L’ancien premier ministre haïtien Laurent Lamothe n’en revient pas. Après l’outrage des sanctions canadiennes – qui, n’en déplaise aux sites pro-sanctionnés, sont encore là – voici la grande « déception » de sanctions américaines pour cause de détournement des fonds PetroCaribe. Dans un communiqué de presse publié sur son compte Twitter officiel, il dénonce « des accusations fondées sur une narration erronée […] ignorant les audits antérieurs » innocentant le Premier ministre dont les mains ont inspiré les grands de ce monde dont un certain Sean Penn. Il accuse à son tour des adversaires politiques qui ont longtemps cherché à nuire à sa réputation d’être à l’origine de cette disgrâce. Mais surtout, il n’en revient pas que le gouvernement américain s’en prenne ainsi à une père de famille, un membre exemplaire de la communauté de Miami, qui n’est parti de sa résidence sud-floridienne que le temps de se servir de sa patrie.
Je vous vois déjà questionner la justesse de l’information. Comment un résident de Miami peut-il devenir Premier ministre haïtien du jour au lendemain ? La Constitution de 1987, dans son article 157, n’exige-t-elle pas de « 5) résider dans le pays pendant cinq années consécutives » ? Monsieur Lamothe dit n’avoir laissé Miami que le temps de venir faire un job, un kòb ? kòb Petrocaribe a ?, son mandat violait la Constitution.
Tout d’abord, il importe de rappeler que la Constitution haïtienne est violée, régulièrement, souvent en réunion. Konstitisyon se papye. Demandez à la présidente du Haut Conseil de Transition. Elle est constitutionaliste. Elle vous expliquera. Et puis, nous avons bien eu Gérard Latortue et Gary Conille, directement parachutés par le Blan, de leurs postes de responsabilités dans des institutions internationales à la Primature. L’exigence d’une résidence continue est clairement une simple suggestion.
Cette question évacuée, nous pouvons revenir à des choses plus importantes, soit la grande injustice que subissent des patriotes se sacrifiant patriotiquement pour la Patrie pour finir sanctionnés par le Canada, les États-Unis d’Amérique ou même la République dominicaine, comme de vulgaires criminels qu’ils sont apparemment. Ces malheureux, victimes d’une étrange cabale faite d’adversaires politiques cherchant à retirer des rivaux potentiels de la course électorale, d’anciennes maîtresses revanchardes instrumentalisant leurs nouvelles amours et de puissances étrangères interventionnistes, méritent qu’on prenne leurs cas, en considération, qu’on s’intéresse à leurs vies, qu’on retrace leurs parcours … pour l’édification de la nation.
Prenons le cas de Laurent Lamothe. Triplement sanctionné, il se bat depuis quelque mois pour sa dignité contre des décisions injustes sur la base de mauvais renseignements. La contagion semble toutefois difficile à contenir. Le Canada (17.11.2022) le soupçonne de « protéger et de permettre les activités illégales des gangs criminels armés en Haïti, notamment par le blanchiment d’argent et d’autres actes de corruption ». La République Dominicaine (14.04.2023) voit en lui « une menace pour les intérêts et institutions de la République ». Les États-Unis d’Amérique (02.06.2023) lui interdisent leur territoire « pour avoir détourné à des fins privées au moins 60 millions de dollars des fonds Petrocaribe ».
C’est le Secrétaire d’État américain lui-même qui en a fait l’annonce ce vendredi. Dans son communiqué, Monsieur Anthony Blinken va droit au but:
Aujourd’hui,j’annonce la désignation de Laurent Salvador Lamothe, ancien premier ministre haïtien et ministre de la Planification et de la Coopération externe, pour son implication dans une affaire de corruption importante. Cette mesure rend Lamothe généralement inéligible à l’entrée aux États-Unis. …
Par cet acte de corruption et son implication directe dans la gestion du fonds, il a exploité son rôle d’agent public et a contribué à l’instabilité actuelle en Haïti …
Traduction du Le Nouvelliste
Monsieur Lamothe joue aux étonnés mais il était prévenu. Un fonctionnaire américain, cité par le journaliste Roberson Alphonse du Nouvelliste, précise que l’ancien membre exemplaire de la communauté de Miami, longtemps soupçonné de détenir un passeport américain, a quitté son (ancien) pays d’accueil à la fin du mois de mai. Le gouvernement américain a été d’une courtoisie exemplaire, attendant le départ de Monsieur Lamothe pour rendre publiques les sanctions prises contre lui. Mais, déjà, aux lendemains des sanctions canadiennes en novembre de l’année dernière, le Département d’Etat, via son sous-secrétaire pour l’hémisphère occidental, M. Brian A. Nichols, appuyait ouvertement la démarche:
Ces « individus » fraîchement sanctionnés étaient au nombre de six dont le sieur Lamothe et son ancien Président, partenaire et ami, Michel Joseph Martelly. À ce propos, en 2019, l’homme d’affaires et politicien retraité Réginald Boulos, nous informait que les États-Unis d’Amérique tenaient l’entourage de Michel Martelly pour responsable de la disparition de 120 millions de dollars. Soit le double de ce que Lamothe aurait gardé pour lui-même.
Quoi qu’on puisse penser de leur longue collaboration et de sa rapide détérioration – le feu Président Jovenel Moïse en aurait fait les frais – c’est tout de même touchant de voir les deux compères se partager ainsi, ren pou ren, fifty fifty, l’argent pour lequel nous traînons une énorme dette, courtoise du plus important crime financier que notre pays ait jamais connu.
Pour sa défense, Monsieur Lamothe fait référence aux rapports de la Cour des Comptes dont les arrêts tardent à se matérialiser. Le Département d’État doit sourire. Dans la vidéo qui suit, l’association Ayiti Nou Vle A retrace la dilapidation des fonds destinés à la construction de 16 lycées sur le territoire national. Parmi les éléments à charge figurent les câbles de l’Ambassade américaine en Haïti qui, alors que Laurent Lamothe était encore premier ministre, en faisaient déjà un éminent corrompu.
Cette vidéo fait partie d’une série d’enquêtes dans le cadre de l’audit collectif (#oditkolektif) lancé par l’association et repris par les internautes sur Twitter et Facebook. Ces audits ont eu lieu dans les dix départements du pays et ont permis de documenter le coût humain de l’affaire PetroCaribe dont la spoliation des biens de milliers d’habitants, majoritairement paysans, à l’Ile à Vache.
Laurent Lamothe se plaint de devoir abandonner la Floride, « foyer de ses deux filles ». Si les sanctions lui ferment également les portes du Canada ou de la République Dominicaine, il lui reste plus de 190 pays où s’installer, dont Haïti, « sa patrie » Haïti où l’impunité règne. Insécurité, bwa kale et ressentiment généralisé oblige, on le voit mal rentrer au pays mais peu s’en faut. Lamothe est multimillionnaire. Son argent est placé dans des paradis fiscaux. Il n’aura aucun mal à se relocaliser et trouvera aisément des pays réceptifs. Ses deux filles lui rendront visite. Il devrait s’en sortir sans peine.
Les victimes de PetroCaribe, broyées par la grosse roche qu’est l’État (haïtien), n’ont pas eu cette chance. Mais je continue de rêver de justice.





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