Pourquoi les « sanctionnés » ne font-ils pas front commun ?

L’ancien premier ministre Jean Henry Céant, banane mûre de son état, a écrit au président du Comité des Sanctions sur Haïti. Dans cette correspondance en date du 17 février 2023, Me Céant accuse le Canada d’avoir, avant même le travail de la commission d’enquête, « décidé, aveuglément, de précipiter les choses en imposant des sanctions à des personnalités politiques et économiques en Haïti ». Une démarche qui, selon le « professionnel du droit », « ne s’aligne nullement dans la voie tracée par le Conseil de sécurité pour l’application de la résolution 2653(2022) du 21 octobre 2022 ».

S’appuyant sur le chapitre VII de la charte de l’Onu, la résolution 2653 (2022) établit une liste de sanctions (interdiction de voyager, gel des avoirs, embargo ciblé sur les armes) que les États membres devront prendre à l’encontre de personnes désignées par le Comité des sanctions et/ou sur désignées en annexe, soit le chef du G9, Jimmy Cherizier, alias Barbecue. Le comité doit, en outre, adresser au Conseil de sécurité  » dans un délai de 60 jours un rapport sur ses travaux .. puis faire rapport chaque année ».

Le chapitre VII de la charte onusienne s’efforce de résoudre une énigme juridique : répondre à la guerre quand celle-ci est interdite (art.2). Ce chapitre donne ainsi à l’organisation le droit d’agir « en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression » dûment constaté par son Conseil de sécurité. Il suppose le règlement pacifique des différends (chapitre VI) impossible et envisage l’utilisation de la force armée (démonstrations, mesures de blocus et d’autres opérations exécutées) pour maintenir la paix. Ce sont les opérations de maintien de la paix sur lesquelles la charte est muette mais que la pratique a installé dans un élusif chapitre VI et demi où les interventions sont faites avec le consentement des belligérants (ch 6) mais peuvent aussi leur être imposées (ch 7).

La question s’est posée tôt, dès les débuts de la Guerre Froide lorsque, dissuasion nucléaire oblige, les deux superpuissances soviétiques et américaines résolurent de s’attaquer par procuration. Les deux étant membres, avec droit de veto, du Conseil de sécurité, cela a créé quelques difficultés quand il s’est agi de calmer le jeu, notamment lors de la guerre de Corée. Ces difficultés ont abouti à la résolution Acheson permettant de relâcher le droit de veto et dont la dernière utilisation remonte à l’invasion de l’Ukraine par un membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu. Avec, en mars 1999, l’intervention des forces onusiennes au Kosovo contre la volonté de l’État, la question s’est faite encore plus ambiguë.

L’évocation du chapitre VII dans la résolution 2653 n’est donc pas fortuite. Il y a là clairement une décision de se passer du consentement de l’État haïtien. Et pour cause ! Il s’agit de sanctionner des élites au pouvoir. Le Canada s’est vite glissé dans la brèche pour geler les avoirs de politiciens et hommes d’affaires qu’il accuse de financer les gangs et autres activités néfastes à la stabilité politique en Haïti.

Contrairement à ce que prétend le professionnel du droit, l’action du Canada s’aligne parfaitement sur la voie tracée par la résolution qui, dans son paragraphe 6 sur le gel des avoirs décide que

… tous les États Membres doivent, pour une période initiale d’un an à compter de la date de l’adoption de la présente résolution, geler immédiatement tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques se trouvant sur leur territoire qui sont en la possession ou sous le contrôle, direct ou indirect, des personnes ou entités visées à l’annexe de la présente résolution – lire Jimmy Cherizier – ou désignées par le Comité ou de toute personne ou entité agissant pour leur compte ou sur leurs instructions, ou de toute entité en leur possession ou sous leur contrôle, et décide également que tous les États Membres doivent veiller à ce que ni ces fonds, ni d’autres fonds, avoirs financiers ou ressources économiques ne soient mis à la disposition, directement ou indirectement, de ces personnes ou entités par leurs ressortissants ou par des personnes établies sur leur territoire.

