Et un décret de plus, un!

Le 11 janvier 2015, Son Excellence le Président de la République d’Haïti, le Sieur Michel Martelly s’engageait, alors que le mandat du Parlement haïtien allait prendre fin (et à la veille du cinquième anniversaire du séisme de 2010) à ne pas gouverner par décret et à n’en prendre qu’un seul, le décret électoral devant permettre l’organisation d’élections en retard depuis trois ans.

Le décret électoral (art. 20) rappelle le nombre de personnes à élire au suffrage universel et direct :

  • Le Président de la République ; soit 1 élu.
  • Les Sénateurs ; 3 par départements, soit 30 élus.
  • Les Députés ; 1 par circonscription électorale, soit 118 élus.
  • Les Maires ; 1 par commune, soit 140 élus.
  • Les Membres des conseils d’administration de section communale (CASEC) ; trois par section communale, soit 1620 élus.
  • Les Membres des assemblées de section communale (ASEC) ; au moins 5 par section communale – la borne supérieure est établie à 9 – soit au moins 2850 élus.
  • Les Délégués de Ville. 1 par commune soit 140 élus.

Soit (au moins) 4 899 élus. Actuellement, nous en avons 11 (0,2%) dont 10 sont parties d’une institution pratiquement caduque.

Comme il nous en a donné l’habitude, notre président n’a pas – peu s’en faut – respecté sa promesse. On ne peut même pas l’en blâmer. Il aurait fallu être d’une rare et dangereuse naïveté pour le prendre au sérieux. Les promesses, c’est connu, n’engagent que ceux qui y croient. Aussi, dans sa grande munificence, notre Président nous a-t-il gratifié d’un beau décret de finances – dont je n’ai eu la copie qu’hier soir et dont je m’empresse de partager les 202 pages avec vous. Pour son sixième décret* (au moins !), après les excellentes retombées du précédent à l’Arcahaie, le Président Martelly s’attache à remplir au plus vite les caisses de l’État dont il a maintes fois déploré l’état, nonobstant notre milliard et demi de dollars de dette envers le Venezuela dans le cadre de l’accord PetroCaribe. La solution magique serait, il appert, d’ouvrir grand la chasse aux dernières ressources d’une classe moyenne réduite à une peau de chagrin et constamment sur les dents. Le décret sur le budget 2015-2016 recèle ces généreuses dispositions :

  • Le droit variable de la patente double, passant de 2/1000 à 4/1000. (art. 4)
  • Toute première émission de patente, indépendamment de l’activité, est désormais établie à 5000 gourdes. (art. 7)
  • Les entreprises relevant du code des investissements voient leur droit de patente passer de 7 500 à 30 000 gourdes. (art.9)
  • Les partis politiques, les institutions à but non lucratif et les associations paieront 15 000 gourdes. (art. 9).
  • Les ONGs et les fondations paieront 25 000 gourdes. (art.9)

Arrêtons-nous un moment, si vous le voulez bien. Des organisations sans but lucratif, offrant des services à la communauté font désormais l’objet de ce qui s’apparente à une véritable persécution fiscale. Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer un tel contre-sens ? La réponse est peut-être à trouver dans l’article qui suit car, continuant avec les dispositions généreuses, l’article 10 proclame :

L’article 8 du Décret du 29 septembre 2005 modifiant celui du 29 septembre 1986 relatif à l’Impôt sur le Revenu se lit désormais comme suit :
Il est fait obligation aux personnes physiques ou morales qui utilisent les services d’un prestataire dont le domicile fiscal est situé hors d’Haïti de verser à la Direction Générale des Impôts dans les quinze jours qui suivent le paiement intégral ou partiel des prestations, le montant de l’Impôt sur le Revenu calculé au taux de 5% libératoire pour les personnes morales et de 15% libératoire pour les personnes physiques.

Cet impôt libératoire passe ainsi de 20% à 5% pour les personnes morales et 15% pour les personnes physiques. Pas mal.

Voilà donc bien notre régime démocratique. Un seul « élu » – dans les conditions que l’on sait – qui ne se prive pas de nous tondre et nous mettre la boule à zéro pour recouvrir ces pauvres gens domiciliés chez nos meilleurs. Je comprends que le Secrétaire d’État américain John Kerry ait éprouvé le besoin de se déplacer lui-même pour venir nous enjoindre de participer au machin du 25 octobre prochain, une telle démocratie, ça se préserve.

En attendant, nous pourrons toujours nous réjouir de ces autres dispositions généreuses du décret :

  • Le permis de conduire passe de 1000 gourdes à 3000 (Type A), 4500 (Type B), 1000 (Type C), 250 (Type D), 3000 (Type E). (art. 24)
  • Le matricule fiscal passe de 1000 à 2000 pour les personnes morales, de 300 à 1000 pour les personnes physiques, de 150 à 250 pour les journaliers. (art. 34)

Il ne nous reste donc plus qu’à brasser la rue et brasser la vie. Mache chèche pa dòmi san soupe. C’est le fils du Président  – accompagné, incidemment, de quelqu’un qui sait prendre soin de ceux qu’il (dit) aime(r)  – qui le dit. Il doit savoir de quoi il parle.


*Les décrets pris par Son Excellence depuis sa promesse, compilés par un ami: decrét électoral; décret sur la CIN; décret modifiant l’électoral pour augmenter les circonscriptions; décret de finances rectificatif; décret créant de nouvelles communes; ce décret de finances initial.

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