Pour E. qui rêve d’un Kagamé pour Haïti et à qui j’ai promis d’entrouvrir une fenêtre sur ce qu’un tel vœu pourrait bien signifier.
Ce samedi, 5 octobre 2019, le Président rwandais Paul Kagamé était à Bonn, en Allemagne, pour le Rwanda Day. Cet événement qui, tous les deux ans, rassemble la diaspora rwandaise est l’occasion de parler affaires, investissements mais surtout de parler et écouter Kagamé. Officiellement, il s’agit d’une plateforme où des milliers de Rwandais de l’étranger peuvent se retrouver pour travailler sur des solutions aux défis auxquels fait face leur pays et de faire avancer son développement.
Cette année, la grande messe met le cap sur le futur: « Rwanda25: Owning our Future ». Elle évoque des images de liberté dans un pays aux mille collines où, en dépit d’un soutien réputé quasi-unanime de la population au Front patriotique rwandais (FPR), les membres de l’opposition ont la mauvaise manie de se retrouver assassinés.
Au début du mois de mars 2019, le porte-parole des Forces démocratiques unifiées du Rwanda (FDU-Inkigi), Anselme Mutuyimana, est retrouvé mort étranglé dans la forêt nationale de Gishwati, au nord-ouest du pays. Le jeune homme de 30 ans était l’assistant de Victoire Ingabire, condamnée à 15 ans de prison pour actes terroristes, insurrection et « idéologie de génocide » – lire elle a voulu se présenter à la présidence.
Les charges ne sont pas nouvelles. Les mêmes ont été retenues contre d’autres membres du parti tels Boniface Twagirimana qui a « disparu » de sa cellule de prison, Illuminée Iragena qui a été portée disparue, Jean Damascene Habarugira qui a disparu alors qu’il devait rencontrer un responsable local de l’État ou le dernier en date Syridio Dusabumuremyi, poignardé le 24 septembre dernier au sortir de son travail; contre des membres d’autres partis d’opposition et des journalistes comme Phocas Ndayizera de la BBC; et même contre des chanteurs évangéliques comme Kizito Mihigo dont la chanson ci-dessous sera interdite par Kigali et le verra arrêté pour « menace contre l’État » avant d’être condamné à dix ans de prison pour « conspiration contre le gouvernement ».
Le cas de Mihigo est particulièrement intéressant. Musicien rescapé du génocide et militant de la réconciliation, le jeune musicien, écrit la BBC, est souvent présenté par le Président Kagamé comme un modèle à suivre pour les jeunes. En 2011, il reçoit le prix CYRWA (Celebrating Young Rwandan Archivers) de la fondation de la Première dame, Jeannette Kagamé. En 2013, l’Office rwandais de la gouvernance retient la Fondation Kizito Mihigo pour la Paix (KMP) parmi les 10 meilleures ONGs locales ayant favorisé la bonne gouvernance. La même année, le très pro-gouvernement The New Times le sacre deuxième homme le plus sexy du Rwanda. Un an plus tard, quelques jours avant la commémoration du vingtième anniversaire du génocide rwandais, il remet en question le programme Ndi Umunyarwanda– Je suis rwandais – du gouvernement encourageant tous les Hutus à demander pardon pour leur rôle dans le génocide. Le chanteur gospel ose:
Je suis rescapé du génocide mais ce n’est pas pour autant que j’ignore la souffrance des autres … la mort n’est jamais bonne, que ce soit du génocide, de la guerre ou des vengeances.
https://youtu.be/S2n8hTQl2lI
Voilà le crime acté. Au Rwanda, une Commission nationale de lutte contre le génocide mène la lutte contre « l’idéologie du génocide ». Instituée par la Constitution de 2003, elle a été formellement établie par la loi Nº09/2007 du 16 février 2007 pour « prévenir et combattre le génocide, son idéologie et surmonter ses conséquences ». Cette prévention semble s’étendre à la moindre référence aux crimes de guerre commis au Rwanda et au Congo par le FPR; ce qui peut vite se révéler un moyen pratique de garantir l’impunité et de museler des opposants. Mihigo voulant allier la réconciliation à une vérité historique moins manichéenne que celle de Kagamé est devenue une voix dissonante dans ce concert de louanges. A son procès, même à plaider coupable, à supplier le Président et à promettre de ne plus se laisser influencer, il ne réussit guère à faire fléchir son juge. Il sera libéré, par la grâce présidentielle, le 14 septembre 2018, en compagnie de Victoire Ingabire Umuhoza, ayant bien appris sa leçon quant aux démangeaisons qui pourraient lui prendre lui et la jeunesse rwandaise qui le suit d’être politiquement actifs.
