Nous savons déjà comment résoudre le problème des gangs

Le 22 novembre 2005, l’Ambassade américaine invitait ses employés diplomatiques à revenir en Haïti, juste à temps pour les élections. L’été précédent, aux mois de mai et juin 2005, elle les avait évacués, eux et leur famille, pour raisons sécuritaires. Cinq mois plus tard, les choses s’étaient suffisamment arrangées pour que l’Ambassade fasse revenir les siens.

Le deuxième coup d État contre le Président Jean-Betrand Aristide avait plongé le pays dans le chaos. Des partisans avaient lancé en représailles l’opération Bagdad entre meurtres indiscriminés et kidnappings généralisés. En 18 mois, la Commission Justice et Paix avait enregistré 1200 morts et le Miami Herald (7 décembre 2005) faisait état de 8 à 10 kidnappings par jour … contre des rançons évaluées à 50 millions de dollars sur l’année (Kathleen Desravines, 2007). À l époque, l’Ambassadeur américain James Foley se plaignait, en privé, du laxisme du commandement brésilien de la Mission des nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Dans un câble à Washington en date du 1er juin 2005, il expliquait, sans détours, qu’il ne croyait pas l’ONU et les Brésiliens à la hauteur de la tâche. Ils ne pourraient pas adopter l’approche énergique nécessaire. Le 3 juin 2005, en public, le premier ministre de la transition, Gérard Latortue, se lamentait de la stratégie de la MINUSTAH. Il n était pas le seul. Les critiques contre l’inaction (réelle ou perçue) la mission onusienne étaient nombreuses et s intensifiaient. Celle-ci commença par s’en défendre – elle ne pouvait se lancer dans une violence aveugle – mais tout cela allait bientôt changer.

Le 6 juillet 2005, le général brésilien Augusto Ribeiro Heleno de la Mission des nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) prenait le contrôle de Cité Soleil après une fusillade de sept (7) heures où les casques bleus ont utilisé plus de 22 000 balles. Baptisée Poing de fer, l’opération intervenait en réaction à l’attaque d une patrouille de l’Onu par un homme armé. La police fit état de quatre (4) bandits tués dont un certain Dread Wilmé. Naturellement, bientôt nous apprîmes que, 22 000 balles ne tuent pas que 4 bandits. Il appert que 22 000 balles, 440 soldats de l’Onu, 41 hélicoptères et véhicules blindés, cela tue aussi des civils. Le responsable d’alors du Comité des avocats pour le respect des libertés individuelles (CARLI) – et actuel Protecteur du Citoyen – Renan Hédouville parle d un nombre indéterminé de victimes civiles parmi lesquelles des femmes et des enfants. Ce que l’Onu dément. Médecins Sans Frontières aurait traité une trentaine de blessés le lendemain. Les riverains qui, quelques années plus tard, m assuraient avoir vu plusieurs des leurs tués, auront sans doute vécu une hallucination collective. Toujours est-il que, avec cette entrée en matière, la MINUSTAH avait décidé que l’heure était à la (contre) attaque.

Les États-Unis d’Amérique l’avaient déjà compris, lorsque, en 1994, en pleine invasion opération de paix et de retour à la démocratie, ils oblitéraient qui les attaquait, sans réaction aucune. Certes, le souvenir de Mohamed Farah Aideed et de Mogadishu était encore frais, mais Haïti n’était pas la Somalie. Aussi, l’Onu reprenait-elle au fur et à mesure suffisamment confiance en elle pour adopter la méthode plus énergique – merci Foley – des États-Unis. Et pas qu’en Haïti. En 2005, le Congo, la Sierra Leone ou encore le Libéria bénéficieront tous de cette approche plus agressive d’une institution de la paix.

Après son poing de fer à Cité Soleil, le général Heleno s’attela à  ramener l ordre au Bel-Air – qui eut aussi son lot de dommages collatéraux – avant de passer la main, en septembre 2005, au lieutenant-général Urano Teixeira da Matta Bacellar – qui se suicidera, 4 mois plus tard, dans sa chambre d hôtel au Montana. Des mauvaises langues – lire Leonel Fernandez, le président dominicain d’alors – y virent la main d un certain Guy Philippe, rebelle armé par les États-Unis d Amérique pour renverser le Président Aristide et qui s’impatientait de la réticence de Bacellar à utiliser la force contre Cité Soleil, malgré la pression de Washington et du Groupe des 184 de Réginald Boulos (alors président de la Chambre de commerce) et André Apaid (du secteur de la sous-traitance). Puis, tout alla très vite.

Le Core Group récemment constitué apporte son soutien au nouveau général brésilien José Elito Carvalho Siqueira, choisi pour remplacer le suicidé et connu , précise la radio Métropole, comme un adepte de la ligne dure . Les élections de 2006 sont organisées sous forte escorte onusienne. René Préval – le candidat des bandits selon Boulos qui s attèlera sans succès à l’évincer de la course présidentielle – est élu, dès le premier tour , pour un second mandat. Les meurtres et les kidnappings baissent. Le nouveau président de la République lance une campagne de désarmement des gangs – DDR, démobilisation, désarmement et réinsertion – offrant nourriture et formation professionnelle en échange des armes. Au mois d’octobre 2006, à la demande du Président Préval, les États-Unis d Amérique lèvent l’embargo sur les armes – qui durait depuis 15 ans – de façon à permettre aux forces de police (et à l’Onu) de restaurer l ordre. Pour l’administration Préval-Alexis, Haïti est en guerre contre des terroristes politiques et, dans le monde, la guerre contre le terrorisme a le vent en poupe.

L’année 2007 vit s’intensifier la lutte contre les gangs. En particulier, la MINUSTAH arrêta le puissant chef du gang de Boston, Evans Jean. Les kidnappings et la violence généralisée chutèrent au plus bas. Préval réussissait son pari. En 2008, l’appareil sécuritaire continua de se renforcer et la violence à décliner. Mais la résurgence de 2018 s’annonçait déjà. La crise alimentaire qui coûta son poste à Jacques Édouard Alexis; l Ouragan Gustav qui créa sa propre mini-crise alimentaire et la situation de précarité générale qui préfigurait déjà la crise humanitaire.

Nonobstant, en 2009, la guerre contre les gangs est considérée comme terminée. Nous voilà en paix. Préval, c’est la loi HOPE, les routes de province, moins de 40 gourdes pour un dollar, et, bien sûr PetroCaribe – avec un réel potentiel d’être le programme de coopération le plus avantageux de notre histoire. Tout va bien. Mais uniquement en surface. Les problèmes restent entiers. Les populations des zones dites de non-droit, pour ne plus être sous la coupe d un chef de gang, ne retrouvent pas plus le droit. Elles sont toujours aussi laissées pour compte et extrêmement vulnérables à l’inévitable conquête par le prochain bandi . L’Onu s’inquiète de la situation économique et sociale. L’International Crisis Group envisage une stabilité en état de risque. Le Nouvelliste titre sur l’année entre fatalisme et opportunités.

En 2010, le séisme du 12 janvier vint aggraver la situation … puis arriva l’ouragan PHTK qui entraina le règne des bandits légaux, la gargote Petrocaribe et, avec la fin de la manne Petrocaribe, le retour en force des gangs, du kidnapping et de la violence dans l’espace public.

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