Ceux qui ont la tâche de sauver Haïti et ceux qui en profitent

Ces derniers jours , je reçois beaucoup d’appels d’exilés volontaires me demandant si je vois, dans un horizon proche, un retour à la normale. Les derniers mouvements de foule chassant des bandi dans différents endroits du pays semblent leur redonner espoir. Ils se réjouissent de ce réveil du peuple qui va bientôt leur permettre de rentrer en Haïti, reprendre possession de leurs maisons, de leurs affaires, de leurs vies. Certes, les quelques instances de lynchage et ce retour en force du père Lebrun sont quelque peu disgracieux mais ces criminels ont tellement pourri nos vies qu’on peut difficilement les plaindre, n’est-ce pas ?

J’ai envie de répondre: mais vous n’avez vraiment aucune gêne ?!? Vous êtes vraiment partis vous installer au chaud chez le Blan à attendre que les puant-fort et les gros souliers vous sauvent à nouveau la mise ? Êtes-vous à ce point inconscients que vous ne vous rendez même pas compte de l’immoralité d’une telle question ? Je me contente d’un hmmm. Sur ce blogue, comme ailleurs, je n’ai plus de coup de gueule. Je reste zen. À tout le moins, j’essaie. Ces derniers temps, je m’essaie à la gratitude. Je dis merci à la vie, à l’univers, à la chance que j’ai d’exister en ce moment précis de l’espace-temps.

Ce n’est pas de tout repos. De temps en temps, j’ai envie de hurler, de crier à certains leurs quatre vérités, de dire ce qui me dérange dans cette société où l’exploitation de l’autre va jusqu’à celle de son ras-le-bol avec l’espoir qu’il délivre ses bourreaux des conséquences du système qu’ils ont créé pour l’exploiter. C’est un niveau de perversion qui dépasse l’entendement. Une plongée dans les bas-fonds les plus sordides de l’humanité. Et cette plongée elle est faite par des gens tout ce qu’il y a d’ordinaire, des preuves vivantes de l’extrême banalité du mal.

Je me retiens toutefois. Gratitude. Prioriser le bien-être émotionnel. Se focaliser sur le positif. Être reconnaissant pour tout ce qui va bien dans nos vies. Les gangs envahissent nos quartiers mais nous réussissons tout de même à fuir. Gratitude. Les membres de gangs commettent des massacres, kidnappent et violent nos compatriotes mais leurs sponsors présumés sont sanctionnés à l’international. Gratitude. Le pays plonge dans le chaos dans l’indifférence générale mais il y a le programme Biden. Gratitude!

Je suis en gratitude parce que j’ai réussi à me terrer bien loin de la capitale où je ne passe plus que pour transiter d’un aéroport à l’autre. À l’immigration, on me demande pour combien de temps je suis là : une semaine, deux semaines … C’est suspect. Je dois cacher un désir de m’installer définitivement ou un truc. Sauf que, voilà, c’est la quatrième fois, cette année. Ce doit être autre chose. Mais il n’y a pas de prétexte évident. On me laisse passer. À un dîner quelconque, la question revient, naturellement, quasi-contractuelle désormais. So, you’re going back to Haiti, tu repars en Haïti ? Oui, dans deux jours, cinq jours, une semaine. La réponse aussi, tout aussi naturellement: Hmmm.

C’est qu’il y a une division du travail clairement établie dans toute cette histoire. Il y a celleux qui sauvent Haïti et celleux qui en profitent. Moi, je veux être des deux. C’est suspect. J’ai longtemps dit que je ne partirais pas. Je le maintiens. Aucune crise politique aussi profonde soit-elle ne me fera laisser Haïti. Tant qu’à mourrir un jour, autant que ce soit chez moi.

Je formule toutefois le vœu que, cette fois, les bourriques ne travaillent pas uniquement pour galonner les chevaux. Et je vais y veiller.

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