Naturellement, la vision que nous avons du Rwanda en Haïti est toute autre. Elle s’exprime en termes de paix et de sécurité (au prix du silence), de parité au Parlement rwandais (sans pouvoir réel), de croissance de classe moyenne (du fait de chiffres trafiqués), d’assurance maladie, de projets de développement et de taux de croissance à deux chiffres du PIB. Certes, Paul Kagamé a réussi à transformer le Rwanda post-génocide. Même surestimées pour les relations publiques, les avancées sont réelles. Aussi, le Président rwandais n’hésite-t-il pas à inviter les journalistes étrangers et autres personnes intéressées à ce qui se passe au pays des milles collines de « demander au peuple rwandais »- un projet bien difficile quand on y connait le niveau de répression contre qui ose exercer la loi de sa bouche.
Sur ce blogue, ne pas laisser les autres avoir la loi de leur bouche alors qu’on ne se prive guère d’user de la sienne est sacrilège, mon inquiétude face à la fièvre pro-Kagamé céans en est donc une de principe. Mais pas que. Comme je le disais à un ami qui semble, parfois, prêt à oublier les exactions du régime de Kigali pour quelques miettes de développement, il importe que les progrès du Rwanda soient relativisés. Le Rwanda fait partie, avec Haïti, du Top20 des pays les plus pauvres de la planète. Par ailleurs, chiffres manipulés nonobstant, l’extrême-pauvreté est en net recul partout à travers le monde – y compris, vous l’aurez deviné, chez nous, en Haïti. A l’exception du taux de croissance économique à double chiffre – et quand une économie est petite le moindre progrès fait l’effet d’un bond – les indices brandis pour le Rwanda sont surtout affaire de « branding » et le « branding », nous l’avons vu, ne suffit pas pour arriver au bien commun. Tandis que la République de Kigali brille de mille feux, les inégalités se creusent et les ruraux s’appauvrissent.
D’après la Review of African Political Economy (ROAPE), une fois le seuil de la pauvreté réajusté par rapport au panier de la ménagère, plutôt que d’avoir diminué de 6%, la pauvreté au Rwanda aurait augmenté de 6% et donc plutôt de s’approcher de Singapour, s’approcherait du Soudan du Sud. Même en laissant de côté le détail non négligeable d’un Etat recevant un milliard de dollars par an sous forme d’appui budgétaire, c’est difficilement le modèle d’efficacité qu’on s’acharne à nous vendre. Pourtant, il est des pays, même en Afrique subsaharienne qui font au moins tout aussi bien que le Rwanda, avec le bénéfice de la démocratie. On peut penser au Bénin qui, comme nous, a entamé sa transition démocratique en 1990 et a été deux fois classé parmi les 10 pays les plus réformateurs au monde par le rapport Doing Business de la Banque Mondiale tout en gardant sa place dans le top 10 des démocraties africaines. Il est aussi le Cap vert qui, en 2008, a réussi le rare exploit de sortir de la catégorie des pays moins avancés tout en étant une démocratie exemplaire dont le modèle est présenté en exemple par la Banque africaine de développement convaincu qu' »un pays pauvre n’a pas les moyens d’adopter des politiques de riches ». En fait, c’est toute l’Afrique qui accuse une croissance positive, aussi peiné-je à comprendre cette obsession pour le Rwanda et sa manie de rendre l’autoritarisme sexy.
Nous n’avons pas besoin d’un Kagamé. Nous avons fait le plein de gouvernements autoritaires pour des résultats régulièrement abyssaux. Il nous reste à essayer la démocratie. Il paraît que c’est bon pour la santé.
Bon, j’habite aux Etats Unis, ou la democratie bat son plein mais , Je voudrais quand meme signaler que les inegalites persistent ici aussi et ne cessent d’augmenter. L’enlargement de l’espace entre les riches et les pauvres est une function de l’humanite et non pas des type de gouvernement ou des qualite des leaders. Le pouvoir de l’argent aux US peut creer des suppressions enormes. On peut manipuler les indices economiques comme on veut pour appuyer quelle que soit la theorie, mais c’est difficile de mepriser le travail de Kagame et de minimizer le changement positif apporte par son movement pour le Rwanda.
Jp.
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Patricia hasn’t minimized Rwanda ‘progress. She is suggesting a more balanced analysis. Many Haitians have the tendency to claim authotarism as the only path to development. There are better examples than Rwanda.
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