#OditLise – Les compagnies

Pour conclure la série #OditLise, l’association Ayiti Nou Vle A publie s’intéresse aux compagnies ayant obtenu les contrats pour la construction des lycées dont SECOSA – 356,378,805.00 gourdes de gré à gré et généralement sans avoir soumis de proposition – et J&J Constructions – 177,000,124.00 gourdes pour une compagnie qui avait déjà cessé d’exister au moment de la signature des contrats.

La vidéo reprend le texte original publié sur le site de l’association au: www.ayitinouvlea.org/konpayilise

Une version française est disponible ici: www.ayitinouvlea.org/konpayilise-fr

La version anglaise est accessible ici : www.ayitinouvlea.org/konpayilise-en

Le texte pose également la question des liens entre ces compagnies et le parti au pouvoir, le Parti Haïti Tèt Kale – PHTK – et se termine sur les deux lycées (non) construits par Shouby Entreprises, la compagnie de l’actuel Ministre de l’agriculture, Pierre Patrix Sévère.

#OditLise: Continuer à documenter la dilapidation des fonds Petrocaribe en attendant le procès

Ce soir, 20 mars 2021, 20:00, l’association Ayiti Nou Vle A lance #OditLise, une série de 12 vidéos retraçant la visite de 16 lycées financés par les fonds Petrocaribe. Cette visite se situe dans le cadre d’un audit social -l’#OditKolektif – débuté en septembre 2018 et visant, au cours du #PetroCaribeChallenge, à vérifier, par nous-mêmes, face à une Cour des Comptes ayant failli à sa mission, la réalité de cette dilapidation de fonds.

L’#OditKolektif a commencé par le crowd-sourcing. Une invitation ouverte à documenter les quelques 300 projets ayant bénéficié des fonds. Le plan était simple: filmer et présenter un projet Petrocaribe près de chez soi. Un tableur en ligne contenait les projets à auditer et une vidéo donnait les instructions à suivre.

Nous pensions arriver ainsi à faire émerger rapidement les conséquences réelles de cette vaste opération de corruption. Les institutions de la République tardaient à donner des réponses concrètes à nos demandes: un audit, une enquête, un procès pénal et la restitution des fonds. L’#OditKolektif, c’était notre façon de les aider à répondre aux deux premières.

Le crowd-sourcing s’est toutefois révélé plutôt limité, au-delà de la première semaine. La même dizaine de vidéos et de photos circulait d’un compte à l’autre; les gens nous confiaient avoir peur de se laisser voir filmer les projets. Il fallait trouver autre chose. Après une rencontre avec la American Jewish World Service – une organisation impliquée depuis deux décennies dans la lutte contre la corruption en Haïti – nous avons été invité à appliquer pour une subvention qui nous a été accordée quelques mois plus tôt.

La subvention de 20 000 dollars environ devait couvrir les premiers déplacements de l’équipe et autres questions logistiques d’un audit que nous voulions social national. Nous prévoyions le faire en quelques mois. Mais il y eut le lòk post-18 novembre 2018, les lòk multiples d’après, le grand lòk d’octobre-novembre 2019 et depuis le lòk combiné de la Covid-19 et du kidnapping généralisé. Se déplacer dans des conditions était risqué. L’#OditKolektif est à sa deuxième année pour 40 projets audités.

Le premier déplacement de l’équipe a eu lieu à Île à Vache. Nous étions partis documenter les 24 projets de Destination Île à Vache où nous n’avons pu retrouver les traces que de 8 d’entre eux. Le résultat fut présenté sous la forme d’un reportage de 41 minutes espérant mettre, au-delà des débats souvent stériles entre factions politiques, un visage humain sur la dévastation causée par l’affaire Petrocaribe.

En septembre dernier, en route pour la deuxième série d’audit sur les lycées, nous avons croisé quelques-unes des victimes dont l’une portait le t-shirt noir de l’association. Ils étaient contents de nous revoir et nous aussi. Nous ne leur avions pas promis des résultats, nous ne promettons jamais que de faire connaître leur histoire, mais nous n’en ressentons pas moins, quelque part, le sentiment de ne pas en avoir fait assez. La vidéo a été publiée en ligne. Elle est passée dans quelques écoles et a fait l’objet d’une diffusion quotidienne pendant deux semaines sur Télé Galaxie. Mais il n’y a toujours pas de procès. Les habitants spoliés continuent d’assister impuissants à la revente de leurs terres déclarées d’utilité publique à des personnes privées. Malgré tout, nous disent-ils, ils gardent espoir.

