Le 22 février 1804, le futur Empereur Jean-Jacques 1er, ordonne par décret, en représailles des tueries organisées dans la Colonie par Leclerc et Rochambeau, de faire arrêter et de livrer « au glaive de la justice » toutes les personnes (les blancs) convaincues ou soupçonnées d’avoir participé aux massacres et assassinats. Naturellement, il était recommandé aux généraux de chercher des preuves et ne pas s’exposer à faire périr des innocents sous peine de mort et de confiscation de leurs biens » moitié au profit de l’Etat, moitié au profit des héritiers des victimes innocentes, s’il s’en trouvait dans le pays », mais ainsi que le souligne Beaubrun Ardouin dans son Étude sur l’histoire d’Haïti (1853: T6, Ch 2)
..à quel tribunal les accusés devaient-ils être traduits, lorsqu’il n’y en avait aucun d’établi ? Les chefs seuls devenaient juges des accusés. On conçoit alors qu’un tel acte n’était ainsi rédigé, que pour donner un vernis de formes et de justice aux immolations qui allaient s’ensuivre. Cela est si vrai, que le gouverneur général fit commencer aux Cayes les exécutions sur quelques Français. En partant pour Jérémie, il donna l’ordre au général Geffrard de faire continuer ce massacre, qui fut exécuté surtout par le général Moreau, commandant de l’arrondissement.
Beaubrun Ardouin, Etude sur l’histoire d’Haïti, 1853, Tome 6, Chapitre 2.
Jean-Jacques Dessalines mène alors ouvertement une politique de nettoyage ethnique. Bonaparte venait de rétablir l’esclavage et la traite négrière. Il n’allait pas prendre de risques. Il fallait conjurer le danger du Blanc maître et propriétaire sur la terre d’Haïti. La Constitution de 1805 est sans appel. Son article 12 consacre l’interdiction faite au « blanc, quelque soit sa nation » de « mettre son pied sur ce territoire [et d’] y acquérir aucune propriété ». Il n’attendit toutefois pas la Constitution. Dès le 2 janvier 1804, le lendemain de la proclamation de l’indépendance d’Haïti, un décret annule tous les actes de vente ou donation des colons consentis en faveur, principalement, des Gens de couleur. Il s’agissait pour Dessalines d’empêcher des actes simulés et de priver ainsi » ceux dont les pères sont en Afrique » de tout bien. L’article 19 du décret proclame:
Toutes ventes ou donations, soit de meubles, soit d’immeubles, faites par des personnes émigrées en faveur de celles restées dans le pays, sont et demeurent annulées ; bien entendu depuis la prise d’armes de l’armée indigène, pour expulser les Français de l’île d’Haïti.
Le décret du 22 février s’installe dans la même logique d’extirpation de l’ancêtre blanc, exception faite des « innocents » déclarés: « les prêtres, les médecins, les chirurgiens, les pharmaciens et autres Français professant des arts ou métiers, comme pouvant être utiles à la population. » . Ce Blanc mort, ou ce Mort blanc mal enterré – pour reprendre Leslie Péan – dont Dessalines lui-même disait : « Je veux que le crime soit national, que chacun trempe sa main dans le sang ». Le crime devient national par l’introduction dans le panthéon vodou de Jean Zombi – mulâtre roux aux traits méchants et aux yeux sauvages (Thomas Madiou, Histoire, 1848: ch 3, pp 168-169) – passé maître dans l’art du massacre de Blancs, au point d’horrifier l’Empereur lui-même. L’Empereur n’était pourtant pas un tendre. Ardouin rapporte qu’à Jérémie, au Cap et par toutes les villes ou bourgs ou il passa, « Dessalines fit personnellement mettre à mort tous les Français non exceptés », alors que Christophe, Gabart et Pétion se gardaient d’exécuter le décret.
En introduction de sa lettre « À Madame Dessalines », deux jours après l’assassinat de l’Empereur, Pétion laisse éclater toute sa désapprobation du régime de terreur instauré par le Père de la Patrie et son soulagement d’en être finalement débarrassé :
Toutes les lois de la nature les plus sacrées, violées par celui qui porta le nom de votre époux; la destruction générale des véritables défenseurs de l’etat, dont l’arrêt était sorti de sa bouche coupable, l’excès du crime enfin à fait courir aux armes tous les Citoyens opprimés, pour se délivrer de la tyrannie insupportable; le sacrifice est consommé et la mémorable journée du 17, avait été fixé par la Providence, pour le moment de la Vengeance.
Alexandre Pétion, À Madame Dessalines, 19 octobre 1806
Au chapitre 10 du Tome 6 de son Etude, Beaubrun Ardouin, raconte la fin d’un Empereur sur le déclin qui, alors que la révolte contre lui était consommée, s’écriait, deux jours avant sa mort : « Je veux que mon cheval marche dans le sang jusqu’au poitrail ! ». Le lendemain, 16 octobre, nous le retrouvons à l’Arcahaie, demandant à Thomas Jean, à Gédéon, au capitaine de grenadiers Nazère, « s’ils se sentaient le cœur de marcher dans le sang jusqu’aux Cayes ». Il n’arrivera pas aux Cayes. Son périple s’arrêtera à Port-au-Prince où ses généraux dont Henri Christophe – proclamé chef de l’insurrection – et Alexandre Pétion- à qui il avait demandé de se tenir prêt pour aller mater la révolution dans le Sud – mettront fin à sa dérive, avec le support de la population.
À minuit, des cultivateurs du Cul-de-Sac vinrent auprès des chefs supérieurs, en députation au nom de toute cette population de la plaine qui gémissait sous un travail forcé, par les verges et le bâton, demander la mort de Dessalines et de Germain Frère, afin de jouir de la liberté … l’empereur étant parti de l’Arcahaie, le 17 octobre, à cinq heures du matin, traversa la plaine et rencontra beaucoup de cultivateurs sortant du Port-au-Prince ou travaillant sur le long de la route ; pas un ne lui dit ce qui se passait en cette ville depuis la veille.
Beaubrun Ardouin, op.cit., chapitre 10.
Alors que l’Empereur s’apprêtait à lancer une réforme agraire en faveur des paysans sans terre, ce sont ces mêmes paysans – peu enchantés de l’édit impérial de travail forcé – qui se soulèveront contre lui. Ils se rappelaient, ainsi que l’écrit Leslie Péan, que « c’est sous les ordres de Dessalines, général dans l’armée de Leclerc, que seront tués les cultivateurs bossales et créoles qui refusaient de se rendre aux troupes françaises après la défaite de ce dernier à la Crête à Pierrot en 1802 ». Il était difficile de lui faire complètement confiance. Un Dessalines sanguinaire voulant marcher dans le sang jusqu’au poitrail, peu importe le sang, était matière à inquiétude. L’on résolut de l’arrêter.
Ainsi commença la longue tradition de renversement et/ou d’exécution de chefs d’Etat n’ayant plus notre faveur.