit ans, soit l’équivalent de deux mandats législatifs. De plus, le Conseil présidentiel fraichement nommé restera en place jusqu’en 2026, prolongeant ainsi à dix ans la période sans élections, couvrant deux présidences successives. Et, comment dire, il est difficile de croire aux velléités démocratiques de groupes qui semblent vivre de ces vides électoraux à répétition.

La démocratie ne peut se résumer à de faux événements participatifs où des personnes autorisées se rencontrent dans des hôtels internationaux pour s’écouter parler alors que le peuple est privé de son droit de vote. Les conférences nationales et autres initiatives participatives doivent compléter, et non remplacer, le processus électoral. En l’absence de processus électoraux réguliers, le peuple est privé de son droit fondamental de choisir ses représentants et de participer à la gouvernance de manière démocratique.

Les périodes prolongées sans élections favorisent l’enracinement du pouvoir entre les mains d’acteurs non élus. Nous en vivons actuellement les conséquences marquées par l’absence de reddition de comptes, de transparence et de légitimité du gouvernement. Dans une démocratie fonctionnelle, les élections régulières constituent un mécanisme essentiel pour assurer la légitimité et la responsabilité des gouvernements. Aussi, est-il urgent que des mesures soient prises pour garantir la tenue d’élections libres, justes et transparentes dans les délais les plus brefs afin de restaurer la confiance dans le processus démocratique et de répondre aux aspirations du peuple haïtien. La conférence nationale, le cas échéant, pourra se faire après.

Est-ce le bon moment pour rappeler qu’Ariel Henry n’a pas encore démissionné ?

L’avant-dernier considérant du décret créant le Conseil présidentiel rappelle qu’Ariel Henry, Premier Ministre de son état, ne présenterait la démission de son gouvernement que suite à la nomination d’un nouveau Premier Ministre. Pour ce qui le concerne, lui et son conseil des ministres, le conseil présidentiel a ses ministres en attendant une nomination qui peut ne jamais venir.

En dehors de l’absolue absurdité de la nomination d’un nouveau premier ministre lors même que l’actuel n’est pas démissionnaire – l’article 137.1 de la Constitution de 1987 dispose que le Président de la République met fin aux fonctions du Premier Ministre sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement – il est notable que l’installation du Conseil présidentiel dépend du Premier Ministre lui-même (article 12). Cette dépendance explique peut-être la nonchalance des deux derniers considérants de l’arrêté de nomination du CP, puisque le délai raisonnable dont il est question pour produire les pièces requises peut être décidé par le premier ministre lui-même, l’instance de nomination et conséquemment de révocation.

Dans le décret de création du CP, une confusion semble sciemment maintenue sur le terme « Premier Ministre ».

Le Premier Ministre prend les dispositions nécessaires en vue de l’installation du Conseil Présidentiel de Transition.

Article 12

Le Premier Ministre, en accord avec le Conseil Présidentiel de Transition, choisit les membres de son Cabinet Ministériel de manière incl

Article 7

Lequel? Ariel Henry? Ou celui que, selon l’article 6 du décret, le Conseil présidentiel doit nommer rapidement? Dans ce cas, un Conseil non installé peut-il nommer un Premier Ministre ?

Les articles 3 et 4 du décret ont peut-être la réponse :

Un acte règlementaire pris en Conseil des Ministres détermine l’organisation et le mode defonctionnement du Conseil Présidentiel de Transition.

Article 3, 2e paragraphe

Le Conseil Présidentiel de Transition exerce des pouvoirs présidentiels spécifiques de la présidence…

Article 4 – c’est nous qui soulignons

L’accord du 3 ou 4 avril 2024 n’ayant été mentionné ni dans le décret ni dans l’arrêté, le Conseil présidentiel ne sera vraiment défini que par l’acte de réglementation du conseil des ministres et, voyez-vous, un Conseil présidentiel est tout ce qu’on décide d’appeler ainsi – une assemblée de conseillers d’un président peut être désigné ainsi comme c’est le cas du Conseil présidentiel pour l’Afrique du président français Emmanuel Macron. Certes, l’article 4 précise que le CP exerce des pouvoirs présidentiels mais ces pouvoirs sont accompagnés de deux déterminants: un article indéfini et un adjectif qualificatif. Ils sont indéfinis et spécifiques. Autrement dit, tant que le conseil des ministres, et donc son président, n’en aura pas décidé, le contenu du rôle du CP peut tout aussi bien être celui de l’article 139.1 pour accréditer tous ces ambassadeurs empêchés de présenter leurs lettres de créance.

