Le Rapport de la commission sénatoriale spéciale d’enquête sur le fonds Petrocaribe couvrant les périodes allant de septembre 2008 à septembre 2016 est arrivé à un moment où la question de lutte contre la corruption est très présente dans l’actualité en Haïti et dans le reste du monde : du Président Jovenel Moïse qui lance la rentrée scolaire 2017 en présentant la corruption comme les cinq premiers problèmes du pays – un discours qu’il reprendra à sa première intervention à la tribune des Nations-Unies – aux révocations et arrestations en Arabie Saoudite, en Chine ou au Vénézuéla, en passant par la publication de rapports sur la corruption en Tunisie, au Brésil ou en Haïti et les multiples marches contre la corruption en République Dominicaine , en Ukraine ou en en Israël.
Le 3 décembre 2017, jour de la Marche de la Honte en Israël, une recherche sur Google News avec le mot-clé « corruption » retourna 11,500,000 résultats. Cet intérêt fut ensuite aisément confirmé par les tendances de recherche sur la corruption politique sur Google Trends.

Figure 1: Tendances de recherche sur Google pour la thématique « corruption politique ». Date : 3 décembre 2017
Les tendances furent tout aussi parlantes pour le sujet Petrocaribe, où l’on constata un véritable regain d’intérêt à partir du mois d’octobre 2017 (100% au 5 novembre) et en Haïti (100% et le Venezuela un distant second avec 22%).


Puis, comme il était venu, l’intérêt retomba … jusqu’à ce que le #PetroCaribeChallenge le replace à l’ordre du jour, avec un pic à 100% dans la semaine du 2 au 8 septembre 2018 correspondant à la première Marche #PetroCaribeChallenge à Port-au-Prince et les marches sœurs dans les villes de province.
https://ssl.gstatic.com/trends_nrtr/1544_RC05/embed_loader.js trends.embed.renderExploreWidget(« TIMESERIES », {« comparisonItem »:[{« keyword »: »Petrocaribe », »geo »: » », »time »: »today 12-m »}], »category »:0, »property »: » »}, {« exploreQuery »: »q=Petrocaribe&date=today 12-m », »guestPath »: »https://trends.google.com:443/trends/embed/ »});Aujourd’hui, 6 octobre 2018, la tendance de recherche sur Google est à 34 % et la chute rapide. Il est possible que ce soit parce que la population est suffisamment renseignée et se mobilise désormais autour du procès, mais il est encore plus probable que s’installe à nouveau un double désintérêt de citoyens fatigués d’attendre et de responsables politiques préférant parier sur le temps. Demeure toutefois le fait que, à chaque nouvelle initiative (rapport Beauplan (88), Transmission du rapport à la Cour des Comptes (57), Association de #AyitiNouVlea au #PetroCaribeChallenge (85), Marche du 2 septembre (100)), apparait un regain d’intérêt. Aussi, importe-t-il que la lutte contre la corruption en Haïti se prépare à s’installer dans la durée en établissant un plan d’actions clair et précis visant à maintenir le dossier à l’agenda et ainsi contribuer à la tenue d’un procès juste et équitable.
Ce blogue se propose de contribuer à cette planification en proposant à ses lecteurs, pendant deux semaines, des billets traitant de modèles de lutte contre la corruption.
La première semaine sera consacrée à la présentation de stratégies de corruption ayant eu certain succès. Par souci, d’uniformité, celles-ci seront analysées au moyen du cadre d’évaluation élaboré par César Garzon et Taïeb Hafsi qui a le mérite d’essayer de sortir de la collecte de données empiriques pour proposer des critères objectifs d’évaluation des stratégies déployées.

