Qui meurt par noyade est rassasié d’eau. Depuis trois jours, ce proverbe gabonais me trotte dans la tête. Il revient aux moment les plus inattendus. Se présente comme une évidence et est à cela de tourner à l’obsession. C’est qu’il n’aura pas suffi de nous laisser assoiffés de justice. En Haïti, nos meilleurs s’efforcent de nous noyer d’injustices. D’un scandale à l’autre, ils semblent déterminés à nous habituer à, sinon accepter l’inacceptable, du moins lui accorder un statut d’inévitabilité. D’Oxfam exploitant sexuellement nos enfants en échange d' »aide humanitaire » à la Présidence participant de l’exploitation sexuelle de nos enfants en échange de « primes à l’excellence« , un continuum de la déchéance s’efforce d’écraser toutes velléités de révolte. Nous sommes ainsi progressivement invités à nous complaire dans un cynisme qui désarme et nourrit l’abstention en la transformant, par la neutralisation effective du demos, en véritable outil de dé-démocratisation de la démocratie .
Hier (février 2018), le Président Jovenel Moïse rageait contre ceux qui « qui avaient exploité sexuellement des femmes vulnérables – et peut-être des filles – dans certaines communautés en Haïti dont [sic] l’ONG devrait contribuer au relèvement suite au tremblement de terre de 2010« . Aujourd’hui (juin 2018), le Président (et ses 4 porte-paroles avec lui) préfère « remercier le public qui avait pris part aux activités au kiosque Occide Jeanty au Champ de Mars dans le cadre de la retransmission du Mondial sur des écrans géants placés par le gouvernement … félicit[er] la fillette qui … a eu la chance de gagner une voiture neuve … et soulign[e]r que la fillette était accompagnée de son père. » Cette dernière précision serait admirable dans son insidiosité si elle ne laissait transpirer la couardise d’un homme qui se cache tantôt derrière une fumeuse théorie du complot, tantôt derrière certain droit biblique du père de vendre sa fille (Exode 21:7) au lieu d’accepter sa responsabilité.
Voici le Président Moïse, qui se disait le seul à pouvoir nous libérer de la corruption qui mine notre pays, réduit à l’impuissance par des animateurs-piégeurs et un père-permissif. Voici le Président Moïse, pour qui « [c]ombattre la corruption et l’impunité est l’un des engagements de [s]on mandat », constatant, impuissant, la surfacturation de presque tous les contrats passés avec l’administration publique. Voici le Président Moïse, décidé à résoudre les problèmes de la justice, contraint de nommer une cinquantaine de juges corrompus. On le plaindrait presque. Ce ne doit effectivement pas être très facile pour un président inculpé pour blanchiment d’argent de sauver le système judiciaire.
La mise en scène de l’impuissance du Président sert toutefois un but précis. Elle nous renvoie à notre propre impuissance. Si lui, n’y peut rien, comment pourrions-nous? La kakistocrassie s’improvise réalité immuable et l’impéritie son mode de fonctionnement. La cruelle arrogance de nos meilleurs fait le reste. Nous voilà, démoralisé.e.s, désabusé.e.s, découragé.e.s, en un mot, désarmé.e.s. Haïti ne changera pas, non pas parce qu’elle ne peut pas changer, mais, parce que nous sommes désormais convaincu.e.s qu’il n’y a rien à faire, parce que nous sommes persuadé.e.s qu’il ne nous reste plus qu’à accepter l’inacceptable ou partir et donc … mourir.