En attendant les membres du Conseil Présidentiel s’activent. Un de ses membres confie au Nouvelliste que l’une des premières décisions du Conseil une fois installé « sera de publier l’accord politique signé entre les parties prenantes et le décret qu’avait refusé de publier le Conseil des ministres ». Certes, il n’y a pas encore de date exacte mais « cela devrait se faire dans les prochains trois à quatre jours ». Mieux encore, les chefs de gouvernements de la Caricom seront invités. Finies les réticences quant au décret de création qui avait été promptement dénoncé et rejeté par les secteurs représentés au Conseil. Désormais, le Conseil se prépare à « prendre connaissance des dossiers de l’État ».

Je ne sais trop pourquoi mais tout cela me rappelle Perrette et son pot au lait. À moins que le CP ne se résolve enfin à faire un coup d’État dans les règles

Justice transitionnelle et criminalité ordinaire

La justice transitionnelle est généralement conçue pour traiter les crimes graves commis dans le cadre de conflits armés ou de régimes autoritaires, dans le but de rétablir la justice, promouvoir la réconciliation nationale et prévenir de futurs abus. Dans le cas de gangs criminels opérant dans un contexte de criminalité ordinaire, les principes de la justice transitionnelle ne sont pas pertinents et pour cause.

Babekyou, Izo, Lanmò SanJou, Ti Lapli, Vitelhomme et tous les chefs de gangs non inscrits sur la liste de sanctions de l’ONU sont motivés par des intérêts criminels: contrôle du territoire, trafics illégaux, enlèvements et autres extorsions. Leurs objectifs ne sont ni politiques ni idéologiques. Par conséquent, les méthodes traditionnelles de lutte contre la criminalité tels l’application de la loi et la poursuite judiciaire, sont les plus, voire les seules, appropriées.

Certes, certains « experts » comparent la situation en Haïti à celle de la Colombie avec les FARC, de l’Afrique du Sud pendant l’apartheid ou même de la guerre civile salvadorienne. Cependant, dans ses trois cas, comme dans tous les autres d’ailleurs, même si les forces révolutionnaires étaitent impliquées dans des activités criminelles, leurs objectifs était bien politiques, avec une base idéologique. Il s’agissait de situations de conflits armés internes impliquant des guérillas, des groupes paramilitaires, etc. En Haïti, les gangs opèrent en dehors de tout contexte de conflit armé, la justice transitionnelle ne les concerne pas.

L’idée même d’une commission justice et vérité dans un contexte de criminalité ordinaire, impliquant des gangs et des groupes criminels n’est pas seulement absurde, elle est dangereuse. Ne serait-ce que parce qu’elle leur accorde une légitimité et une reconnaissance qui validerait presque leurs activités criminelles. De cela à leur invitation à la table de négociations il n’y a qu’un pas, un pas qu’il faut se garder de franchir, un pas qui ne ferait que renforcer leur position et légitimer leur pouvoir; ce qui est contre-productif pour l’objectif de restauration de la sécurité et de l’État de droit.

Une telle action créerait un précédent dangereux qui risque de saper l’autorité de l’État et compromettre ses efforts visant à restaurer la sécurité et la primauté du droit. Pour lutter contre la criminalité (dés)organisée qui sévit dans le pays, le prochain gouvernement doit s’atteler à des réformes du système judiciaire et recourir à des mesures répressives signalant clairement aux gangs que la partie est terminée. Tout effort du gouvernement doit viser à améliorer les forces de sécurité, renforcer l’application stricte de la loi, et fournir un soutien aux victimes.

