Dans Misère, religion et politique en Haïti, André Corten (2001:65) note que de 1984 à 1986, les Ti Komite Legliz sont presqu’aussi nombreux en Haïti qu’au Brésil. Ce grand succès de la théologie de la libération sur la terre de Dessalines, nous la devons à une véritable « transformation » d’une Église catholique confrontée à la concurrence des missions protestantes et décidée à se réinventer. Voilà désormais l’Église animant la réflexion critique dans la paysannerie et les quartiers populaires des grandes villes, contribuant à faire naitre les mouvman peyizan et mouvman popilè qui contribueront à mettre fin à la dictature.
Quelques cinq ans plus tôt, l’impulsion salvatrice était arrivée de la troisième conférence générale Conseil épiscopal latino-américain à Puebla, au Mexique. Le Pape Jean-Paul II – le même qui viendra, en 1983 proclamer qu’il faut que les choses changent en Haïti – assistait à la Conférence. C’était en 1979, dans la suite de la Conférence précédente de Medellín engageant l’Église à œuvrer en faveur de la libération des peuples opprimés.
Dans Religions et lien social: l’Église et l’État moderne en Haïti (2004), Laennec Hurbon situe toutefois les débuts de ces changements à la petite localité de Laborde dans le Sud où le Père Ryo se positionna en faveur du mariage entre l’évangélisation et le développement. D’autres suivront la voie jusqu’à donner lieu, en 1976, à un synode diocésain qui statuera sur la nouvelle philosophie de l’Église. Ce n’est toutefois que le 4 décembre 1980 que l’Église catholique – par le truchement de la Conférence haïtienne des religieux – entrera officiellement dans la lute contre la dictature, suite à une campagne répressive lancée par le régime Duvalier.
Depuis l’engagement de l’Église n’a jamais faibli. Plus la situation politique se détériorait, plus la hiérarchie catholique affirma et positionna l’Église comme un acteur, formant, sensbilisant, préparant ses fidèles à la mobilisation anti-dictature. Organisations caritatives, groupes de prières, communautés de bases … aucun espace n’est négligé pour promouvoir la lutte contre les structures d’exclusion de la société duvaliériste. L’Église prend fait et cause pour les pauvres et les marginalisés du système.
Du 2 au 6 décembre 1982, un symposium national permet de relayer les revendications et les souffrances des pauvres et des paysans. La même année a lieu la première assemblée nationale des TKL autour du thème «nouvelle Église et nouvelle société à construire». Radio Soleil médiatise le mouvement, éduque et sensibilise la population à travers ses émissions. En s’affirmant ainsi sur la scène politique, l’Église favorise l’engagement des jeunes et les introduits à la militance. En 1985, à Jérémie, un concile national des jeunes exige la fin des structures sociales d’exclusion. L’Église multiplie les symposiums – « Nous sommes l’Église, l’Église, c’est nous », « Nous, les jeunes, nous sommes venus, nous avons vu, nous avons cru », « Nous, les jeunes, ensemble, continuons, avec Jésus-Christ, à construire notre foi, notre Église et notre société » – et coupe les ponts avec le gouvernement. Le 7 février 1986, la dictature n’était plus.
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