Les exactions du Canada en Haïti vues par Gary Bodeau

Un peu plus tôt dans la journée, suite au billet sur la réticence des sanctionnés à faire front commun, l’ancien président de la chambre des députés, Monsieur Gary Bodeau, m’a contactée sur Twitter pour me demander mon adresse e-mail: il avait un document à m’envoyer. Le document en question, une note de protestation à destination du Secrétaire général de l’Onu, Monsieur António Guterres, est inclus ci-dessous.

Un texte accompagne le mail. Il accuse le Canada d' »imposer des sanctions cavalières à des haïtiens » et invite à « trouver en annexe un rapport documenté qui retrace les exactions du Canada en Haïti ». Ce sont ces exactions, cher.e lecteur.rice, que je vous propose de découvrir avec moi, dans ce billet vespéral.

Le rapport débute sur une note mélancolique. L’ancien député de la cinquantième législature est triste de devoir interpeller le Secrétaire général « dans cette conjoncture troublée sur le plan international où la Turquie et la Syrie sont frappées par un séisme dévastateur et meurtrier ». Mais voilà que « dans ce contexte douloureux », le gouvernement canadien s’est lancé dans des « démarches cavalières » où il « prend le malin plaisir d’imposer des sanctions à des citoyens haïtiens » sans tenir compte de la résolution 2653 (2022). Aussi, Monsieur Bodeau s’attache-t-il à démontrer les fautes graves du Canada à son égard certes mais surtout à l’égard de la jeunesse haïtienne qui risque de perdre en lui un modèle de réussite pour les classes populaires. La note de protestation se conclut en ces termes:

Je suis révolté comme élément du petit peuple qui a construit sa réputation et sa capitale sociale (sic) au prix de luttes et de sacrifices après beaucoup d’années de travail. Je
suis également indigné d’être aussi vilipendé sans aucun élément de preuves. Comme dit l’expression connue de tous: je ne suis pas né avec une cuillère d’argent dans ma
bouche. Donc, me détruire sur la base d’accusations non-fondées c’est détruire un récit d’un succès inspirant pour les jeunes et tuer l’espoir de toute une génération.

Mais quels sont donc les crimes – les exactions – dont s’est rendu coupable le pays de l’érable au point de causer le désespoir de toute une génération ? Car, il ne faut pas s’y méprendre, le cas est de conséquence. Les exactions sont des « actes de violence, sévices commis à l’égard d’une population » et en s’en prenant à Gary Bodeau, c’est bien au peuple haïtien que le Canada inflige une blessure profonde. L’ancien député explique :

Dès 1998, c’est-à-dire depuis ¼ de siècle, le Canada dit aider au renforcement de la
Police Nationale Haïtienne (PNH). Consultants, policiers, équipements, armement, stages au Canada et formation technique, ressources financières, appui à l’Académie de Police entre autres. L’insoutenable situation sécuritaire actuelle en Haïti est également la démonstration de l’échec de cette coopération et engage la responsabilité directe du Canada. […]

Maints chefs de gangs sont des anciens policiers formés avec l’aide financière et l’appui technique du Canada.

Certains policiers, inclus ceux de la garde présidentielle rapprochée, qui ont reçu une
formation professionnelle canadienne, n’ont pas empêché l’ignoble assassinat du
Président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021.

En clair, le Canada a contribué techniquement et financièrement à la formation de policiers nullissimes dont certains sont devenus chefs de gangs et/ou n’ont pu empêchet le magnicide de Jovenel Moïse. Pour ainsi dire, ils ont pratiquement remis le pays aux gangs et ils osent, les hypocrites, sanctionner des gens sous prétexte qu’ils ont fait pareil !

Mais ce n’est pas tout. « C’est un secret de polichinelle. L’Ambassade du Canada supporte certains politiciens et des groupes de la société civile qui sont à sa solde ». Voilà donc l’Ambassadeur déblayant le terrain pour ses favoris – politiques, cette fois. Un exemple flagrant est offert : l’invitation à lire l’entrevue d’un recteur d’université suspecté d’être candidat.

C’est donc l’évidence même que l’action du Canada est « entachée d’irrégularités » d’autant qu’elle ne respecte pas la présomption d’innocence, transformant Monsieur Bodeau en « présumé coupable par l’opinion publique avant d’avoir été entendu et jugé ». Vous voudrez sans doute faire remarquer que des sanctions ciblées contre des personnes politiquement exposées ne sont pas exactement rares, qu’il s’agit là d’un outil important de politique étrangère dont l’usage remonte à l’antiquité et que, suite à l’invasion de l’Ukraine en février 2022, les oligarques russes en on fait les frais sans que l’on ne proteste des abus de droit de l’homme. Vous le penserez et vous aurez raison. Comme l’État canadien qui dit avoir des raisons de croire ses sanctionnés coupables ?

Monsieur Bodeau en parle justement. « Raisons de croire » croit-il bon de préciser « n’est pas une expression juridique ». Lui préfère l’expliquer par la psychologie de Jacqueline Barus-Michel où penser est croire mais avec le caveat que le premier « serait une activité de connaissance
réfléchie qui se garderait de l’émotionnel ». Nous n’en sommes pas à réduire la liste des sanctions à une histoire de liaison amoureuses qui a mal tourné mais l’image qui émerge depuis ce matin est celle d’une Ambassade canadienne un peu trop dans ses émotions et qui sanctionne de pauvres gens juste parce que.

Quelque part dans son texte, Monsieur Bodeau parle de l’impact de ces sanctions sur sa famille:

A cause des sanctions injustes et cavalières du Canada, je suis obligé d’éparpiller ma
famille, dont mon fils de dix (10 ) ans, dans plusieurs pays et dans différentes régions
d’Haïti pour des raisons de sécurité et de persécution avérée.

C’est la seule partie de sa note qui me semble avoir du mérite. C’était là une entrée bien plus légitime pour parler de violations de droits humains. C’est dommage qu’elle n’ait fait l’objet que d’une seule phrase.