Certes, de initiatives de justice transitionnelle peuvent être adaptées pour aborder les problèmes de criminalité organisée et de violence endémique. User des mécanismes de vérité et de réconciliations pour exposer les liens entre les gangs et des autorités corrompues ou envisager la réintégration des membres de gangs désireux de quitter la criminalité pourrait être un moyen vers des réhabilitations qui nous permettront de repartir sur des bases plus saines. Toutefois, cette approche doit s’inscrire dans des stratégies de lutte contre la corruption, de renforcement des institutions judiciaires et des forces de sécurité et de rétablissement de l’ordre public. En aucun cas, elle ne peut servir de prétexte au traitement de crimes qui relèvent clairement de la loi pénale et qui doivent être traités en conséquence.

Ensuite, il sera temps de s’attaquer aux causes sous-jacentes de la criminalité, telles que la pauvreté, le chômage et le manque d’opportunités, par le biais de programmes incluant des initiatives de développement économique, d’éducation et de réinsertion sociale pour les jeunes susceptibles d’être recrutés par les gangs.

Les enfants de la Femme

Est-ce pécher que de faire des enfants? Le Lévitique 12:6-7 semble l’impliquer en exigeant, pour chaque naissance, un sacrifice en expiation. Mais peut-être ne s’agit-il là que d’une conséquence du péché originel prolongeant la punition de Genèse 3:16, condamnant la Femme à de grandes souffrances lors de l’accouchement. Pourtant Dieu commande de croître et de multiplier. À plusieurs reprises même. Avant le péché (Genèse 1:28) mais aussi après (Genèse 9:1; 9:7 et 35:11). Ce pourrait être simplement de la misogynie divine ordinaire, mais alors comment expliquer 1 Timothée 2:15, où il est clairement indiqué que la grossesse sauve la Femme ?

Dans Children of Men de P. D. James (1992), la grossesse de la Femme, enfin d’une femme nommée Kee, n’est pas seulement sa clé de salut mais celle de toute l’humanité. Une humanité frappée d’un mal mystérieux rendant, en l’an de grâce 2021, toutes les femmes infertiles sauf elle. Une humanité qui a dépassé de loin le stade actuel où, en 2024, surtout dans les pays dits développés, le taux de fertilité se trouve de plus en plus en dessous du seuil de remplacement. Ce qui est une invitation à réfléchir sur l’avenir d’une espèce où les femmes n’ont plus d’enfants, qu’elles ne le puissent pas comme dans le roman de James ou ne le veulent pas comme dans le monde actuel.

Le déclin de la natalité dans les pays riches s’explique par plusieurs facteurs tels que l’éducation, le choix de retarder ou de renoncer à avoir des enfants pour des raisons liées à la carrière, aux aspirations personnelles et à des préoccupations financières, ou encore l’accès à la contraception. Les femmes ont moins d’enfants parce que toute grossesse est un risque, parce que les enfants coûtent cher, ou tout simplement parce qu’elles n’ont pas envie d’être mères. Après tout, dans Children of Men, Kee, porteuse d’espoir pour l’humanité, n’est pas la protagoniste. Nous ne savons rien de son passé, rien de ses motivations, rien de ses rêves ou aspirations. Bien qu’elle soit centrale à l’intrigue, elle n’est qu’un dispositif narratif.

Le héros du roman est Theo Faron, un humain mâle, comme il sied au fameux Hero’s Journey de Joseph Campbell pour qui les femmes n’ont pas besoin de journey parce qu’elles sont là où l’homme doit se rendre. L’histoire est écrite par une femme, Phyllis Dorothy James, qui usera de l’abréviation P.D. pour faire plus sérieux; comme sera forcée de le faire une autre auteure d’une autre oeuvre centrant un homme devenue le plus grand succès de vente en librairie, après la Bible. C’est l’histoire du voyage de Theo, de ses luttes personnelles et de ses interactions avec différents personnages et factions:

  • Le gouvernement autoritaire, représenté par des figures comme Xan Lyppiatt, cousin de Theo et Gardien autoproclamé de cette nouvelle Angleterre dystopique, qui voit dans la grossesse de Kee un moyen de rétablir l’ordre et de consolider son pouvoir.
  • Les rebelles, comme les Cinq Poissons luttant contre le régime, qui considèrent la grossesse de Kee comme un symbole de résistance et d’espoir pour un avenir meilleur.
  • Les communautés de réfugiés luttant pour survivre au milieu du chaos qui voient en la grossesse de Kee la possibilité d’un avenir au-delà du désespoir.
  • Theo Faron et ses alliés qui considèrent la grossesse de Kee comme un moyen de donner un nouveau sens à leur vie et, accessoirement, de préserver le potentiel de rédemption de l’humanité.