Sur la route de Port Salut, alors que l’équipe sortait de Chantal pour se rendre à Roche à Bateaux, elle a eu des retrouvailles inattendues avec de vieux amis de l’audit précédent à Ile à Vache

C’est ce même espoir qui nous a fait reprendre la route en septembre 2020 pour l’#OditLise. Pendant 11 jours, dans 16 lycées et 7 départements, l’équipe a rencontré des élèves, des enseignants, des directeurs de lycée, des directeurs départementaux et des citoyen.ne.s ordinaires. Les résultats de cet audit social seront accessibles au fur et à mesure sur YouTube, Facebook et le site Internet de l’association. Les vidéos, accompagnées de fiches pédagogiques, ont été envoyées à deux réseaux d’école, pour diffusion dans les salles de classe. Nous avons aussi envoyé les vidéos à des responsables du Ministère de l’éducation nationale dans l’espoir qu’ils pourront intervenir directement et parer au plus pressé. Enfin, nous discutons avec le réseau d’une dizaine de radios locales partenaires de l’association sur la possibilité d’une adaptation radio du reportage.

Le but est d’arriver à une couverture nationale d’un audit national, dans l’espoir que les instances nationales concernées – telle la Cour des Comptes qui nous avait promis des jugements pour mars 2020 – prennent enfin leur responsabilité et fassent en sorte que les responsables rendent des comptes et que les coupables soient jugés. Pour faciliter la lecture du reportage, l’association a créé une carte interactive permettant de retracer le parcours d’Alain, John, Mike et Perez. Vous pouvez partir en exploration avec eux, ici:

Bonne lecture !

Petrocaribe : La Cour des Comptes annonce des jugements pour mars

12 ans après les débuts de la gabegie qu’elle a, en partie, cautionnée, et après deux années passées à écrire un rapport d’audit, la Cour des Comptes s’essaye à justifier le milliard de gourdes qu’elle nous coûte par an, en annonçant, enfin, « le jugement de ceux qui sont justiciables devant la CSCCA ». Nous sommes désormais au point 2 de notre petite liste du début. Cela a pris un an et demi mais bon…

Naturellement, je suis modérément optimiste. Après tout, c’est la même Cour qui a approuvé certains des contrats et assisté, avec une certaine complaisance, à la dilapidation des fonds Petrocaribe. C’est la Cour qui a donné décharge à l’ancienne Première Dame Sophia Martelly pour sa gestion de la Commission Nationale de Lutte contre la Faim (COLFAM), en déclarant qu’elle n’en était pas gestionnaire. C’est la même Cour qui, en 2015, n’a réussi à trouver en faute que 13 mairies, et pour quelques misérables centaines de milliers de gourdes.

Il faudra donc veiller. Veiller à ce que ce ne soit pas un spectacle de plus pour faciliter/bloquer la route de certains vers les prochaines joutes électorales. Veiller à ce que les procédures et les droits des accusés soient respectés et que le jugement soit impartial. Veiller à ce que les vrais coupables ne soient exonérés en échange de quelques petits coupables jetés en pâture.

Il faudra aussi rappeler.

Rappeler à la Cour que le décret de 2005 – tout comme l’article 105 de la loi du 4 mai 2016 sur les lois de finances – lui permet de déclarer « comptables de fait » celleux qui géraient les fonds Petrocaribe – sans être ordonnateur ou comptable de deniers publics.

Rappeler, à ce propos, que le Dr Réginald Boulos, a des informations pertinentes, sur 120 millions de dollars qui auraient été accumulés par « les hommes au pouvoir ».

Rappeler, enfin, que la lutte contre la corruption est une chose trop sérieuse pour la laisser à des politiciens.

Force à nous !

Claudy Gassant nous laisse aussi

Du 16 au 20 décembre 2019, Abu Dhabi accueille la 8ème Conférence des Parties à la Convention des Nations-Unies contre la Corruption. Au menu de la Conférence, « des questions essentielles touchant l’examen de l’application de la Convention, le recouvrement d’avoirs, la coopération internationale, la prévention et l’assistance technique ». Aussi, les gouvernements sont-ils priés de « se faire représenter au plus haut niveau politique possible et à faire en sorte que sa délégation comprenne des décideurs et des experts des questions qui y seront traitées ». Pour Haïti, c’est le nouveau directeur fraîchement installé de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) qui nous fera l’honneur de nous représenter.

Une Conférence des Parties est une grande messe onusienne au cours de laquelle des Hauts représentants vérifie la bonne application d’une convention internationale. La plus célèbre est celle de la Convention sur le Climat où, régulièrement, l’on sonne l’alarme et prend des engagements que personne ne respectera, mais il en est d’autres d’une utilité tout aussi rare dont celle à laquelle participera Me Gassant, grand pourfendeur du Président de la République qui s’est fait bien silencieux maintenant qu’il a, par lui, été nommé. Cela tombe bien puisqu’on va parler de sujets qui recoupent parfaitement un dossier dont il a la charge : l’affaire Petrocaribe.

