Jovenel Moïse enterré, la question de sa succession peut désormais se poser de façon objective. Certes, nous ne savons toujours pas si le coup d’État contre lui a été un échec fracassant ou un discret succès. Nous ne savons pas plus qui a financé son assassinat ou comment. Nous savons encore moins qui sont ces gens qui ont « trahi », « abandonné » le président de la République et à qui sa veuve, hier, disait « C’est assez« . Nous savons, toutefois, que, courtoisie du Core Group, Haïti a un Premier Ministre en un médecin que personne ne réclame, à part le Blan et le babysitter par lui fraîchement dépêché.

Même avec nos institutions en lambeaux, Jovenel Moïse avait, au moins, un rattachement aussi fragile soit-il à l’ordre constitutionnel. Il avait été élu – à deux élections de suite même – président de la République. Il avait un mandat de 5 ans. Il y avait là une base. Le Dr Henry, lui, on voit mal à qui il devra rendre compte – hormis le Blan, s’entend. Il n’a été ni élu ni installé par des élus. On l’a mis là. Il a été déposé là. De fait. Griyen dan oblige. Sa situation est, comme il sied à notre singulier pays, sans précédent, sui generis, sans référent. Nous avons bien eu, pendant 1 an, 2 mois et 26 jours, le cas Bazin où un premier ministre s’est (presque) retrouvé sans Président mais il s’agissait d’un mandat présidentiel provisoire arrivé à expiration (Nérette) alors que, de surcroit, un président élu se préparait à revenir d’exil (Aristide). Un premier ministre aussi librement déposé par le Blan, c’est nouveau.

La nomination d’Ariel Henry à la Primature avait été précédé d’une rude campagne sur WhatsApp où un CV rutilant le disputait à une bénédiction supposée du sieur Jimmy Chérizier, leader communautaire, révolutionnaire et chef de fédération de gangs de son état. McLuhan ayant vu juste, c’est la thèse de l’onction du chef de gang qui triompha. Lorsque Jovenel Moïse nomma effectivement Ariel Henry, l’on en conclut, avec assurance, que le G9 en famille et alliés venait de se donner un premier ministre, ce qui était la preuve irréfutable que l’ex-Seigneur de la Banane était le plus grand chef de gang du pays.

Jovenel Moïse mort, Ariel Henry s’est retrouvé, en une seule semaine, et dans cet ordre, écartable, recommandable, fréquentable, dénonçable puis inévitable. De ses liens supposés avec le nommé Jimmy Chérizier, plus personne ne parle. De la providence de sa date de sa nomination, non plus. Du reste, les soupçons sont surtout réservés à son désormais ministre des Affaires Étrangères et ancien Premier ministre intérimaire, Claude Joseph.

L’arrêté de nomination de ce nouveau Cabinet est un monument à l’absurdité. En l’absence d’un Président – le Core Group a décidé que nous n’en avions pas besoin – un Cabinet ministériel qui n’existait pourtant pas encore s’est réuni en Conseil des Ministres pour assurer la présidence et, partant, valider sa propre nomination. Parce qu’enfin, il faut bien expliquer, cette deuxième signature qui manque: celle d’un Jovenel Moïse assassiné un jour après avoir nommé son nouveau et 7ème premier ministre.

Communication Haïti sur Twitter : « Arrêté nommant les membres du Cabinet Ministériel du Premier Ministre Ariel HENRY https://t.co/roDEhS2spU » / Twitter

C’est à l’article 149 de la Constitution qu’est imposé, à son corps défendant, cette tâche ingrate.

En cas de vacance de la Présidence de la République soit par démission, destitution ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée, le Conseil des Ministres, sous la Présidence du Premier Ministre, exerce le Pouvoir Exécutif jusqu’à l’élection d’un autre Président...