C’est un choix narratif qui renforce la marginalisation de la figure centrale du roman. Nous ne savons rien de Kee mais, à travers Theo, nous explorons des thèmes tels que la rédemption, le sacrifice et la résilience de l’homme. Kee est là pour faire avancer l’histoire de Theo, créer de la tension, offrir de la profondeur. Theo protège Kee et son enfant parce que sa femme Julian décédée le lui avait demandé mais surtout parce qu’il y trouve un nouveau sens à sa vie et de l’espoir au milieu du chaos d’un monde mourant. La grossesse de Kee devient un rayon d’espoir au milieu des ténèbres, et Theo la voit comme une chance de redonner un but à sa vie. Kee – un surnom sans nom de famille – est un symbole, une précieuse opportunité pour l’humanité de surmonter sa crise d’infertilité et d’éviter l’extinction. Elle n’a pas d’agencement propre. Son rôle est d’être enceinte et de fournir, à une humanité désespérée, l’enfant qui la sauvera.

C’est peut-être là, la clé (key, Kee?) de la résistance des femmes modernes à avoir des enfants pour alimenter un système qui ne les conçoit que comme des machines reproductrices. Peut-être que les femmes ont moins d’enfants dans le monde réel parce qu’elles sont fatiguées d’être des dispositifs narratifs alors qu’elles devraient être au centre du récit? Les femmes dans la littérature et les médias sont régulièrement représentées comme étant périphériques ou secondaires par rapport aux protagonistes masculins, renforçant les stéréotypes de genre, et peut-être que les femmes n’ont tout simplement plus la patience. Ou peut-être que c’est ainsi que nous nous libérons du péché: la mort de la race humaine. Pas d’humain, pas de péché originel.

Le déclin de l’espèce humaine comme moyen de transcender ou de surmonter les fardeaux associés au péché originel pourrait être une solution poétique au problème. L’extinction de l’humanité devient une forme de libération des conséquences du péché, offrant la possibilité – à Dieu? – de recommencer à zéro sans le poids des transgressions passées.


Pour vos suggestions, puis-je recommander de préciser les récits bibliques que vous souhaitez me voir aborder? Si vous n’avez pas la référence exacte, je peux la retrouver mais certaines suggestions sont trop vagues pour que je puisse vous faire un billet. Comme d’habitude, le lien pour faire vos demandes est ici: https://ngl.link/laloidemabouche

Des traités de paix en l’absence de guerre

En 2011, dans un pays en proie à une violence endémique, le gouvernement décida de négocier avec les gangs dans l’espoir de réduire le niveau de criminalité. Ces pouparlers, qui ont bénéficié du soutien de l’Église catholique, d’acteurs de la société civile et d’organisations internationales, ont débouché sur La Tregua (Trève des Gangs), sorte d’accord informel entre l’administration de Mauricio Funes et les principaux gangs du pays dont la Mara Salvatrucha (MS-13) et Barrio 18. Cette trève comprenait un cessez-le feu et des mesures d’amélioration des conditions de vie des membres de gangs emprisonnés. Le cessez-le-feu n’a pas été respecté. En février 2013, les homicides recommencèrent à agumenter. Au mois de mai 2014, ils étaient passés à 14 en moyenne par jour. En 2015, le Salvador avait le taux d’homicides le plus élevé de tout le continent américain. La trève avait échoué.

Quatre ans plus tard, en 2019, un nouveau président, Nayib Bukele, prend le contre-pied de cette démarche et lance une offensive contre les gangs avec des opérations policières et des arrestations massives de personnes suspectées d’appartenir à des gangs. De 103 pour 100 000 habitants en 2015, le taux d’homincide est passé à 7,8 en 2023; soit une réduction de 92.4%. Un succès qui a conquis la population salvadorienne dont le soutien à la politique sécuritaire de Nayib Bukele serait de 92%. Un succès qui, l’année dernière, a vu la réélection du président avec 84,65 % des voix.