On l’oublie souvent, mais l’affaire Petrocaribe est internationale et, pas seulement parce qu’il s’agit d’un accord international. L’affaire Petrocaribe est international parce qu’une bonne partie de l’argent aurait trouvé refuge à l’étranger, parce que des compagnies étrangères ont bénéficié de gros contrats, parce que, comme nous l’avait rappelé le Petrobif, les Panama Papers, Kimazou et les stations Go, c’est Petrocaribe aussi. Et voilà qu’on offre au Gouvernement haïtien de travailler sur « le recouvrement d’avoirs, la coopération internationale, la prévention et l’assistance technique ». C’est inespéré.

Naturellement, il est le fait que les Émirats sont de nouveau inscrits sur la liste noire de l’union européenne (UE) à cause de leurs pratiques financières peu transparentes. Pourtant, deux ans plus tôt, en 2017, l’UE les avait retirés de la liste des paradis fiscaux mais, bon, entre temps, il y a eu les Dubaï Papers qui semblèrent confirmer la perception des pays du golfe comme le coffre-fort de l’argent sale mondial. Dans ces pays ultramodernes où l’oligarchie mondiale étale son luxe et où l’Etat de droit doit bien faire rire, une justice expéditive et arbitraire garantit presque la tranquillité d’esprit aux réseaux internationaux de la criminalité financière. C’est donc l’endroit rêvé pour discuter recouvrement d’avoirs spoliés du fait de la corruption, d’autant que, en 23ème position, le pays fait figure de bon élève dans l’indice de perception la corruption de Transparency International.

Bon voyage, Me Gassant!

#PetroCaribeChallenge. Stratégies de lutte contre la corruption : l’implication de la communauté internationale au Guatemala

Le 12 décembre 2006, un traité signé entre le Guatemala et l’organisation des Nations Unies (ONU) crée la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) caractérisée par son indépendance politique, organisationnelle et financière du gouvernement. Le traité sera ratifié par le congrès guatémaltèque le 1er août 2007 ouvrant la voie à l’une des plus grandes success stories du continent en matière de réduction du taux d’impunité.

Vaincue par le Président Jimmy Morales qui en a expulsé le Directeur et mis fin à la commission – le Président n’appréciait pas que la commission enquête sur lui et son parti, le Front de Convergence Nationale – la CICIG jouit d’une grande confiance dans la société guatémaltèque d’un taux d’approbation de 70%. Et pour cause. Au cours de ses 13 années d’existence, la CICIG a réussi à faire

  • révoquer les concessions de mégaprojets de développement douteux
  • arrêter des dignitaires tels le président Álvaro Colom (2008-2012), le président Otto Pérez Molina (2012-2015) et sa vice-présidente Roxana Baldetti et
  • connaître de nombreuses affaires: exécutions extrajudiciaires (Pavón et PARLACEN), malversations (Alfonso Portillo), revenus illégaux (Direction générale de l’imigration), trafic de drogue (Les Mendoza), corruption (La Línea).

L’affaire de La Línea (pour la ligne téléphonique) commence par une affaire de fraude douanière impliquant des hauts fonctionnaires du gouvernement Molina. Nous sommes le 16 avril 2015. La CICIG donne une conférence de presse sur l’existence au sein de l’administration fiscale guatémaltèque, la Superintendencia de Administración Tributaria de Guatemala (SAT) d’un numéro de téléphone – d’où la línea – que pouvait appeler les importateurs voulant réduire leurs droits de douanes en échange de pots de vin. Au bout du fil, un réseau de membres de la SAT à différents niveaux hiérarchiques qui, pendant la durée de l’enquête, de mai 2014 à février 2015, aura traité au moins 500 containers.

Le 19 avril 2015, la vice-présidente Roxana Baldetti est directement mise en cause pour avoir reçu des chèques d’un montant total de 900 000 euros. Quant au Président, la rumeur veut qu’il ait reçu plus de 3 millions de dollars en pots de vin. Le 25 avril, des milliers de guatémaltèques se retrouvent dans les rues dans une « manifestation pacifique » contre la corruption. A l’origine de celle-ci, une guatémaltèque du pays qui pour éviter toute personnalisation de la lutte, refusa que son nom, ainsi que celui de 6 amis proches, connu comme le groupe de 7, soient utilisés dans les médias, même s’ils étaient pleinement visibles sur Facebook . Écœurée par le contenu de la conférence, elle organise un événement sur Facebook invitant à demander la démission du président et de la vice-présidente avec le hashtag #RenunciaYa (démissionne donc). Les instructions étaient claires : pas de partis politiques, de l’eau, de la nourriture, de la crème solaire et des visages à découvert. La stratégie paya: des milliers de personnes gagnèrent les rues et la vice-présidente démissionna (10 mai).

