Il est de ces moments où l’on souhaite ardemment que les clichés mentent. Ma famille est riche en juristes – grand-père, père, oncles, tantes – et, petite, d’entendre leur profession traitée de tous les noms m’a toujours un peu dérangée. À son tour, grand-père me sortait un autre cliché : tout le monde déteste les avocats jusqu’à ce qu’ils en aient besoin. Certes, mais pourquoi commençaient-ils par détester les avocats ? Et là, grand-père riait, riait mais riait. Je riais aussi. Il avait le rire contagieux.
Ces derniers mois, en voyant un nombre grandissant de juristes – généralement des avocats – multiplier les raisonnements creux pour justifier un argument qui ne tient pas, j’ai pensé à grand-père et j’ai ri, ri, mais ri. Mais pas que, j’ai aussi écrit – vite – pour casser l’argumentaire, pour que les gens qui risquent d’y croire comprennent, parce qu’il faut bien que quelqu’un s’attache, à défaut de dire le droit, à dire ce qui est.
La dernière source d’hilarité en date est ce nouveau « Président » que veut nous imposer l’opposition sous prétexte de sauvegarde de la démocratie. Je crois que c’est ce qui m’excède le plus dans toute cette histoire. Cette rare couardise. Vous voulez renverser un Président ? Assumez ! Vous voulez prendre le pouvoir sans passer par des élections ? Assumez ! Ces disgracieuses contorsions pour expliquer, année après année, la nécessité pour Jovenel Moïse de partir. Cette quête ridicule d’arguments légaux pour que le Blan approuve. C’est bas, c’est vil, c’est humiliant. C’est aussi ridicule mais la chose s’entend : « la politique en Haïti est une affaire de griyen dan« .
C’est ainsi donc que nous nous retrouvons avec des juristes, jeunes et moins jeunes, doyens de faculté de droit, professeurs et chargés de cours … justifiant avec le plus grand sérieux du monde la présidence de la République par un membre lambda de la Cour de Cassation sous prétexte de respecter la Constitution.
Le souci est qu’on peine à savoir laquelle. Celle de 1987 et qui dans sa version créole n’a jamais été amendée ? Celle, faussement et frauduleusement amendée, que nous ne reconnaissons pas sur ce blogue mais qui semble convenir à nos meilleurs ?
Les deux articles qui passionnent sont l’article 134-2 sur l’élection présidentielle et l’article 149 sur la vacance présidentielle, tous deux modifiés par l’amendement chanpwèl. Commençons par le premier:
(1987) Article 134 – 2: Les élections présidentielles ont lieu le dernier dimanche de novembre de la cinquième année du mandat présidentiel.
(Amend) Article 134-2 : L’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel. Le président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection.
Nous laisserons de côté le fait que si nos juristes étaient sérieux, ils auraient noté que Monsieur Moïse n’a pas été investi immédiatement mais a dû attendre le 7 février pour l’être et que c’est l’indicateur le plus clair que l’article 134-2 amendé n’était pas pris en considération à l’époque même parce que non applicable. Nous passerons même sur le ridicule de l’argument du « temps constitutionnel » débutant en février 1991 et qui tente d’effacer la présidence du Professeur Leslie Manigat, notre Constitution datant de mars 1987 et ce « temps constitutionnel » débutant logiquement en 1988. Nous retiendrons uniquement le fait qu’il s’agit d’un article de la Constitution (faussement et frauduleusement) amendée.
Continuons avec l’article 149 sur la vacance présidentielle :
(1987) Article 149: En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, le Président de la Cour de Cassation de la République ou, à son défaut, le Vice-Président de cette Cour ou à défaut de celui-ci, le juge le plus ancien et ainsi de suite par ordre d’ancienneté, est investi provisoirement de la fonction de Président de la République par l’Assemblée Nationale dûment convoquée par le Premier Ministre. Le scrutin pour l’élection du nouveau Président pour un nouveau mandat de cinq (5) ans a lieu quarante-cinq (45) jours au moins et quatre-vingt-dix (90) jours au plus après l’ouverture de la vacance, conformément à la Constitution et à la Loi Electorale.
(Amend) Article 149 : En cas de vacance de la Présidence de la République soit par démission, destitution, décès ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée, le Conseil des Ministres, sous la présidence du Premier Ministre, exerce le Pouvoir Exécutif jusqu’à l’élection d’un autre Président. Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République pour le temps qui reste à courir a lieu soixante (60) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance, conformément à la Constitution et à la loi électorale. Dans le cas où la vacance se produit à partir de la quatrième année du mandat présidentiel, l’Assemblée Nationale se réunit d’office dans les soixante (60) jours qui suivent la vacance pour élire un nouveau Président Provisoire de la République pour le temps qui reste à courir.
Il s’agit ici pour nous de savoir sous quelle Constitution et dans quelle version de la réalité nous opérons.
Si nous sommes dans la version de la réalité – ou de l’imagination fébrile, c’est selon – où le mandat de Jovenel Moïse a pris fin le 7 février 2021, nous voilà donc avec un vide total où le Président de la République séparatiste du Grand Nord est tout aussi légitime que celui de l’opposition et, tant qu’à y être, Jovenel Moïse et même vous, cher.e lecteur.rice. Nous tou.te.s, président.e.s ! Nous pourrons ensuite aviser du partage du pouvoir. Peut-être en nous retrouvant ensemble pour élire l’un ou l’une d’entre nous lors d’un processus – appelons cela un suffrage – libre et ouvert. Soyons créatif.ve.s !
Si, toujours dans la Constitution amendée mais avec une réalité plus proche des faits, nous arrivions à la 4ème année du mandat de Jovenel Moïse et que nous nous étions mis d’accord – et lui avec nous – qu’il devait s’en aller et dépendamment de notre compréhension de la limite et de ses bornes, nous nous retrouverions – les dieux nous en préservent – avec un Président Joseph Jouthe. Dans 90 à 120 jours, il organiserait des élections qui nous donneraient un nouveau Président dont le mandat durerait 8 ou 9 mois.
Dans un troisième scénario, toujours dans la Constitution amendée, nous sommes au cours de la 4ème année et nous retrouvons avec un Président à élire par une Assemblée Nationale qui n’existe pas.
Mais, que nenni! Nos juristes ont la solution toute trouvée. Ils iront puiser ce qu’il leur faut dans la Constitution non amendée – en français, même. Et comme le Président de la Cour de Cassation n’est pas intéressé et s’inscrit en faux par rapport à toute cette histoire, ils iront chercher un juge qui veut bien – et qui n’a pas été arrêté comme membre d’une « conspiration » visant à renverser le Président et prendre sa place.
Si grand-père était encore là, il en rirait, rirait, mais rirait.