J’ai de mauvaises nouvelles. Les événements des 6 et 7 juillet 2018 n’étaient qu’un aperçu, un avant-goût, une préfiguration de ce qui nous attend. Ces pneus enflammés, ces routes bloquées, ces magasins pillés … sont des éléments d’un teaser nous invitant à nous intéresser à la suite de la communication et il importe de ne pas mésinterpréter le message qui nous est ainsi transmis.
C’est le propre de l’aguiche que d’être ambiguë. Son rôle est d’annoncer et non de dire. Elle a vocation à entretenir l’intérêt sans rien dévoiler de la production. Plutôt que de répondre aux questions, elle les encourage. Comment autant de gens ont-ils pu se mobiliser aussi bien en si peu de temps ? Mystère. Pourquoi s’en sont-ils pris cette fois aux beaux quartiers ? Suspense. Pourrons-nous retourner à notre vie d’avant où nous n’avions à nous préoccuper du sort de ces gens-là qu’en autant ils font notre service et nous servent de marqueur social ?
J’ai de mauvaises nouvelles. Les changements cosmétiques ne suffiront pas. Un Exécutif qui revient sur sa décision d’augmenter le prix de l’essence. Un Premier Ministre qui démissionne. Un Sénateur qui retourne une génératrice. Un Président du Sénat qui renonce à sa luxueuse maison. Cela ne suffira pas à arrêter le déchoucage qui s’annonce.
Dechoukaj la poko fini, anndan Palman chaje vòlè.
Au-delà des scandales autour des privilèges qu’il s’est accordé, le Parlement haïtien est un repère d’élus mal élus dont l’impéritie n’a d’égale que l’illégalité de leur élection. Dans cet antre mal famé, certain parlementaire d’un certain âge est célèbre pour sa prédictibilité: il ne votera que s’il est payé. Il l’affirme sans fausse modestie. Dans un sens ou dans l’autre. Il suffit qu’on le paye. Il n’a pas que ça à faire et il refuse de se déplacer pour rien. Cela fait rire les autres. Ils apprécient la douce excentricité du collègue. Bien sûr qu’on te paiera, va.
Dechoukaj la poko fini anndan Leta chaje raketè.
Au Ministère, l’ascenseur est là qui attend les visiteurs. Trois garçons d’étage y travaillent. Dans la même cage d’ascenseur. En même temps. Ils ont été placés là par des politiques qui n’auront pas réussi à les placer à l’Office National de l’Assurance-Vieillesse (ONA), l’Office National d’Identification(ONI), l’Office d’Assurance Véhicules contre Tiers (OAVCT) ou tout autre office où nos taxes servent à récompenser les militants politiques. Ils cesseront bientôt de s’y rendre. Ils resteront juste le temps que commencent à sortir leurs chèques pour aller ensuite rejoindre l’armée des receveurs de chèques zombies.
Dechoukaj la poko fini sektè prive chaje koriptè.
Aux dernières élections, il a misé sur le mauvais cheval. Il risque de rester en dehors du pouvoir pendant 3 ans encore et il ne peut se le permettre. Dans un pays comme Haïti, il n’y a que l’Etat qui a de l’argent. C’est le seul client qui vaille la peine. Même pour les biens de consommation. Du concessionnaire de voitures au magnat de l’immobilier, en passant par l’importateur de riz, tous cherchent à capter l’attention de l’Etat. Et l’attention de l’Etat s’obtient en payant grassement ses représentants… à coup de surfactures en échanges de services non rendus.
Dechoukaj la poko fini klas mwayèn lan chaje sousè.
Ça y est. Sa colonne est enfin arrivée au pouvoir. À son tour de profiter. Après dix ans à trimer pour un misérable salaire, il va enfin pouvoir s’offrir une voiture neuve et une maison dans un beau quartier. Ce n’est pas lui qui va venir changer le pays. Il a déjà donné. Il a bien assez souffert de voir des amis, des condisciples de classe, gargoter, dans sa face, sans gêne aucun. C’est maintenant son tour et il compte bien en profiter. Les aigris n’ont qu’à attendre le leur. Il a bien attendu, lui.
Dechoukaj la poko fini, anndan tèt nou chaje kolon.
Elle s’est levée ce matin, comme 56% de la population haïtienne, ne sachant ni quand ni ce qu’elle et son garçon de 2 ans vont manger. Elle a un avantage sur les autres toutefois. Elle a un teint de pêche et une peau couleur miel. Elle est une belle grimelle qui vaut mieux que cette misère. Aujourd’hui, c’est décidé, elle rejoint le député. La vertu ne lui a jamais ramené qu’un garçon – qu’elle aime bien mais bon – qu’elle doit élever seule, sans travail, sans mari. Rester à 7 dans ce taudis au fond d’un corridor poisseux, c’est pour les noiraudes effrayantes comme Jésula. Elle, Marie, est claire et donc belle. La misère n’est pas pour elle. Qui sait, avec un peu de chance, elle finira Directrice générale d’un service étatique.
Marie pousse la porte et se lance vers la ville, des rêves pleins les yeux.
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