Article 149, Constitution de 1987 amendée*

Avant le faux et frauduleux amendement – ou mieux, en se référant à la Constitution en créole – le processus relatif à la vacance présidentielle était simple. Une fois celle-ci constatée, la Cour de Cassation entrait en action et organisait des élections dans les 90 jours qui suivaient. Avec, il est vrai, quelques gymnastiques juridiques, c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec une Présidente Pascal-Trouillot, un Président Boniface, ou même un Président Nérette. Le Pouvoir Exécutif étêté, Le Judiciaire y suppléait en attendant de replacer la tête, vite fait, bien fait.

 En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, le Président de la Cour de Cassation de la République ou, à son défaut, le Vice-Président de cette Cour ou à défaut de celui-ci, le juge le plus ancien et ainsi de suite par ordre d’ancienneté, est investi provisoirement de la fonction de Président de la République par l’Assemblée Nationale dûment convoquée par le Premier Ministre

Article 149, Constitution de 1987

L’amendement de 2011 introduit des subtilités d’une stupidité sublime et qui laissent libre court à toutes sortes d’interprétations farfelues. C’est à lui que nous devons la fausse controverse sur le mandat de Jovenel Moïse, certes, mais c’est aussi à lui que nous devions le drôle d’accord politique de 2016 qui nous a donné, 7 jours après la fin du quinquennat de Michel Martelly, un Président Privert.

… Dans le cas où la vacance se produit à partir de la quatrième année du mandat présidentiel, l’Assemblée Nationale se réunit d’office dans les soixante (60) jours qui suivent la vacance pour élire un nouveau Président Provisoire de la République pour le temps qui reste à courir.

Article 149 de la Constitution amendée*

Bien que nous soyons à la quatrième année du mandat présidentiel – Jovenel Moïse mort, le große Lüge n’est plus nécessaire – nous sommes dans l’impossibilité – enfin, façon de parler – de faire élire un Président Provisoire dont le mandat se terminerait le 7 février 2022. L’Assemblée Nationale exige la réunion du Sénat – qui n’a plus qu’un tiers de ses Sénateurs – et de la Chambre de Députés – dont la dernière promotion remonte à janvier 2020. À défaut de l’Assemblée nationale – lex speciali (?) – nous voilà donc forcés de nous rabattre sur le Cabinet ministériel – lex generalibus (?). L’article 149 toutefois prend le soin de fixer la durée de cette présidence de Conseil des ministres: 60 à 120 jours; soit, au plus tard, jusqu’au mercredi 3 novembre 2021.

Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République pour le temps qui reste à courir a lieu soixante (60) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance, conformément à la Constitution et à la loi électorale.

Passé le 3 novembre 2021, je suis curieuse de savoir par par quel bout de la Constitution, la présence de monsieur Henry nous sera justifiée.

25 réponses à « De la redevabilité d’Ariel Henry »

  1. Vous proposez quoi vous, wordpress???
    Les moralistes aussi nombreux soient-ils restent derriere leur portable et critiquer, seulement critiquer.

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    1. Avatar de Patricia Camilien
      Patricia Camilien

      J’ai un blog entier de propositions et je ne crois guère dans ce billet, faire la morale. Je souligne que le sieur Ariel Henry ne jouit d’aucune légitimité – autre que celle conférée par le Blan – et que, techniquement, il n’est redevable devant personne – hormis le Blan. Ce qu’il faut donc, en urgence, ce sont des processus électoraux 1) lisibles, 2) transparents et 3) crédibles de façon à augmenter fortement la participation citoyenne comme il sied à une démocratie. En démocratie, le pouvoir se donne par les urnes.

