Ce 7 février 2023, 37 ans après avoir renversé la dictature, Haïti se retrouve, sans élus, sous l’emprise de civils armés, avec un médecin comme chef d’État. Heureusement que le 7 février, date symbolique de l’investiture du président de la République, ne veut plus rien dire. Sinon, imaginez le serrement de cœur que nous éprouverions, aujourd’hui, à ce triste constat. À défaut d’élus, nous avons, depuis hier, trois Haut Conseillers dont une des priorités est l’organisation d’élections.
La communauté internationale se veut optimiste. L’ambassadeur français se fait lyrique. L’ambassadeur canadien dégaine son créole. Le sous-secrétaire américain pour l’hémisphère occidental salue et encourage. Les trois appellent à la trêve, à la flexibilité et au consensus.
Le Bureau intégré des nations unies en Haïti (BINUH) et le Dr Ariel Henry ne sont pas en reste. Le consensus pour sauver Haïti est en marche. Cette installation, nous assure, monsieur Henry est le « commencement de la fin du dysfonctionnement de nos institutions démocratiques ».
Le Dr Henry doit savoir de quoi il parle. Le 5 mars 2004, 10h 15 AM, il avait lui-même installé comme membre du Conseil des Sages par la Commission tripartite de transition – une commission formée deux jours plus tôt dans le cadre du plan de paix de la communauté internationale. Dans un communiqué de presse publié le 6 mars sur le site de l’organisation des États américains (OEA), nous apprenons que :
Le Conseil des Sages a été invité à rencontrer, le jour même, la Commission Tripartite et les représentants du Groupe International de Travail sur Haïti (Allemagne, Canada, Etats Unis d’Amérique, France, OEA/Organisation des Etats Américains, Union Européenne) au local de l’OEA à 2H30 pm.
C’était après le second coup d’Etat contre Jean-Bertrand Aristide. Des chefs de gangs , chimères et autres armées cannibales menaçaient d’entraîner le pays dans une brutale descente aux enfers et il s’agissait de vite reprendre la main. C’était avant le lancement, au mois d’octobre 2004, de la fameuse opération Bagdad et les deux années de terreur qui suivirent. Deux années d’assassinats, de viols et de kidnappings.
Dans sa tribune du 16 mars 2004 initialement publiée dans le Wall Street Journal, M. Kofi Annan, le Secrétaire général de l’ONU d’alors, insiste sur la nécessité pour la communauté internationale de « bien faire les choses*. » Haiti: This time we must get it right », titre – t-il. L’article commence par un aveu de fatigue :
Not again!” was the instinctive reaction of officials in the United Nations and in national governments early this year, when it became apparent that Haiti, the poorest country in the western hemisphere, was sinking rapidly into chaos, and the idea of a new international intervention began to be discussed.
« Oh non, pas encore! ». Telle a été la réaction instinctive des responsables des Nations Unies et des gouvernements nationaux au début de cette année, lorsqu’il est devenu évident qu’Haïti, le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, sombrait rapidement dans le chaos, et que l’idée d’une nouvelle intervention internationale a commencé à être discutée.
Il se termine sur un appel à s’investir sur le long terme:
The stakes are high – above all for Haitians, but also for us. Getting it right this time means doing things differently. Above all, it means keeping international attention and resources engaged for the long haul.
Les enjeux sont importants – surtout pour les Haïtiens, mais aussi pour nous. Bien faire les choses cette fois signifie faire les choses différemment. Par-dessus tout, cela signifie maintenir l’attention et les ressources internationales engagées à long terme.
Le groupe international de travail sur Haïti – sorte d’ancêtre de l’actuel Core Group avant que, évolution de la Minustah oblige, l’on y ajoute le Brésil – sert à maintenir cette attention. La commission tripartite de transition en est l’émanation.
Formée d’un représentant Lavalas (Leslie Voltaire, ministre des Haïtiens vivant à l’étranger), un représentant de l’opposition (Paul Denis de l’OPL) et un représentant de la communauté internationale (Adama Guindo, représentant permanent de l’ONU en Haïti), la commission était chargée nommer le Conseil des Sages qui était, à son tour, chargé nommer un premier ministre provisoire en remplacement d’Yvon Neptune que, accessoirement, le nouveau gouvernement – installé le 12 mars – finira par garder deux ans en prison juste parce que.
Le Conseil des Sages était composé de 7 membres réputés représenter divers secteurs de la vie nationale : Lamartine, Clermont (Église catholique), Anne Marie Issa (secteur privé), Danielle Magloire (droits humains), Paul Émile Simon (Lavalas), Jean-Marc Donald (Église épiscopale), Christian Rousseau (Université d’État d’Haïti), Ariel Henry (opposition à Aristide). Le 9 mars 2004, le Conseil nomma, en la personne de Gérard Latortue, un premier ministre … et ce fut à peu près tout. Il était pourtant question au début de consultation, voire de contrôle, de l’exécutif mais la nouvelle Primature n’en avait cure.
Le Conseil disparaîtra avec le retour au pouvoir, le 14 mai 2006, de René Préval, ancien président de la République et ancien premier Ministre marasa d’Aristide.