C’était en 2013. Treize députés de l’opposition, fatigués des retards s’accumulant dans le processus électoral, signent une demande de mise en accusation du Président Michel Martelly visant les articles 136, 150, 135.1, 163 de la Constitution – et, accessoirement les articles 158 à 165 pour les attributions des Premier ministre et ministre.
Les considérants, une fois n’est pas coutume, sont si ragouteux que je m’en voudrais de ne pas les reprendre ici, dans leur entièreté. Ils forment une capsule bien utile des scandales multiples – et à la corruption aussi grossière que désinvolte – de l’administration Martelly-Lamothe.
La liste de « 21 dérives » est ainsi établie:
CONSIDERANT que le Président Michel Joseph Martelly et le chef de Gouvernement Laurent Salvador Lamothe, au lieu de veiller au respect de la Constitution et à sa stricte application, la viole constamment et brutalement, et ainsi exerce leurs fonctions en dehors des normes républicaines et à l’encontre de la souveraineté du peuple;
CONSIDERANT que, en vertu de l’article 153 de la Constitution, « le Président de la République a sa résidence officielle au Palais national, à la capitale, sauf en cas de déplacement du siège du pouvoir exécutif », alors que le Président Michel Joseph Martelly essaye de faire déposséder arbitrairement un citoyen haïtien de son bien immeuble sous prétexte de protection de sa propriété privée située à Pétionville, Pegguy Ville, Impasse Brouard ;
CONSIDERANT que le Président de la République ainsi que le chef du Gouvernement, en dépit des appels et mises en garde réitérés de la classe politique et de la société civile, s’entêtent à pratiquer, depuis deux ans, la politique du dilatoire et du fait accompli pour ne pas organiser les élections nécessaires au renouvellement du Sénat et des Collectivités Territoriales, et ce dans le dessein macabre de créer un vide institutionnel qui le consacrerait comme seul maître à bord et précipiter la barque nationale dans les abysses ;
CONSIDERANT que le Gouvernement garde en son sein, ce depuis janvier 2013, Monsieur Ralph Théano, le ministre chargé des relations avec le Parlement, déclaré persona non grata par la Chambre des Députés et par le Sénat et ainsi devenu « ministre sinécuriste » au sein dudit Gouvernement, pour avoir tenu dans la presse des propos racistes et insultants à l’endroit des parlementaires et des familles monoparentales haïtiennes qui représentent environ 52% des familles du pays ; ce qui constitue des faits avérés de rébellion contre le Parlement, de malversation et de corruption ;
CONSIDERANT la Note Circulaire du CONATEL prise en date 23 mai 2012 selon les directives spécifiques du Président de la République, ordonnant aux opérateurs de téléphonie mobile et aux maisons de transfert de prélever arbitrairement des taxes sur les citoyens pour les appels internationaux et les transferts d’argent, violant ainsi l’article 218 de la Constitution qui interdit péremptoirement l’établissement et la collecte, en marge de la loi, c’est-à-dire sans une loi préalable, d’aucun impôt au profit de l’Etat ;
CONSIDERANT l’arrestation sur ordre du Président de la République du Député en fonction Arnel BELIZAIRE le 26 Octobre 2011 en violation de l’article 114.2 de la Constitution qui sanctionne toute contrainte par corps exercée contre un membre du Pouvoir Législatif pendant la durée de son mandat, fait confirmé par l’entérinement par l’Assemblée de la Chambre des Députés du rapport de la Commission de ladite Chambre chargée d’enquêter sur l’arrestation dudit Député, en date du 22 mars 2012 ;
CONSIDERANT le détournement des Fonds Publics pour la réalisation de programmes dits sociaux en violation des prévisions budgétaires, et donc en dehors des formes de mobilisation des ressources financières prévues par la Constitution.