Appliqué à Hong Kong, la grille Garzon-Hafsi a permis de tirer les 8 leçons suivantes pour une mobilisation réussie :
- La clarté des objectifs.
- La communication des objectifs.
- L’horizon du long terme.
- La mobilisation de ressources importantes.
- Le rôle primordial de l’Agence indépendante anti-corruption.
- Le rôle du leadership.
- L’implication de la population et des acteurs concernés.
- L’éducation et la sensibilisation de la population.
Dans les jours qui suivent, nous nous intéresserons donc à
- l’éducation du public à Hong Kong,
- la réduction d’opportunités à Singapour,
- le leadership mobilisateur au Rwanda,
- le rôle de la société civile en Inde,
- le renforcement des institutions au Brésil et
- l’implication de la communauté internationale au Guatemala.
La Commission Contre l’Impunité au Guatemala (Cicig) a été créée en 2007 par l’ONU pour assister les autorités guatémaltèques dans leur lutte contre les réseaux criminels puissants établis au Guatemala. Elle naquit d’un déficit de confiance dans les tribunaux ordinaires pour connaitre et juger de cas de corruption, en toute impartialité. Elle s’est depuis établie comme l’entité de lutte contre la corruption la plus performante de la région et un modèle dans la lutte contre l’impunité, quoique désormais dans la ligne de mire de l’actuel président guatémaltèque Jimmy Morales qui veut mettre fin à une organisation internationale qui enquête sur lui.
La deuxième série de billets se penchera sur les tribunaux anti-corruption, nés de la frustration générale causée par l’incapacité du système judiciaire à traiter les cas de corruption, même avec l’existence d’agence spécialisée telle l’UCREF ou l’ULCC en Haïti. Cette anxiété des populations quant à l’impartialité des tribunaux ordinaires – combinée à l’émergence de ce qui s’apprente véritable campagne contre la corruption au début de ce siècle – a servi à populariser la spécialisation judiciaire. Le premier tribunal de ce type a été créé aux Philippines, en 1979. Aujourd’hui, 20 pays disposent de tribunaux anti-corruption : l’Afghanistan (2010), le Bangladesh (2004), le Botswana (2013), la Bulgarie (2012), le Burundi (2006), le Cameroun (2011), la Croatie (2008), l’Indonésie (2002), le Kenya (2003), la Malaisie (2011), le Mexique (2015), le Népal (2002), l’Ouganda (2008), le Pakistan (1999), la Palestine (2010), les Philippines (1979), le Sénégal (2012), la Slovaquie (2009), la Tanzanie (2016) et la Thaïlande (2016).
Cette spécialisation judiciaire est réputée conduire à un meilleur traitement des affaires complexes «nécessit[a]nt une expertise particulière allant au-delà du seul droit, comme par exemple la connaissance des problématiques relatives à la faillite, à l’environnement ou à la santé mentale, ou qui requièrent un traitement différent du fait de la particularité des usagers» (Gramckow et Walsh 2013, 1). Les arguments en faveur de la spécialisation judiciaire mettent en général en avant l’efficacité (Botswana, Cameroun, Croatie, Malaisie, Palestine, Philippines et Ouganda), l’intégrité (Indonésie, Slovaquie) et l’expertise (Bangladesh, Croatie, Kenya, Malaisie, Palestine).
Dans le premier cas, il s’agit surtout d’États en développement ou en transition avec des retards et des lenteurs dans leur système judiciaire sapant la confiance des citoyens dans les engagements et la capacité des dirigeants à combattre efficacement la corruption. Dans le second cas, la préoccupation est de garantir, dans la mesure du possible, que les dossiers soient traités par un tribunal impartial et indépendant. Le troisième cas procède de la volonté de disposer de tribunaux dotés d’une plus grande expertise, les dossiers de corruption comprenant souvent des montages financiers sophistiqués, bien plus complexes que le gros des dossiers constituant le travail ordinaire des juges généralistes.
Chacune de ces préoccupations entraînent des mécanismes et des considérations institutionnelles qui feront l’objet du dernier billet de la série. Inspirés du modèle de prise de décision pour le choix de spécialisation développé par Gramckow et Walsh (2003, 16), ils auront vocation à informer les propositions de la société civile pour le procès PetroCaribe et pour l’instauration de moyens institutionnels pérennes susceptibles de contribuer à et de se maintenir dans #AyitiNouVleA.