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  2. […] Previous post: De la redevabilité d’Ariel Henry Posted Il y a 7 secondes par Patricia Camilien […]

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  3. […] Moïse a-t-il échoué ou réussi ? L’arrivée d’Ariel Henry à la Primature était déjà assez étrange. Moins de 48 heures après la nomination d’un nouveau Premier Ministre, le président de la […]

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  4. […] Dr Ariel Henry n’a plus à s’en cacher. Il a pris le pouvoir, il l’a pris net. Fini le temps où il devait s’acommoder des reliques d’une administration d’un […]

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  5. […] un ancien informateur de la D.E.A, est présumé à la tête des assassins. Le Dr Ariel Henry, imposé par le Core Group les États-Unis d’Amérique, a reçu plusieurs appels de Monsieur Badio le jour même de l’assassinat; les rumeurs […]

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  6. […] érosion de l’autorité légitime à prendre des décisions collectives. C’est fait. […]

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  7. […] d’une Constitution jamais respectée. Désormais, la force d’inertie prévaut. Ariel Henry a été déposé là, il est là, il […]

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  8. […] Dr Henry qui intéresse ce billet. Rien de ce qu’il fait n’étonne. Il n’a pas de compte à nous rendre et de fait ne nous en rend pas. Non, ce billet concerne les juristes de la République. Ces […]

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  9. […] mauvaise chose. Nous subissons en ce moment la loi de caïds qui ne nous sont redevables en rien: Ariel Henry et son gouvernement, Barbecue, Vitelhomme, Ti Makak … Il est grand temps de faire un effort […]

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  10. […] La violence légitime de l’État l’oblige. Les bandi n’ont pas cette obligation. Comme Ariel Henry, ils n’ont pas de compte à nous rendre. Ils ont encore moins de compte à rendre à une […]

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  11. […] améliore nos conditions de vie. En tant que quoi ? Il n’a aucune légitimité. Ne nous est redevable en rien. N’a même pas eu la décence d’arriver au pouvoir par un coup d’État […]

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  12. […] de Jovenel Moïse survit, en mode zombie, à travers un premier ministre nommé non installé, investi par un Tweet, pour présider à nos […]

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  13. […] Joseph finira par être écarté du pouvoir en faveur du neurochirurgien Ariel Henry, nommé premier ministre par le défunt président Moïse un jour avant sa mort. Le Core Group […]

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  14. […] je n’ai rien à vous opposer ici. Vous avez raison, c’est pathétique. Mais, bon, nous l’avons maintes fois établi, dans ce pays, nous ne sommes pas […]

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  15. […] Quatre chefs d’État – Sylvain Salnave, Cincinnatus Leconte, Vilbrun Guillaume Sam et plus récemment Jovenel Moïse – ont été assassinés. La moitié des dirigeants haïtiens ont été renversés puis exilés, tandis que les autres ont dû composer avec l’instabilité, une constante dans la politique haïtienne où les appels à la tabula rasa sont aussi fréquents que stériles. Aussi peiné-je à comprendre comment nous en sommes arrivés à nous embarasser de constitutionnalité pour parler du départ d’Ariel Henry alors que lui préside à nos destinées dans l’a-constitutionnalité la plus totale. […]

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  16. […] Ariel Henry doit-il partir le 7 février 2024 ? Pourquoi pas le 3 novembre 2021, comme c’eût été logique, à accepter l’interprétation bancale de la Constitution qui nous a été servie à […]

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  17. […] Premier ministre illégalement installé après la mort du président et qui occupe la fonction de manière illégitime depuis au moins novembre […]

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  18. […] plus active et engagée. Notre position sur Ariel Henry a toujours été qu’il était un chef d’État illégitime, placé là par la communauté internationale en violation totale des lois et de la Constitution […]

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  19. […] ministre » démissionnaire, qui l’avait alors fait, tout seul, comme un grand, sans l’aide de personne. C’est une solution institutionnelle toute trouvée dans une […]

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  20. […] avec le Blan, Léviathan spontané, n’est jamais simple. Demandez à Ariel Henry à qui le Blan a donné, le Blan a ôté. Un jour, il vous emprunte votre terrain, le lendemain, il confirme que vous êtes […]

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  21. […] dernière mention officielle du nom du roi Henry date du décret créant le nouveau Conseil Présidentiel de Transition comme pour rappeler que, […]

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  22. […] tous deux ont pris leurs fonctions via un tweet de l’ambassade américaine – une confirmation pour l’un, un rappel pour l’autre. Tous deux assistent également aux funérailles de […]

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