Le 21 août 2015, la CICIG et le procureur lancent un mandat d’arrêt contre la vice-présidente Baldetti qui est alors envoyée en détention préventive. Le dimanche 23 août, le Président nie tout en bloc mais il ne convainc pas. Le 27 août, des représentants de la société civile, des étudiants, commerçants, entrepreneurs, paysans et la population en général participent au Paro Nacional (grève générale) de 2015, avec des manifestations massives dans 14 villes du pays. Le 2 septembre, le Président présente sa démission qui est acceptée le jour suivant par le Congrès. Le même 3 septembre, Molina est arrêté et placé en détention.

Le Président Morales ayant mis fin à la CICIG – avec l’accord tacite de Donald Trump en échange de l’alignement du Guatemala sur les positions américaines notamment quant à la capitale d’Israël et les relations avec Taïwan – l’aventure peut sembler s’arrêter là. Toutefois, les acquis de 13 années de succès sont là, la société civile est désormais consciente de sa force et le président Morales quitte le pouvoir l’année prochaine. Sur le mur d’enceinte de l’ancien siège de la CIGIG – appelé à être remplacé par un centre commercial – des militants, artistes et avocats ont peint une fresque « Merci Cicig, le peuple n’oubliera pas. La justice reste ». Elle a été tweetée par l’ancien directeur de la Commission avec ces mots : Merci ! Tu fleuriras, Guatemala ! 

#PetroCaribeChallenge. Stratégies de lutte contre la corruption : le renforcement des institutions au Brésil

Cette semaine, je reprends la série sur les stratégies de lutte contre la corruption interrompue il y a près d’un an. Pour rappel, les premiers billets de la série sont, par ordre de publication :

  1. présentation générale
  2. l’éducation du public à Hong Kong
  3. la réduction d’opportunités à Singapour
  4. le leadership mobilisateur au Rwanda
  5. le rôle de la société civile en Inde

Aujourd’hui, nous parlons renforcement des institutions au Brésil.


Si vous avez Netflix, arrêtez cette lecture. Cliquez sur ce lien, offrez-vous un gavage télévisuel en règle des deux saisons de la série O Mecanismo et revenez-nous après. Nous vous attendrons. Les autres, commençons toujours par cette bande annonce sur YouTube.

Avant d’être une série phénoménale sur Netflix, O Mecanismo est l’histoire vraie d’une enquête de police au Brésil qui débouchera sur l’arrestation simultanée et dans plusieurs États de plus de 200 personnalités du monde politique et du monde économique, la destitution de la présidente Dilma Rousseff, l’arrestation de l’ancien président Lula Da Silva et, au-delà du Brésil, la démission du président péruvien Pedro Pablo Kuczynski et des répercussions politiques dans douze pays au total y compris le Venezuela, le Panama, le Pérou et la République Dominicaine dont la Marcha Verde qui nous a fait une grande impression, ici, en Haïti. C’est l’histoire du plus grand scandale de corruption du Brésil et de l’Amérique latine: l’affaire Petrobras. Une histoire de blanchiment d’argent et de surfacturations lors d’achat de raffineries de la compagnie pétrolière nationale. C’est l’histoire d’un juge d’instruction pas commode et de son opération Lava Jato telle que racontée dans le livre éponyme de Vladimir Netto.

Le 17 mars 2014, une perquisition a lieu dans une station d’essence offrant des lava jato (lavage express) aux voitures. La petite station service de Brasilia ne payait pas de mine mais servait de paravent à une vaste opération de blanchiment d’argent et de financement occulte de parti politique autour de la compagnie pétrolière semi-privée, Petrobras, dont les appels étaient fraudés par un cartel d’entreprise du bâtiment et des travaux publics dont la fameuse Odebrecht. La combine était aussi efficace que simple. Les partis au pouvoir faisaient nommer, avec l’aval du chef de l’Etat, des directeurs qui accordaient des marchés surfacturés dont des commissions étaient versées aux partis. C’est O Mecanismo dont bénéficiera tant le parti de l’ancien Président Lula (et de la présidente d’alors, Rousseff) que celui de Michel Temer (qui remplacera Rousseff) ou encore des partis de droite, alors fermement dans l’opposition, mais au pouvoir dans des États fédérés et également commanditaires de grands ouvrages.

