L’ancien Sénateur du Nord et ancien maire de Milot n’y va pas par quatre chemins, le 29 mars 2019, le pays sera de nouveau lòk.
Si ce n’était pas suffisamment clair, il est passé rendre visite au Nouvelliste pour confirmer la mobilisation:
L’opposant farouche au pouvoir Tèt kale a, de ce fait, annoncé une manifestation populaire sur tout le territoire national le 29 mars en vue de renverser le président Jovenel Moïse au pouvoir. Jean-Charles Moïse enjoint les manifestants de mettre un peu de piment lors des prochaines mobilisations de rue.
« Fidèle à lui-même », écrit le Nouvelliste, Jean-Charles Moïse reprend ses refrains de « tabula rasa » afin, selon lui, de mettre fin au système politique actuel. » Ce ne sont pourtant pas des refrains propres à Monsieur Jean-Charles. La rhétorique de la » tabula rasa » est une constante dans le paysage politique haïtien. Il est naturellement 1804 et sa grande révolution anticolonialiste, antiesclavagiste et antiraciste ou 1915 et l’arrivée des Américains mais il n’est nul besoin d’aller chercher si loin. L’ère « démocratique » est riche en moments où nous criâmes, exigeâmes et obtînmes tabula rasa. 1990. 2004. 2010. Puis rien.
Il est à cela, je crois, deux raisons principales. La première est qu’une tabula rasa – qu’elle se réfère à une table rase ontologique ou une page blanche épistémologique – n’est pas vraiment possible; il est des passifs avec lesquels il nous faut composer. La seconde vient de l’absence de plan. Même à accepter que la page est blanche, il faut bien avoir quelque chose à mettre dessus. À défaut, l’habituel reprend ses droits.
La tabula rasa est un concept philosophique méthodologique selon lequel l’esprit humain naîtrait vierge en attente d’impressions lui venant de l’expérience. Elle s’installe dans une longue tradition de questionnement sur la nature de la connaissance, de Socrate et ses tablettes de cire à Bacon et son miroir enchanté. Lorsque, dans son Essai sur l’entendement humain, John Locke utilise l’expression tabula rasa, il endosse explicitement cette tradition de la Grèce Antique et du Moyen-Âge pour réaffirmer la supériorité de l’expérience des sens sur la spéculation. Les gens, selon Locke, acquièrent des informations sur les objets qui les entourent. Ils commencent par des idées simples qu’ils combinent par la suite.
Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase (tabula rasa), vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? […] D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine.
John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, Livre II : « Des Idées », Chapitre 1 : « Où l’on traite des Idées en général et de leur origine ; et où l’on examine par occasion si l’âme de l’homme pense toujours« , § 2-4, trad. P. Coste, Pierre Mortier (3e édition), 1735.
Voilà pourquoi dans ses Pensées sur l’éducation (1697), Locke recommande la connaissance pratique pour préparer les gens à gérer efficacement les questions sociales, économiques et politiques.
L’éducation comme fondement de la citoyenneté, c’est aussi Kant nous invitant à penser par nous-mêmes, à penser tout haut. Il envisage alors un échange libre et publique des opinions produisant une scène publique où s’entrecroisent les regards, et où les raisons, au contact les unes des autres, s’élèvent concomitamment; cet usage public de la raison entraînant ainsi un dédoublement du rôle du citoyen, tour à tour, acteur et spectateur.
Ce principe de publicité donne à l’espace public un véritable pouvoir critique, un « pouvoir d’assiègement permanent » (Habermas) permettant de revitaliser l’État de droit par la délibération constante et publique des individus. Mais, pour cela, il faut des idées. Des idées qui, dans des situations de crise comme la nôtre, seront disponibles pour envisager l’avenir.
Demeure toutefois le fait – que nous ne pouvons occulter – que nos « révolutionnaires » se révèlent souvent Iznogoud rêvant d’être calife à la place du calife. Ce n’est pas tant le » système » – compris comme l’organisation actuelle de la politie haïtienne- qu’ils veulent changer que ceux qui en ont la direction. Aussi ne s’embarrassent-ils pas de s’armer d’idées, leur seule grande idée étant de prendre le pouvoir.
Ce sétoupamisme jouant à l’anti-système est peut-être ce qui m’effraie le plus dans la conjoncture actuelle. Nous avons fait le plein d’espoirs déçus. Je ne sais pas si nous sommes capables de souffrir une grande déception de plus.