Au total, 75 000 membres de gangs présumés ont été emprisonnés. Et si des préoccupations existent en termes de respect des droits de l’homme et de l’État de droit, le président Bukele estime, que dans les cironconstances, le risque qu’un innocent se retrouve en prison est parfaitement acceptable et son peuple, à au moins 86.45%, semble d’accord avec lui. Après tout, qu’est-ce un peu d’usage excessif de la force et quelques atteintes aux libertés civiles entre amis?

En Haïti, le Conseil présidentiel de transition fraîchement créé semble plus Funes que Bukele. Sa démarche serait même plus ambitieuse. Plutôt que la trêve, il se proposerait de signer des traités de paix. Une proposition curieuse s’il en est, Haïti n’étant en guerre ou conflit ouvert avec aucune nation et la signature d’un traité de paix intervenant généralement à la fin d’un conflit armé ou à la résolution de différends internationaux.

L’inclusion d’une telle disposition dans l’accord semble en anticiper le besoin. À moins que le Conseil ne se prépare à déclarer la guerre, disons, à la République dominicaine pour cause de canal bloqué, nous sommes forcés d’en déduire que ces traités particuliers visent les gangs qui, s’évertue-t-on à nous répéter, seraient responsables d’une guerre civile et d’un génocide qui seraient en cours dans le pays.

Il serait sans doute utile au CP de comprendre non seulement que les négociations de l’État avec les bandits échouent toujours mais surtout les raisons pour lesquelles de telles initiatives ne se terminent généralement pas autrement. Au-delà du défaut de confiance mutuelle, des défits inhérents à la mise en oeuvre et au maintien d’un accord avec des groupes criminels, et même des pressions politiques et sociales, la cause première de ces échecs répétés est sans doute le fait que la résolution des problèmes de sécurité et de violence exige une approche combinant les mesures répressives de Bukele, la réhabilitation et la réintégration sociale suggérée par Lula quand le Brésil était à la tête de la MINUSTAH, ainsi que des efforts réels pour aborder les causes profondes des conflits et de la criminalité en Haïti.

Les recherches en politique, en relations internationales et en psychologie sociale s’accordent pour constater les faibles chances de réussite des négociations de ce type. En relations internationales, deux théories, celles du réalisme (Morgenthau, H. J. (1948) ; Waltz, K. N. (1979)) et de l’équilibre des menaces (Walt, S. M. (1987), Jervis, R. (1978)), expliquent la raison de tels échecs : 1) les acteurs étant motivés par leurs intérêts propres, définis en termes de pouvoir et de sécurité, les groupes criminels voient en ces négociations une opportunité de consolider leur pouvoir ou de gagner du temps pour se réorganiser, 2) les acteurs cherchant à équilibrer les menaces perçues dans leur environnement de sécurité, les concessions faites lors des négociations sont souvent perçues comme affaiblissant la position de l’État et finissent par provoquer une escalade de la violence plutôt qu’à une résolution pacifique.

La psychologie des groupes criminels (Abadinsky, H. (2016); Lyman, M. D., & Potter, G. W. (2018)) rappelle que ceux-ci sontr souvent caractérisés par des structures rigides, une culture de violence et des dynamiques de groupes favorisant la méfiance et la rivalité. Le chef de gang Lanmò SanJou ne vient-il pas cette semaine de tuer un de ses lieutenants et quelques-uns de ses « soldats » suspectés de se lancer dans une entreprise indépendante? Il est difficile dans de telles conditions de créer la confiance nécessaire pour des négociations fructueuses. Mais, de façon plus importante, et ainsi que nous l’explique la psychologie des confits (Kelman, H. C. (2008: 77-94); Bar-Tal, D. (2000: 351-365)), le traumatisme collectif, la perception d’injustice qui auraient pu icniter les groupes impliqués de respecter les accords conclus, ne sont pas du côté des gangs mais de celui de la population. Il est donc vain d’essayer de les y engager. Du reste, on ne négocie pas avec les terroristes.