C’est de la petite ville de Curitiba, dans le sud du Brésil, que partira l’enquête qui mettra à nu un réseau transnational de pots de vin dans les secteurs de l’énergie et de la construction. Menée par le juge Sérgio Moro, elle conduit à la condamnation de 160 personnes en première instance et 77 en appel. La justice est accusée d’être instrumentalisée par les partis de droite contre le Président Lula et son parti. Le cas du Président du Parti de la social-démocratie brésilienne, Geraldo Alckmin, bénéficiant de la clémence de la justice est alors évoqué. Le juge Moro rejoignant le cabinet de Bolsonaro en tant que super-ministre de la justice et la publication récente par The Intercept d’archives secrètes brésiliennes sur la conduite de l’opération Lava Jato semblent confirmer l’existence, à défaut d’un complot, d’une certaine collusion. Toutefois, ainsi que nous l’avons déjà établi, 1) ce n’est pas parce que votre client n’a pas volé le premier qu’il n’est pas coupable et 2) ce n’est pas parce que votre accusateur est corrompu que cela vous l’empêche de l’être.

Certes, si la chose est avérée, que le renforcement des institutions judiciaires se soit fait dans le but de se débarrasser d’un homme politique particulièrement populaire et de son parti n’est pas pour rassurer quant au futur de la lutte contre la corruption au Brésil. Voilà désormais le très héroïque Moro visiblement à la merci d’un Président dont la famille semble mêlée à tout ce qu’il y a de plus sale dans la politique brésilienne, notamment les milices paramilitaires contrôlant Rio. Le fils du Président et nouveau Sénateur, Flávio Bolsanoro – qui souffre, lui aussi, d’avoir un chauffeur généreux – ne semble guère devoir s’inquiéter de ses relations avec la pègre brésilienne.

Les retombées des révélations d’Intercept Brésil pourraient aller plus loin toutefois que l’inféodation du juge Moro. Le 27 août dernier, pour la toute première fois, le Tribunal suprême du Brésil a annulé un jugement de l’ex-juge Moro, celui d’Aldemir Bendine, directeur général de Petrobras. Les violations des procédures légales par l’équipe du juge Moro dans la conduite de l’enquête, l’arrestation et le procès de l’ancien président Luiz (Lula) Ignacio Da Silva ont amené des experts internationaux de la lutte contre la corruption à qualifier Lula de prisonnier politique et appeler à sa libération. Il est aussi les risques d’affaiblissement attachés à la perception dans un Brésil de moins en moins séduit par la démocratie – au point délire un candidat ouvertement anti-démocrate à la présidence – d’une justice instrumentalisée par les politiques.

Nonobstant, l’opération Lava Jato c’est 429 personnes inculpées, 159 condamnées et 18 compagnies impliquées pour 2.5 milliards de dollars de fonds détourné, avec 912 millions de dollars récupérés jusqu’ici. Le succès n’est pas complet – il ne l’est jamais en de telles matières – mais pour reprendre le bon mot d’un professeur de Relations Internationales brésilien, avant « nous étions dans le caniveau, avec les yeux fermés. Aujourd’hui, nous sommes peut-être encore dans le caniveau, voire pire, mais au moins, cette fois, nos yeux sont ouverts« .

Preble-Rish España

Le 4 août 2016, Josué Leconte devient officiellement le propriétaire et seul associé de sa troisième compagnie Preble-Rish, après Preble-Rish Haïti et PRI USA Inc. La nouvelle compagnie, une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, s’appelle Preble-Rish España, avec un siège social situé au 13A, du 30, Avenida Aragon, à Valence en Espagne. Créée le 12 juillet 2016, elle a pour objectifs:

  1. La construction et la gestion de projets d’ingénierie civile.
  2. La prestation de services techniques d’ingénieries et autres activités liées aux conseils techniques.
  3. La vente et la location de biens immobiliers.
  4. L’exportation de marchandises.

C’est ce dernier objectif qui, aujourd’hui, nous intéresse, Preble-Rish España ayant expédié 4 cargaisons de tuyaux en Haïti à la fin de l’année 2016 et au début de l’année 2017. Préparées à Valencia, les expéditions sont parties du port de Cagliari, en Italie, avant d’arriver en Floride par le Port d’Everglades/Fort Lauderdale. Le destinataire final est ainsi indiqué sur chaque bordereau:

Direction Nationale de l’Eau Potable et de l’Assainissement (DINEPA),

Angle Rue Métellus et Route Ibo Lele, N0. 4, Pétion-Ville Haïti

La raison d’être est donc claire. Ces expéditions correspondent à deux marchés de fournitures de matériaux pour la DINEPA accordés à Preble-Rish Haïti ainsi qu’en atteste leur site Internet. L’un concerne, pour la somme de $276,684.72, la fourniture de conduites pour un système d’adduction d’eau potable à Miragoâne. L’autre devait, pour $784,405.98, équiper le Centre technique d’exploitation de la région métropolitaine de Port-au-Prince. Des certificats d’acceptation et de réception de biens ont été livrés et les copies publiées sur le site. Nous sommes donc bien loin de cette malencontreuse affaire de menaces de mort qui opposerait Monsieur Leconte, et son associé Gesner Champagne, à l’actuel Directeur de la DINEPA, Monsieur Guito Edouard.