CONSIDERANT l’adoption en date du 24 janvier 2012 et en celle du 15 juin 2012 de deux Arrêtés, le premier portant formation de la Commission Nationale de lutte Contre la Faim et la Malnutrition (COLFAM) et établissant le programme ABA GRANGOU dirigée par la Première Dame Sophia ST REMY MARTELLY et l’autre portant création de la Commission d’Appui à la Coordination des Infrastructures de Sport et d’Accompagnement de la Jeunesse Haïtienne (CACISAJH) dirigée par Olivier MARTELLY, tout en ordonnant à l’Etat de mettre à la disposition de ces Commissions les moyens financiers, matériels et logistiques nécessaires à l’accomplissement de leur mandat et tout en disposant arbitrairement et illégalement que ces deux Commissions jouissent d’une autonomie complète et échappent à tout contrôle; ce qui permet à ces membres de la famille présidentielle de concurrencer des membres du Cabinet ministériel ratifié par le Parlement, violant ainsi l’article 236 de la Constitution qui établit que « la loi fixe l’organisation des diverses structures de l’Administration et précise leurs conditions de fonctionnement », violant également l’article 200 de la Constitution qui dispose : « La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif est une juridiction financière, administrative, indépendante et autonome. Elle est chargée du contrôle administratif et juridictionnel des recettes et des dépenses de l’Etat, de la vérification de la comptabilité des Entreprises de l’Etat ainsi que de celles des collectivités territoriales» ;
CONSIDERANT les attaques orchestrées de manière répétée contre la presse et la classe politique violant ainsi les articles 28 et 31 de la Constitution ainsi que le serment constitutionnel fait par le Chef de l’Etat l’obligeant pourtant à, entre autres, « respecter et à faire respecter les droits du peuple, à travailler à la grandeur de la Patrie » ;
CONSIDERANT que le Président de la République, Monsieur Joseph Michel MARTELLY, le Premier Ministre, Monsieur Laurent Salvador LAMOTHE, et le Ministre de la Justice, Me Jean Renel SANON, ont violé le Principe de la Séparation des Pouvoirs consacrés par la Constitution en ordonnant le jeudi 11 juillet 2013 la réalisation d’une rencontre au Cabinet de Me. Gary LISSADE avec le Juge Jean Serge Joseph qui s’y était rendu sur l’instigation du Doyen du Tribunal Civil de Port-au-Prince, Me Raymond Jean Michel ;
CONSIDERANT que nonobstant les démentis formels apportés par le Président de la République, le Premier Ministre et le Ministre de la Justice sur leur participation à cette rencontre, les Commissions d’Enquête du Sénat et de la Chambre des Députés ont établi que cette réunion au cours de laquelle de graves menaces ont été proférées contre le Magistrat par le Président et le Premier Ministre pour qu’il « mette un terme le 16 juillet 2013 au plus tard au dossier » de corruption de la famille présidentielle, s’est bel et bien tenue ;
CONSIDERANT que le Président de la République Joseph Michel MARTELLY et le Premier Ministre Laurent Salvador LAMOTHE s’adonnent constamment à l’affichage de leurs portraits munis de messages louangeurs et de l’emblème de leur parti politique dans les espaces publics, violant ainsi les articles 7 et 2 de la Constitution disposant que : « le culte de la personnalité est formellement interdit. Les effigies, les noms de personnages vivants ne peuvent figurer sur la monnaie, les timbres, les vignettes. Il en est de même pour les bâtiments publics, les rues et les ouvrages d’art », et « les couleurs nationales sont le bleu et le rouge » ;
CONSIDERANT que, au cours d’une visite à Radio Caraïbes, le Président a déclaré qu’il assume les violations des articles 2 et 7 de la Constitution, lesquelles, selon lui, sont mineures et que cette campagne (de photos, pancartes, billboards …) est réalisée par des membres de son Cabinet avec les Fonds du Trésor Public, ce qui constitue un détournement des Fonds Publics du fait que ces dépenses ne sont pas prévues par les Lois de Finances de la République ;
CONSIDERANTque le Président de la République a menti plus d’une fois à la Nation en violation de l’article 135.1 de la Constitution s’énonçant: « Je jure, devant Dieu et devant la Nation, d’observer fidèlement la Constitution et les lois de la République, de respecter et de faire respecter les droits du Peuple Haïtien, de travailler à la Grandeur de la Patrie, de maintenir l’Indépendance Nationale et l’Intégrité du Territoire » ; ces agissements du Chef de l’Etat ne font pas honneur à la Dignité de la Fonction Présidentielle ;
CONSIDERANT la déclaration de l’ex-Commissaire du Gouvernement, Me Jean Renel Sénatus, suivant laquelle le ministre de la Justice l’avait remis une liste de noms de citoyens à appréhender illégalement, pour uniquement des motifs politiques, refus qui lui a valu sa révocation ; laquelle action qui constitue une tentative d’instrumentalisation de la justice et un abus de pouvoir ;
CONSIDERANT que l’intrusion constante du Chef de l’Etat, du Premier Ministre et du Ministre de la Justice dans le Pouvoir Judiciaire, soit par la nomination de « personnes à moralité douteuse » au sein de l’appareil judiciaire, soit par l’exercice de pressions sur des magistrats, comme celles qui ont été faites sur le Juge Jean Serge JOSEPH, constitue une violation flagrante de la Constitution et de la Loi ;
