Cette semaine, je reprends la série sur les stratégies de lutte contre la corruption interrompue il y a près d’un an. Pour rappel, les premiers billets de la série sont, par ordre de publication :
- présentation générale
- l’éducation du public à Hong Kong
- la réduction d’opportunités à Singapour
- le leadership mobilisateur au Rwanda
- le rôle de la société civile en Inde
Aujourd’hui, nous parlons renforcement des institutions au Brésil.
Si vous avez Netflix, arrêtez cette lecture. Cliquez sur ce lien, offrez-vous un gavage télévisuel en règle des deux saisons de la série O Mecanismo et revenez-nous après. Nous vous attendrons. Les autres, commençons toujours par cette bande annonce sur YouTube.
Avant d’être une série phénoménale sur Netflix, O Mecanismo est l’histoire vraie d’une enquête de police au Brésil qui débouchera sur l’arrestation simultanée et dans plusieurs États de plus de 200 personnalités du monde politique et du monde économique, la destitution de la présidente Dilma Rousseff, l’arrestation de l’ancien président Lula Da Silva et, au-delà du Brésil, la démission du président péruvien Pedro Pablo Kuczynski et des répercussions politiques dans douze pays au total y compris le Venezuela, le Panama, le Pérou et la République Dominicaine dont la Marcha Verde qui nous a fait une grande impression, ici, en Haïti. C’est l’histoire du plus grand scandale de corruption du Brésil et de l’Amérique latine: l’affaire Petrobras. Une histoire de blanchiment d’argent et de surfacturations lors d’achat de raffineries de la compagnie pétrolière nationale. C’est l’histoire d’un juge d’instruction pas commode et de son opération Lava Jato telle que racontée dans le livre éponyme de Vladimir Netto.
Le 17 mars 2014, une perquisition a lieu dans une station d’essence offrant des lava jato (lavage express) aux voitures. La petite station service de Brasilia ne payait pas de mine mais servait de paravent à une vaste opération de blanchiment d’argent et de financement occulte de parti politique autour de la compagnie pétrolière semi-privée, Petrobras, dont les appels étaient fraudés par un cartel d’entreprise du bâtiment et des travaux publics dont la fameuse Odebrecht. La combine était aussi efficace que simple. Les partis au pouvoir faisaient nommer, avec l’aval du chef de l’Etat, des directeurs qui accordaient des marchés surfacturés dont des commissions étaient versées aux partis. C’est O Mecanismo dont bénéficiera tant le parti de l’ancien Président Lula (et de la présidente d’alors, Rousseff) que celui de Michel Temer (qui remplacera Rousseff) ou encore des partis de droite, alors fermement dans l’opposition, mais au pouvoir dans des États fédérés et également commanditaires de grands ouvrages.
C’est de la petite ville de Curitiba, dans le sud du Brésil, que partira l’enquête qui mettra à nu un réseau transnational de pots de vin dans les secteurs de l’énergie et de la construction. Menée par le juge Sérgio Moro, elle conduit à la condamnation de 160 personnes en première instance et 77 en appel. La justice est accusée d’être instrumentalisée par les partis de droite contre le Président Lula et son parti. Le cas du Président du Parti de la social-démocratie brésilienne, Geraldo Alckmin, bénéficiant de la clémence de la justice est alors évoqué. Le juge Moro rejoignant le cabinet de Bolsonaro en tant que super-ministre de la justice et la publication récente par The Intercept d’archives secrètes brésiliennes sur la conduite de l’opération Lava Jato semblent confirmer l’existence, à défaut d’un complot, d’une certaine collusion. Toutefois, ainsi que nous l’avons déjà établi, 1) ce n’est pas parce que votre client n’a pas volé le premier qu’il n’est pas coupable et 2) ce n’est pas parce que votre accusateur est corrompu que cela vous l’empêche de l’être.
Certes, si la chose est avérée, que le renforcement des institutions judiciaires se soit fait dans le but de se débarrasser d’un homme politique particulièrement populaire et de son parti n’est pas pour rassurer quant au futur de la lutte contre la corruption au Brésil. Voilà désormais le très héroïque Moro visiblement à la merci d’un Président dont la famille semble mêlée à tout ce qu’il y a de plus sale dans la politique brésilienne, notamment les milices paramilitaires contrôlant Rio. Le fils du Président et nouveau Sénateur, Flávio Bolsanoro – qui souffre, lui aussi, d’avoir un chauffeur généreux – ne semble guère devoir s’inquiéter de ses relations avec la pègre brésilienne.
Les retombées des révélations d’Intercept Brésil pourraient aller plus loin toutefois que l’inféodation du juge Moro. Le 27 août dernier, pour la toute première fois, le Tribunal suprême du Brésil a annulé un jugement de l’ex-juge Moro, celui d’Aldemir Bendine, directeur général de Petrobras. Les violations des procédures légales par l’équipe du juge Moro dans la conduite de l’enquête, l’arrestation et le procès de l’ancien président Luiz (Lula) Ignacio Da Silva ont amené des experts internationaux de la lutte contre la corruption à qualifier Lula de prisonnier politique et appeler à sa libération. Il est aussi les risques d’affaiblissement attachés à la perception dans un Brésil de moins en moins séduit par la démocratie – au point délire un candidat ouvertement anti-démocrate à la présidence – d’une justice instrumentalisée par les politiques.
Nonobstant, l’opération Lava Jato c’est 429 personnes inculpées, 159 condamnées et 18 compagnies impliquées pour 2.5 milliards de dollars de fonds détourné, avec 912 millions de dollars récupérés jusqu’ici. Le succès n’est pas complet – il ne l’est jamais en de telles matières – mais pour reprendre le bon mot d’un professeur de Relations Internationales brésilien, avant « nous étions dans le caniveau, avec les yeux fermés. Aujourd’hui, nous sommes peut-être encore dans le caniveau, voire pire, mais au moins, cette fois, nos yeux sont ouverts« .