Une affaire de SMS tient la ville en haleine. Elle prend des allures de croisade depuis que, hier matin, un commissaire à la convocation légère a invité, Maarten Boute, le président de la Unigestion Holding S.A. (Digicel) à se présenter au Parquet, le lundi 28 novembre 2016, pour s’expliquer sur des résultats électoraux que la compagnie de téléphonie mobile aurait publiés.
Si le commissaire est aussi sensible aux arguments logiques que les interlocuteurs de M. Boute hier sur Twitter, le pauvre aura besoin de plus que d’aller « jouer avec [s]es enfants » pour ne pas devenir fou. Encore que les récents succès du commissaire Danton Léger, dans son entreprise systématique de destruction d’excellents dossiers par sa remarquable impéritie, ne soient pas sans présenter l’assurance d’une fin rapide et célère à cette « affaire ».
Ce dimanche 20 novembre, nos élections plusieurs fois reportées, ont finalement eu lieu, comme s’y était engagé notre Prince de la Saint-Valentin. Si le taux de participation ne semble avoir guère changé depuis les événements précédents, le déroulement de ces élections – préalablement boudées par nos tuteurs et que nous avions décidé de financer seuls comme des grands – est largement considéré comme un succès. Quelques heures après la fermeture des bureaux de vote, alors qu’on se congratule, entre soulagement et satisfaction, un SMS victorieux, en violation flagrante de l’article 197 du décret électoral, proclame la suprématie absolue de l’homme-banane:
Jovenel MOISE genyen eleksyon yo a 64% vòt yo depi premye tou. Rezilta yo konfime nan tout 10 depatman peyi a. CNN anonse viktwa jovenel.
Des bananiers jubilent, d’autres, prudents, questionnent l’intention la personne qui a envoyé un tel message. Quelques citoyens s’en plaignent auprès de la compagnie de téléphonie mobile concernée mais la grande majorité ne s’en formalise pas autrement – les SMS non désirés font partie de la vie – et passe à autre chose; autre chose étant une sortie du parti de notre amateur du déchoucage affirmant une certaine certitude dans la victoire de sa candidate, une panne technique ayant provoqué un black-out général dans la soirée du dimanche et un feu – heureusement vite circonscrit – qui se déclare dans un marché sur la route de Frères.
Depuis des stations de radio, engagées dans une course à l’audimat, lisent en direct des procès-verbaux dont les photos ont été publiées sur le site du CEP, et se lancent dans leur propre entreprise de tabulation des votes, identifiant des tendances, gavant le public d’analyses à l’emporte-pièce et faisant généralement plus dans l’achalandage que dans le journalisme. La victoire de la banane revient comme un leitmotiv. Sur WhatsApp. Sur Facebook. Sur Twitter. À la télé. À la radio. Elle est inévitable. Un fait accompli. Un fait que ne peuvent que valider les résultats provisoires prévus pour le 27 novembre.
Au début les réactions des camps adverses sont plutôt faibles. Aucune réponse définitive. Quelques démentis. Des doutes exprimés quant à cette prétendue victoire au premier tour. Mais pas d’efforts concertés. Puis, mercredi, commencent à apparaître des dénonciations en règle des communications roses. Des dénonciations qui, chez certains, tournent autour d’un bouc émissaire idéal: la Digicel et son Chairman, Maarten Boute.
L’on reproche à la multinationale d’origine irlandaise dont le président d’origine belge est devenu haïtien au début de cette année de magouiller en faveur du dauphin de notre ancien président-chanteur. Les preuves sont en effet accablantes. En sus de ce SMS illégal, une carte de recharge Digicel aux couleurs du candidat à la présidence Jovenel Moïse a été distribuée aux électeurs. La collusion est établie. Qu’on les pende!
En effet, comment la Digicel, une entreprise capitaliste, peut-elle ainsi vendre ses services et produits à un client, candidat à la présidence! L’aider ainsi à faire de la publicité? Quelle horreur! Qu’on la chasse du pays et qu’on juge son président pour Haute trahison avant de lui enlever sa nationalité haïtienne qu’il ne mérite de toute évidence pas. Aurait-il oublié que seuls les cahiers et sacs d’école, les sacs de riz, les sachets d’eau, les boîtes d’allumettes et autres kits publihumanitaires, peuvent être estampillés de la sorte? Les cartes de téléphone, c’est sacré! Elles doivent être laissées en dehors de la bataille politique. Idem pour les SMS qui ne proviennent d’ailleurs jamais que de la compagnie elle-même qui en connait la teneur et est responsable en tout temps de ce qui y est dit. Le fait que l’opérateur ne puisse pas légalement contrôler les contenus des SMS parce qu’il doit respecter le secret des correspondances ne change rien à la chose. Qu’on lui coupe la tête!
Il existe pourtant une façon toute simple de, sinon régler, du moins, limiter le problème. Interdire, comme le fait en France la loi pour la confiance en l’économie numérique de 2004 (LCEN n°2004-575 du 21 juin 2004), la prospection par SMS, sans l’accord préalable du destinataire. Le Conseil National des Télécommunications (CONATEL), dans une décision réglementaire publiée dans le Moniteur du 8 septembre 2014, a déjà fait un pas dans la bonne direction en
… interdi[sant] à tous, opérateurs ou fournisseurs de service, de transmettre des SMS publicitaires non sollicités de huit heures du soir à huit heures du matin, sauf en cas d’urgence ou de catastrophe naturelle ou sur requête des autorités compétentes.
Cette affaire du SMS est une excellente occasion de militer pour l’interdiction tout court de ceux-ci, exiger l’accord du destinataire pour toute campagne SMS et demander que le destinateur soit clairement identifié. Aujourd’hui, nous devons demander à être retirés de la liste des destinataires de ces campagnes publicitaires. Avec cette nouvelle réglementation, les destinateurs devront nous demander et obtenir la permission de nous ajouter à leur liste. Adieu le SPAM, vive le SMS désiré!
En attendant, pour garder votre boîte vide de toute campagne disgracieuse, envoyez NON au 4444. Aidez vos amis à le faire! Puis les voisins! Les collègues de bureau! L’inconnu dans la rue, à l’église, au supermarché … Libérons nos téléphones en attendant sagement les résultats de dimanche. Ils pourraient nous surprendre.
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