CONSIDERANT que ces actes – violations systématiques de la Constitution et de la Loi, parjure, crimes contre la Constitution, abus de pouvoir… – constituent des crimes de Haute Trahison, consistant dans le fait par le Chef de l’Etat ou un membre du Gouvernement, chargés de faire respecter la Constitution, de voler ou détourner les biens de l’Etat confiés à sa gestion ou de violer la Constitution à un niveau ou à un autre ;
CONSIDERANT que les dérives et violations flagrantes de la Constitution et de la Loi ci-avant énumérées, perpétrées par le Président de la République Michel Joseph MARTELLY, le Premier Ministre Laurent Salvador LAMOTHE et le Gouvernement pendant ces deux dernières années, éclaboussent l’image et la dignité de Peuple Haïtien, et mettent la Nation en péril ;
CONSIDERANT les recommandations du Rapport de la Commission d’enquête de la Chambre des Députés sur le dossier du Juge Jean Serge JOSEPH demandant à l’Assemblée des Députés, entre autres, de mettre en accusation le chef de l’Etat, le Premier ministre et le ministre de la Justice pour parjure, crime contre la Constitution et abus de pouvoir ;
CONSIDERANT les recommandations du Rapport de la Commission d’enquête du Sénat sur le dossier du Juge Jean Serge JOSEPH demandant à la Chambre des Députés de prendre toutes les dispositions que de droit aux fins de : a) Constater l’immixtion du Chef de l’Etat, du Premier Ministre et du Ministre de la justice dans l’exercice souverain du Pouvoir Judiciaire aux fins d’obtenir que des décisions de justice soient prises en leur faveur ; b) Déclarer le caractère parjure de ces autorités du Pouvoir Exécutif qui ont tous nié leur participation à la réunion du 11 juillet 2013 alors que l’enquête confirme leur participation effective à ladite rencontre ; c) Constater la trahison du Chef de l’Etat qui avait juré de faire respecter la Constitution et les lois de la République ; d) Mettre en accusation le Chef de l’Etat pour crime de haute trahison ;
CONSIDERANT les dispositions de l’article 186 de la Constitution qui dispose: « La Chambre des Députés, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres, prononce la mise en accusation a) du Président de la République pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l’exercice de ses fonctions; b) du Premier Ministre, des Ministres et des Secrétaires d’Etat pour crimes de haute trahison et de malversations, ou d’excès de Pouvoir ou tous autres crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions; c) des membres du Conseil Electoral Permanent et ceux de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif pour fautes graves commises dans l’exercice de leurs fonctions; d) des juges et officiers du Ministère Public près de la Cour de Cassation pour forfaiture; e) du Protecteur du citoyen » ;
CONSIDERANT que la Défense Suprême des Intérêts Supérieurs de la Nation commande à l’Assemblée des Députés d’exercer pleinement et souverainement ses Attributions Constitutionnelles ;
Demande de mise en accusation des chefs de l’Exécutif, 6 août 2013
Les Députés signataires – Levaillant Louis Jeune, Sadrac Dieudonné, Jean Danton Léger, Jacinthe Sorel, Patrick Joseph, Arnel Bélizaire, Dorgil Jusclaire, Jules Lionel Anélus, Faustin Poly, Guerda B. Benjamin, Dieujuste Johnson, Denius Francenet et Sinal Bertrand – accusent le Chef de l’Etat Joseph Michel MARTELLY, le Premier ministre Laurent Salvador Lamothe et le ministre de la Justice et de la Sécurité publique Jean Renel Sanon, de « parjure, violations systématiques de la Constitution, abus de pouvoir, empiétement dans le champ d’action souveraine du Pouvoir Judiciaire, crimes contre la Constitution, donc pour Crimes de Haute Trahison ».
Naturellement, rien n’arriva. Un mois plus tard, le 6 septembre 2013, Haïti accueillait le 11ème conseil des ministres Petrocaribe à Port-au-Prince. Le Ministre des Affaires étrangères, Pierre Richard Casimir, cause igname et sirop de canne à sucre exporté en échanges de produits prétroliers. C’était, rappelait-il alors, le 3ème grand événement qu’Haïti accueille pour l’année. La « preuve » qu’on nous fait confiance et le signe du retour d’Haïti sur la scène internationale et régionale.
N’ayant pas reçu le memo, au 18 novembre 2013, plus de 10 000 manifestants défilent dans les rues de Port-au-Prince pour dénoncer les inégalités économiques et sociales et mettre en lumière le colorisme de l’administration en place. La presse internationale parle de la plus grande manifestation depuis le début de l’ère Martelly et de ses causes:
« Haïti: manifestation record de 10 000 opposants au président Martelly », RFI, 19 novembre 2013
Quelques blessés par balles ont été évacués en ambulance mais la manifestation de l’opposition a pu dans le calme continuer sa route vers le bas de Port-au-Prince. Les milliers d’habitants des quartiers pauvres assurent qu’ils vont continuer leur protestation jusqu’à ce que le président quitte le pouvoir.
Au 4 décembre 2013, dans une entrevue accordée au journal La Croix, le Président Martelly minimisait l’importance de la manifestation. Le même jour, le journaliste Roberson Alphonse, au Nouvelliste, tirait la sonnette d’alarmes sur l’opacité de la gestion des fonds Petrocaribe … sans succès
Au 12 décembre 2013, le Quai d’Orsay s’empressera de saluer la publication de la loi électorale par le Président Martelly comme contribuant à renforcer l’État de droit et ouvrant la voie à l’organisation d’élections sénatoriales et municipales … qui n’eurent jamais lieu.
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