Il suffit donc que le Canada ait des raisons de croire que Me Céant finance directement ou indirectement Monsieur Cherizier pour que sa décision ne soit plus juste une décision étatique mais un devoir en faveur de la paix dans le monde telle que définie par le Conseil de sécurité. Le paragraphe 17 enjoint toutefois aux États Membres de « faire en sorte que toutes les mesures prises pour appliquer la présente résolution soient conformes aux obligations que leur impose le droit international, y compris le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme et le droit international des réfugiés ». Si Me Céant a matière à se plaindre de l’État canadien, ce sont là des avenues qu’il peut sans doute explorer. C’est l’approche qui serait retenue par la Fondation « Droits Humains sans Frontières » (DHSF) inquiétée par ces indexations en masse – mais nous y reviendrons.

En attendant, il nous faut aller au-delà des démarches de Me Céant pour nous intéresser à l’ensemble des sanctionnés. Pour la plupart, il s’agit de gens qui se connaissent, d’anciens collègues, d’anciens soutiens, qui se disent tous ou presque, injustement visés, qu’est-ce qui les retient de faire cause commune ? Ce serait sans doute plus efficace que des actions séparées. Serait-ce qu’ils ne se font pas confiance ? Auraient-ils des doutes les uns sur les autres ? Qu’est-ce qui explique ce chacun son tour, chacun pour soi, dans un silence relatif?

Depuis quelques temps, à chaque nouveau nom sur la liste, le concerné clame son innocence et dénonce un Canada impulsif agissant sur la base d’informations faussées. Puis, rien. Chacun attend – espère ? – qu’on oublie. Hormis Me Céant qui semble multiplier les démarches en Haïti, au Canada et désormais à l’Onu, les autres paraissent se contenter d’un silence assourdissant alors que les gangs continuent d’étendre leur contrôle du territoire et qu’un tiers de nos policiers espèrent émigrer aux États-Unis grâce au programme Biden. Chacun y va de sa défense plus ou moins bancale qui plaide la surprise, nie en bloc et promet des actions futures.

La plus surprenante toutefois doit être la défense adoptée par l’avocat d’affaires Salim Succar qui se prétend victime d' »une personnalité du monde des affaires devenue très proche de [l’ambassadeur canadien] et avec laquelle [il aurait] entretenu une liaison romantique qui a mal tournée ».

La lettre – une version en anglais, plus mesurée, et publiée sur LinkedIn est accessible ici – évoque l’image d’une Nana présidant à l’effondrement de la société haïtienne, punissant ses amants éconduits et entretenant commerce avec des ambassadeurs étrangers. Lui doit-on également les sanctions contre d’anciens présidents, premiers ministres, parlementaires et autres hommes d’affaires ? Quelle est donc cette figure de l’ombre qui ferait tomber nos élites une à une ?

L’enquête de la Fondation DHSF – qui ne semble exister que dans les publications de 4 médias en ligne réputés pro-PHTK – doit pouvoir fournir cette information. Mieux encore, elle doit se trouver sur le site Internet inexistant (dhssinfrontera.org) proposée par un de ces médias. Une recherche sur André Grimblatt – le seul nom offert après la lecture de tous les articles disponibles – ne retourne aucun lien avec cette fondation DHSF. Il existe bien une association Droits Humains sans Frontières au Congo travaillant sur l’abolition de l’esclavage mais tant le domaine d’intervention que la couverture géographique ne correspondent au problème de nos élites. Il faudra donc attendre encore un peu pour mettre la main sur ce rapport.

Et c’est peut-être là que se trouve la véritable pierre d’achoppement qui empêche l’action commune. Au-delà même d’une présumée culpabilité partagée. Ce besoin constant de fabuler. Pourquoi inventer de toutes pièces une fondation pour porter plainte quand on peut parfaitement le faire soi-même, en son nom propre ? Quelle drôle de coïncidence que ces articles ne mentionnent que les premiers ministres Céant et Lamothe quand Me Succar est le seul à annoncer se joindre à ce mouvement !

S’il est vrai que les sanctions canadiennes – tout comme leurs efforts dans la lutte contre la pêche illégale – peuvent faire l’effet d’un bouyi vide incohérent, de telles réactions ne militent guère en faveur de ceux qui s’en défendent. Et puis, chercher à discréditer une information en blâmant une ancienne amante aigrie, c’est un cliché bien trop facile et ce n’est pas très sérieux.

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3 commentaires sur “Pourquoi les « sanctionnés » ne font-ils pas front commun ?

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    1. Merci pour les liens mais non je ne les avais pas trouvés. Il n’en demeure pas moins que cette fondation ne semble exister que dans des articles sur des sites peu connus.

      Je n’entends pas toutefois poursuivre des recherches sur le sujet. Mon propos était ailleurs.

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