C’est le propre de ce blogue que de désespérer de notre rapport au temps, de nos pertes de mémoire, et de notre penchant pour l’éternel retour. Nous allons donc rester dans et honorer nos traditions. Voyez-vous, depuis les évènements de ce mardi au Canapé Vert, je reçois des messages nombreux d’ amateurs de guerre civile ravis de pouvoir démontrer combien j’avais tort de nier l’évidence. En clair, quelq’un a tort sur Internet et il est pour ainsi dire de mon devoir de vous inviter à faire, encore une fois, un saut vers un passé pas trop lointain.
C’était en l’an 2000. L’année où le fameux bogue informatique devait causer la fin du monde qui, comme à son habitude, n’a finalement pas eu lieu. En Haïti, toutefois, l’espoir était encore permis. C’était une année électorale et pas n’importe laquelle. C’était l’année qui devait préparer le retour de Jean-Bertrand Aristide au pouvoir après le quinquennat pas toujours loyal de son marasa, René Préval.
L’année est marquée par l’insécurité, la violence et des assassinats, notamment dans le camp de l’opposition à Lavalas. Initialement prévues au printemps , les élections législatives ont dû être repoussées en été. Pour des raisons de sécurité, la campagne électorale se déroule sans grandes réunions publiques. Elle se fait toutefois particulièrement vicieuse avec des candidats s’accusant les uns les autres des pires crimes sans se donner la peine de forunir la moindre preuve.
Le parti Lavalas crie à la violence verbale. Il se voit opposer les assassinats dans le camp adverse. Dans un entretien accordé à la télévision nationale, l’ancien député de Pétion-Ville Alix Fils-Aimé et alors candidat indépendant au Sénat, se fait pessimiste :
Ma foi, si nous voyons que les choses sont ainsi, peut-être vaudrait-il mieux que nous arrêtions maintenant, nous nous faisons la guerre les uns aux autres, quitte à voir ensuite comment les choses se passeront.
Traduction libre de l’auteur
La rhétorique n’est pas nouvelle. Le dictateur François Duvalier s’en est même servi pour se propulser à la tête du pays. Ce, alors que, même la crise de 1806 – suite à l’assassinat de l’Empereur Jean Jacques Dessalines – n’a pas réussi à nous faire tomber dans la guerre civile. Comment donc expliquer la persistance de ce rêve familier affreux d’une bonne guerre civile pour vider notre contentieux ?
Peut-être voulons-nous tester sans cesse notre devise pour ne jamais perdre la conviction que « l’union fait la force ». Peut-être que nous sommes traumatisés par nos échecs répétés à établir l’État haïtien. Peut-être même que, depuis 1804, nous attendons les fins violentes que promettaient les plaisirs violents d’une indépendance arrachée dans le sang – le nôtre et celui du colon. Toujours est-il que cette phase violente aussi incessante qu’inévitable n’arrive jamais.
Les vagues de violence viennent et vont. Des zenglendo après le premier coup d’État contre Aristide, nous sommes passés aux chimè aux alentours du second coup d’État contre Aristide et nous voilà depuis quelques années la proie des gangs. Accessoirement, cette progression du créole (zenglen) au français (chimères) puis l’anglais (gang) pour désigner nos bandes criminelles mérite sans doute qu’on s’y intéresse mais je laisse cette tâche aux linguistes. De façon importante toutefois, et avec une régularité de métronome, le peuple haïtien finit par en avoir assez et décider de se faire justice: machette à la main et Père Lebrun jamais loin.
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