Preble-Rish Español ayant expédié ses tuyaux, la compagnie est dormante désormais. Elle semble avoir servi sa fonction qui était de donner au bailleur espagnol – les projets avec la DINEPA étaient financés par la Banque interaméricaine de développement (BID) et l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID) – une raison de valider le marché. Cela explique le capital de 3 000 euros – le minimum pour enregistrer une compagnie en Espagne – et l’actionnaire unique.

La « communauté internationale » n’est pas égarée. Les bailleurs s’assurent toujours que l’argent de l’aide au développement reste autant que possible chez eux. Comme cela, ils ont l’air d’aider ces pays qui n’avancent pas, en aidant leurs propres compagnies et ONGs, tout en se désolant de l’incommensurabilité des problèmes auxquels ils sont confrontés dans leurs efforts de bons samaritains. C’est le Japon nous faisant don de 4 millions 400 mille dollars pour acheter des engins lourds japonais. C’est aussi la Croix-Rouge américaine construisant 6 « maisons » en Haïti avec le demi-milliard de dollars recueilli après le séisme du 12 janvier 2010. C’est encore la Chine continentale s’en allant partout en Afrique, Caraïbes, Pacifique, offrir de construire des infrastructures que ces pays ne pourront pas repayer, en utilisant, qui plus est, des matériaux, de l’expertise et des ouvriers chinois.

Monsieur Leconte non plus n’est pas égaré. Il s’est offert une entreprise espagnole à Valence afin de gagner les deux marchés de la DINEPA. Le choix de la ville est quelque peu curieux. Valence est connue pour ses secteurs de l’automobile, de l’industrie chimique, du tourisme, voire même l’agriculture … mais la construction, on penserait plutôt à Madrid ou Zaragoza. Peut-être s’y trouve-t-il une compagnie dont la technique de fabrication de « conduites d’eau potable » est particulièrement recommandée. Si oui, elle devrait se trouver parmi ces 44 compagnies répertoriées par Europages dont aucune ne doit avoir de rapports particuliers avec la coopération espagnole en Haïti.

Mais revenons à MM Leconte, Champagne et Edouard; le dernier ayant accusé les deux autres d’en vouloir à sa vie pour avoir refusé de reconnaître une dette de 313 mille dollars pour un contrat caduc depuis le 14 février 2018. Ce dernier marché ne figurant pas sur le site de Preble-Rish Haïti et la dernière expédition de Preble-Rish España datant du 4 avril 2017, je suis curieuse de savoir à quelle nouvelle compagnie de Monsieur Leconte, elle allait nous introduire.

Moïse Jean-Charles et le classisme ordinaire

S’il y a quelqu’un dans le paysage politique haïtien qui a été d’une rare constance dans la mission qu’il semble s’être assigné de nous prévenir des prochaines dérives du pouvoir rose, c’est Moïse Jean-Charles. Il nous aura ainsi averti, entre autres, de la dilapidation des fonds Petrocaribe, de la gestion de fonds publics par le fils et la femme du Président, de la mise en place d’une milice rose, de l’existence d’un doute sur la nationalité du Président Martelly ou encore de l’installation d’une succursale de la Banque de la République d’Haïti (BRH) au sein du Palais National (le Président du Conseil d’alors, M. Charles Castel, précisera, dans une entrevue avec la journaliste Marie Lucie Bonhomme, qu’il s’agissait plutôt de fourgons blindés transportant l’argent du payroll des employés du Palais).

Cette dernière information est particulièrement intéressante en ces temps où la saga des 7 mercenaires nous laisse avec plus de questions que de réponses et que l’une de ces questions concerne le rôle de la BRH dans cette affaire. Nos mercenaires auraient ainsi tenté de pénétrer dans l’enceinte de la banque et l’inconcevable (pour eux) serait arrivé : des Haïtiens faisant leur travail. Le gardien d’abord. La police ensuite. Que comptaient y faire les comdottieri ? On ne sait. Ils ont été arrêtés puis sont rentrés chez eux, après un passage par le salon diplomatique facilité par un ministre de la justice rose, agissant sans l’aval de son Premier ministre.