PS: Pour celleux qui sont intéressés à creuser, les références dans le texte sont ci-dessous:

  • Théorie du réalisme :
    • Morgenthau, H. J. (1948). Politics among nations: The struggle for power and peace. Knopf.
    • Waltz, K. N. (1979). Theory of international politics. Waveland Press.
  • Théorie de l’équilibre des menaces :
    • Walt, S. M. (1987). The origins of alliances. Cornell University Press.
    • Jervis, R. (1978). Cooperation under the security dilemma. World Politics, 30(2), 167-214.
  • Psychologie des groupes criminels :
    • Abadinsky, H. (2016). Organized crime. Cengage Learning.
    • Lyman, M. D., & Potter, G. W. (2018). Organized crime (7th ed.). Pearson.
  • Dynamiques du conflit et de la résolution :
    • Kelman, H. C. (2008). Social-psychological dimensions of international conflict. In Handbook of Peace and Conflict Studies (pp. 77-94). Routledge.
    • Bar-Tal, D. (2000). From intractable conflict through conflict resolution to reconciliation: Psychological analysis. Political Psychology, 21(2), 351-365.

Petit guide de préparation d’enveloppe jaune pour futur conseiller présidentiel

Quand l’enfant avide demande du gombo chaud, on le lui donne au creux de la main. Aussi, Ariel Henry et son gouvernement semblent-il avoir résolu de réserver, pour la dégustation du futur Conseil présidentiel de transition, une écorce de canne accompagnée de ses fourmis.

Le décret portant création du conseil publié, le gouvernement attend des conseillers pressentis les documents attestant de la conformité de leur candidature aux exigences de l’article 2 du décret.

Suite aux engagements pris par le Premier ministre, Dr Ariel Henry, le Gouvernement de la République annonce que le Décret portant création du Conseil Présidentiel de Transition a été adopté en Conseil des ministres et publié aujourd’hui vendredi 12 avril 2024 au journal officiel Le Moniteur.
Les personnalités désignées par les parties prenantes pour faire partie dudit Conseil, sont invitées à soumettre au Secrétariat Général du Conseil des Ministres les pièces requises conformément à l’article 2 du décret susmentionné. Les documents doivent être déposés sous pli cacheté, soit au Palais National, soit à la primature, Villa d’Accueil, à Bourdon.

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La Primature attend de chaque candidat onze lots de pièces dont certaines exigent des démarches hautement compliquées et incroyablement fastidieuses en ces temps troublés:

  1. Un Certificat de bonnes vies et moeurs de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) qui, depuis quelque temps, a cessé d’en livrer.
  2. Toujours à la DCPJ, un Certificat de police attestant qu’il ne fait l’objet d’aucune accusation ou de poursuite pénale.
  3. Un extrait de casier judiciaire pour confirmer qu’il n’a été condamné par aucune juridiction.
  4. La liste de sanctions du Comité 2653 du Conseil de Sécurité de l’ONU pour vérifier qu’il n’est pas sur la liste.
  5. Un affidavit signé par un notaire attestant qu’il n’est pas candidat aux élections
  6. Un second affidavit toujours signé par un notaire certifiant qu’il ne s’oppose à la Résolution 2699/2023 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies autorisant le déploiement de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité
  7. Un titre de propriété pour satisfaire à l’exigence constitutionnelle
  8. Toujours pour satisfaire à l’article 135 de la Constiution, une lettre de travail (de l’employeur), une carte professionnelle (du Ministère du Commerce) ou une patente (de la Direction Générale des Impôts) attestant qu’il exerce une activité professionelle en Haïti.
  9. Des passeports, l’acte de naissance du candidat, l’acte de naissance de ses parents pour confirmer la nationalité haïtienne d’origine.
  10. Un certificat de domicile dans la commune de résidence délivré par le maire ou un jude de paix.
  11. Un certificat de décharge à retirer de la Cour Supérieure des Comptes dans le mandat des membres a expiré et dont la récente prorogration est de moins d’un mois – sauf s’ils ont été ministres auquel cas, ils devront composer avec l’absence du Parlement qui, d’après l’article 233 de la Constitution de 1987 devait lui donner décharge. Heureusement, un jour avant son assassinat, le président Jovenel Moïse avait accordé une décharge collective.

Le décret ne fait pas de référence à un CV ou une lettre de motivation mais cela ne peut nuire, surtout si la nouvelle compétence d’empathie s’étend au Conseil présidentiel. Ceci dit, nous avons affaire ici à des habitués de la politique haïtienne, ils sauront s’y prendre; ils en ont vus d’autres et comme le veut un proverbe camerounais, il n’y a pas de femme vierge dans une maternité.