Comme il fallait s’y attendre, après l’annonce de l’annulation des bureaux de votes à Cité Soleil, le plus grand bidonville du pays s’est levé ce matin entre affrontements de groupes armés et barricades de pneus enflammés. En particulier, les quartiers de Bois Neuf et Projet Drouillard sont bloqués ce matin par ceux qui sont mécontents des résultats partiels des législatives tels que publiés par le Conseil Électoral Provisoire. Les agents de la Police Nationale d’Haïti, retenus à Carifesta, ne sont pas sur les lieux. Comme d’habitude, nous laisserons ces gens-là s’entre-tuer. Que voulez-vous? C’est dans leurs habitudes. C’est à croire, presque, qu’ils ne sont bons qu’à cela. Pourtant, je les ai rencontrés, moi, ces gens-là. Et, l’auriez-vous deviné ? Ils sont comme vous et moi. Ils ont des enfants, des rêves, des aspirations. Ils sont accueillants. Sont de magnifiques conteurs et d’excellents guides. Rient et donnent des blagues. Jouent au foot. Chantent et dansent. Comme des êtres humains. Qu’ils sont.
Il y a trois ans, je me suis laissée convaincre par un collègue de faire le saut et de m’impliquer, avec des étudiants, dans un de ses projets à Cité Soleil. Jusque-là, Cité Soleil était pour moi un endroit à éviter. Une « zone de non-droit », ce n’est pas compliqué, on évite. Je ne suis pas particulièrement attachée à la vie mais je n’ai pas non plus de grande attirance pour la mort. Surtout si elle risque d’être atroce. Alors quand ce collègue m’a parlé d’intégrer son projet de concours de propreté entre les quartiers de Bois-Neuf et Projet Drouillard, mon premier réflexe était de dire non. Ma nature curieuse a toutefois vite repris le dessus et j’ai voulu savoir pourquoi il s’y intéressait. Je n’entrerai pas dans les détails mais ce qu’il m’a révélé m’a rendu admirative – je le suis encore d’ailleurs. J’ai donc accepté que la structure que je dirige finance les primes (deux transformateurs électriques), que des étudiants jouent un match amical avec les riverains, et de me rendre moi-même sur place pour la remise des prix.
Le jour de cette remise de prix, je mentirais si je disais que je n’avais aucune appréhension – les vieux clichés ont la vie dure. Mais ni moi, ni les étudiants, dont je salue ici la belle humanité, n’avons flanché. Nous sommes montés dans le bus, curieux, excités mais surtout déterminés. Arrivés à Cité Soleil – qui porte bien son nom, il y règne un soleil de plomb – nous avons été accueillis de façon si chaleureuse que nous avons eu un peu honte de nos peurs. J’ai eu droit à des pétales de fleurs et de merveilleux discours. Deux petites filles joliment vêtues m’ont remis la clé (dorée) de leur quartier. C’était comme si je rentrais chez moi. Même si c’était la première fois que je les rencontrais tous. Ils m’ont fait visiter les lieux.
Nous avons ainsi visité l’ancien Quartier Général du fameux et très redouté Dread Wilmé. Un trois-pièces criblé de balle, bien loin de la grande villa somptueuse dont on nous avait vanté les fastes dans les journaux et les bulletins de nouvelles. Ils nous ont parlé de leur vie à l’époque de Dread Wilmé et de leur vie depuis. Ils se sont enquis de la mienne, de la nôtre. Ils ont voulu en savoir plus sur la vie à l’université. Ils m’ont présenté un des leurs dont le rêve était d’entrer à l’université et obtenu de moi la promesse de lui trouver une bourse d’études pour réaliser ce rêve. Ce jeune homme – un garçon brillant et engageant – a eu sa bourse et s’est inscrit dans le programme de génie industriel. Il poursuit aujourd’hui ses études à l’étranger. J’ai aussi rencontré des hommes et des femmes, les uns plus intéressants que les autres, avec qui j’ai partagé d’inoubliables moments d’humanité.
Ce matin, quand j’ai appris que, une fois de plus, Cité Soleil brûle, j’ai pensé à ces deux petites filles dans leurs robes jaune et rose, à volants et à dentelles, qui m’ont remis une clé dessinée avec des paillettes sur du papier bristol. J’espère qu’elles vont bien.
On espere aussi que Didi, sa femme et leurs deux petits vont bien, eux et les quelques centaines de milliers d’humains de Cite Soleil, Madame Gina, Atis Wilder, Boss Mano, Ch`ef Jean-Claude, et donc toutes les autres centaines de milliers de gens qu’on ne peut pas tous nommer.
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Merci Emma.
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Oh, mais merci a toi de l’avoir si bien ecrit !
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Merci pour tes articles! Ils sont inspirants et poussent a une bonne refelexion. Continue!
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Merci de les lire.
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Toujours des bons articles.bravo!c’est pas seulement pour ces deux la qu’on doit demander,mais plutot des familles innocentes,qui n ont rien avoir avec ce genre de bagarre.et pourquoi cite soleil reste encore?est ce qu’elle est favorable pour quelques groupes?on sait pas lequels parmi eux.les dirigeants,particulierement et ceux qui financent,qui adherent a ce genre de bagarre soyez humains svp,on en peut plus,ces gens la sont comme nous.et ne pensent pas qu on peut les changer de mentalite sans que lleurs conditions de vie ne change pas.encore bravo pour cet article.
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Merci !
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ce serait une aberration de considérer cite soleil, comme la cite des barbares puisque de cette même cité pas mal d’intellectuels ont vu le jour. Aujourd’hui certains refusent de le dire de peur qu’ils ne soient pas marginalisés. Mais je souhaite qu’un jour la mentalité que nous épousons sur ce coin de terre changera et tout le monde pourra vivre comme des humains. J’aime Haiti particulièrement Cité Soleil parce qu’ils ont plus besoin de moi que jamais. Une pensée spéciale pour eux mes chers frères.
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