Heureusement pour le pouvoir rose, nous n’écoutons pas l’ancien Sénateur Moïse. Il a l’air d’un gros soulier et a la bouche sure. Il ressemble à ce bon gros peuple que ridiculise Tonton Bicha pour notre plaisir. Nous nous moquons donc de lui, avant que de ce qu’il a à dire, même lorsque nous sommes conscients que ce qu’il a à dire a quelque mérite.

Le fait que l’ancien Sénateur du Nord ait décidé d’embrasser la caricature la rend encore plus cruelle. Le voici multipliant les actions d’éclat, se promenant à cheval, faisant des déclarations dont la solennité n’a d’égale que le ridicule absolu de sa forme. C’est un mécanisme de défense comme un autre mais, au final, cela n’aide personne. Pas le Sénateur et ses ambitions – qui ne sont pas pris au sérieux. Pas la République et ses habitants – qui ne lui font pas confiance.

Le Sénateur Jean Charles a beaucoup d’informations. La chose se dit. La chose se sait. Il n’est pas toujours crédible. La chose se sait. La chose s’impose. Le Nouvelliste y a consacré un article entier.

Combien de fois Moïse Jean-Charles s’est-il trompé ou n’a pas été compris?

Le Sénateur ment. Pour des broutilles. Des broutilles aisément vérifiables. Il se trompe dans les détails, fabule et improvise pour combler les blancs. Il s’acharne lui-même à enterrer sa crédibilité puis se confond en déclarations multiples. Ce faisant, il contribue à maintenir bien en place son image de trublion inculte. Il peut donc jouer à l’agitateur tout en restant « inoffensif ».

Nous gagnerions peut-être à prêter attention à ce que dit le Sénateur Moïse. Voir, au-delà de ses singeries ridicules, la piste qu’il indique et la creuser. Il y a quelque chose de pourri au royaume de la BRH et je m’en vais éplucher les sorties médiatiques de Moïse Jean-Charles pour savoir quoi.

L’argent de Chango

Plus tôt, à l’OÉA, se passa ce qui devait se passer. Haïti a voté pour la suspension du Vénézuela de l’organisation. En mai dernier, notre président avait pourtant salué la victoire électorale de son confrère et lui avait présenté ses félicitations mais, c’était, nous l’avons vu, avant. Depuis l’agent Merten, aidé par les événements, est passé par là, avec un chèque en blanc sous forme de mandat présidentiel non négociable. Aussi, lorsque vint le tour d’Haïti de voter, ne fîmes-nous ni une ni deux, nous arrêtames de voter, « ni pour ni contre mais au contraire », pour voter pour.

https://twitter.com/rodney_haiti/status/1083490520293392390?s=19

L’enjeu pour notre Seigneur de la Banane était de taille. Ayant mangé l’argent de deux Chango, il lui fallait choisir lequel « trahir » sans y laisser (trop) de plumes. Le choix n’a pas dû être particulièrement difficile. En s’alignant sur les États-Unis d’Amérique, Monsieur Moïse croit gagner sur tous les tableaux. Une présidence garantie par les bons soins de l’Oncle et zéro pression pour le procès Petrocaribe.

Monsieur Moïse n’est même pas très original avec son choix. En Haïti, dans les grandes décisions internationales, et même nationales, la corruption gagne toujours. Après tout, nous avons bien exclu Cuba de l’OÉA contre un déjeuner avec l’ambassadeur américain dont l’addition, comme le veut la petite histoire, serait montée à deux millions et quelques centaines de dollars américains.

Nous n’en sommes donc pas à notre première « trahison ». Nous excellons à traîner notre ventre, ici et là. Un coup la USAID, un autre Petrocaribe. Nous mangeons trop d’argent de Chango. Nous mangeons l’argent de trop de Chango. Cela ne peut bien finir.

Occupé à gérer une crise particulièrement ardue, Maduro va probablement couper les relations diplomatiques avec nous pour la forme avant de s’atteler à renforcer ses liens avec la Chine et l’Iran. Quand, on a un Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale, il faut savoir en profiter. Maduro n’aura donc pas beaucoup de temps pour nous, surtout pas pour nous aider à demander #KotKòbPetroCaribeA. Après tout, il s’était fait complice du PHTK dans la dilapidation des fonds en leur offrant la couverture nécessaire. Il n’y a donc aucun secours à espérer de ce côté.

Les grands mangeurs ayant mangé l’argent de Chango, il nous faudra pourtant payer l’argent de Chango, sous forme de service de la dette certes mais aussi et surtout sous forme de services publics non disponibles et de creusement du déficit budgétaire. Aussi, l’heure est-elle à l’émancipation. C’est l’heure de ramasser notre caractère, de cesser d’attendre qu’on nous aide. C’est l’heure de prendre notre pays en main et de construire #AyitiNouVleA.

Cette construction passe, inévitablement, par la lutte contre la corruption et la fin de l’impunité. Le procès Petrocaribe est incontournable. Il doit avoir lieu. Pour l’exemple. Pour le signal qu’il enverra que la récréation est terminée, que les coupables seront punis, que l’argent du peuple c’est l’argent de Chango et, comme on sait, qui mange l’argent de Chango doit payer Chango.

Il sera une fois, le procès Petrocaribe

Il s’imposa comme une évidence. Sans coup d’État, sans tribunal révolutionnaire, sans prise de lois rétroactives. Il arriva sans surprise dans un système, frappé d’obsolescence, croyant avoir trouvé là un moyen de se maintenir. L’on ferait une espèce de procès – quelque chose pour la galerie – un machin qui empêcherait à certains de se présenter aux prochaines élections. La vie reprendrait son cours. D’autres continueraient de se partager le gâteau national. Tout irait bien.

Un système obsolète est vulnérable. Surtout quand il s’agit d’un système de corruption généralisé où un État extracteur facilite la mise en abyme de l’humiliation continue de son peuple. Le maintenir devient de plus en plus cher. Les correctifs ne prennent plus. Les saupoudrages, les promesses et autres programmes d’apaisement social ne marchent plus. Dans la brèche, s’engouffrent toutes sortes d’acteurs décidés à exploiter les faiblesses du système et porter atteinte à son fonctionnement normal.

Le procès PetroCaribe devait être un correctif. Un correctif de sécurité destiné à sécuriser le système et sauvegarder son intégrité. Un processus simple et fiable où une multitude d’instances étatiques se relaieraient pour porter à l’écran le magnifique (dys)fonctionnement de note organisation sociopolitique.

La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif ouvrirait le bal avec l’«audit thématique» promis lors de sa conférence de presse en date du 4 septembre 2018. Dans ce rapport, la Cour informerait sur la légalité et la sincérité des opérations financières effectuées suite aux 14 résolutions de 6 gouvernements relatives aux fonds PetroCaribe. Elle apprécierait l’efficacité des actions, ferait des recommandations, rendrait des arrêts de débet ou préconiserait un refus de décharge en cas de concussion, de malversation ou de détournement de fonds publics. Quelques personnes – généralement des fonctionnaires en mal d’influence – seraient gênées mais la Cour n’étant pas compétente pour toucher à là où se trouve effectivement l’argent, tout continuerait d’aller bien.

La question #KotKòbPetroCaribeA demeurant, l’État haïtien, à travers la Direction Générale des Impôts, se porterait partie civile au procès. L’on s’entendrait sur un certain montant, quelques dizaines de millions de dollars, permettant de montrer sa bonne foi. L’on enverrait en prison, quelque temps, une ou deux « célébrités ». L’on insisterait sur le fait qu’une infime partie de l’argent a été détournée, que le gros des fonds a servi à financer des projets de développement. L’on trouverait alors une ou deux entreprises, un ou deux « bourgeois » à offrir à la vindicte populaire, des pharmakos à honnir un temps et tout continuerait d’aller bien.

La Cour de Cassation, appelée en dernier recours, relèverait des erreurs techniques dans le dossier, annulerait, renverrait, libérerait … comme dans d’autres célèbres procès par le passé.

Les Parlementaires, drapés dans leur immunité, continueraient de protéger leurs patrons. Les Ministres, forts de leurs soutiens économiques, continueraient de sauvegarder les intérêts de leurs patrons. Le Président, confiant dans un système qui lui a permis, inculpation et Agritans nonobstant, de devenir président avec le soutien de moins de 10% des électeurs, continuerait de rappeler aux autres vautours d’attendre leur tour. Les juges, gardiens pervertis du système, continueraient à recevoir pots-de-vin, billets d’avion et autres miettes aussi humiliantes qu’insignifiantes, pour ne rien voir. Les classes moyennes suceuses, réactionnaires, suffisantes, généralement occupées à avoir peur de leur ombre, continueraient à s’indigner, se plaindre, invectiver … dans leurs salons. La très très grande majorité continuerait de faire son respect face aux bandits de toutes sortes, grand chemin, haut vol, politiques, économiques, criminels, assassins, spoliateurs d’humanité, qui lui refusent son droit de vivre dans la dignité.

Mais comme aurait pu leur dire tout bon informaticien, le premier conseil en matière de système d’exploitation obsolète, surtout qu’il n’est plus supporté, est de changer complètement de système.

Il sera une fois, le procès PetroCaribe et le début d’une nouvelle réalité.