Il y a deux jours, un étudiant en génie est venu me voir, curieux des Relations Internationales comme discipline et comme objet d’étude et désireux de savoir, avoua-t-il dans une charmante franchise, « ce qu’on y faisait ». Ce n’est pas la première fois que je me retrouve à répondre à cette question et ce ne sera certainement pas la dernière. Elle revient souvent, avec une régularité de métronome, dans une société haïtienne, au capitalisme primaire et précaire, préoccupée par la valeur marchande des formations acquises. Le « ce qu’on y faisait » c’est souvent un « à quoi ça sert » et surtout un « combien ça paye ». Aussi, ai-je commencé par répondre à la question de mon futur ingénieur de façon plutôt mécanique.

Je lui ai dit les changements politiques, économiques sociaux et culturels du système international; l’exploration des interactions et de l’influence de facteurs domestiques, régionaux et globaux sur les relations entre acteurs inter et transnationaux ; l’analyse des choix et des défis de relations entre les acteurs. Je lui ai dit les carrières dans le gouvernement, les organisations internationales, les organisations non-gouvernementales et le secteur privé, les possibilités d’admission dans des programmes de master en droit, affaires, économie et science politique … Mais il y avait quelque chose dans son regard qui m’a forcé à m’arrêter et réévaluer ma réponse. Il y avait, au fond de ses yeux, une lueur salutaire, un réel intérêt pour la question, comme un signal qu’il méritait mieux que des platitudes convenues. C’est alors que je lui ai parlé. Vraiment. Comme on parle à un frère. Que l’on vient de reconnaitre. Un membre de la famille que l’on ne savait perdu mais que l’on vient de retrouver. Et avec quel bonheur !

Je lui ai parlé de Sun Tzi, de son Art de la Guerre et de l’insistance du maitre sur la nécessité de se connaitre certes mais surtout de connaître l’adversaire. Je lui ai parlé pouvoir et légitimité, puissance et séduction, domination et humiliation. Je lui ai parlé démocratie, État fragile et État voyou, souveraineté et responsabilité de protéger. Il a parlé MINUSTAH. Il a parlé élections. Il a parlé communauté internationale qui a failli … Nous nous étions compris.

À partir de là, la conversation alla de soi. Nous étions installés dans une démarche dialogique autour de l’importance, pour juger du rôle de la communauté internationale céans, d’en connaitre le langage et les dynamiques internes. Autour de l’obligation qui est nôtre, pour en saisir le message (dans le sens qu’en retient la théorie médiatique de McLuhan), de comprendre les changements que celui-ci est capable d’occasionner dans les dynamiques relationnelles et interpersonnelles, afin de les anticiper et d’y offrir des réponses adéquates. Autour de l’absolue nécessité, pour éventuellement les retourner à notre avantage, de maitriser les logiques discursives de nos tuteurs qui maintiennent et justifient les mégastructures de la normalisation et de la naturalisation de notre minorité.

Haïti est, depuis des décennies, le laboratoire par excellence d’une communauté internationale qui, d’échecs en échecs, y teste les concepts les plus saugrenus : souveraineté restreinte; assistance électorale imposée; gouvernance non-gouvernementale ; justice et sécurité conditionnelles  … Depuis des décennies, notre pays est le lieu d’expérimentation privilégié d’une communauté de savants fous et riches, dont la responsabilité n’est guère engagée alors même qu’ils assument celle de l’État haïtien dont le constat de « fragilité » justifie sa mise en incubation. Depuis des décennies, nous assistons, impuissants, à la mise à l’écart en règle d’un peuple entier dans les affaires internes de son pays.

Nous ne pouvons continuer à accepter l’inacceptable. Il nous faut réagir. Il nous faut nous battre. Mais pour cela, il faut connaitre l’adversaire. Le connaitre si bien que nous parvenions à le battre sans l’avoir affronté, en retournant ses armes – discursives – contre lui.

Madame, conclut mon futur ingénieur, il faudrait que tous – et tout de suite – nous nous mettions à l’étude des relations internationales. – Absolument. C’est un devoir citoyen. Mais il n’est guère besoin d’un diplôme pour cela. S’attacher à s’informer et utiliser cette information à bon escient suffit pour la plupart d’entre nous.

5 réponses à « Étudier les relations internationales, un devoir citoyen »

  1. […] Aux moralisateurs qui viendront ranser éthique, patriotisme et décence, nous répondrons, que si ce n’était pas nous, ce serait quelqu’un d’autre. Peut-être même eux, tiens. Alors, autant que ce soit nous. Charité bien ordonnée… En bon témoin de l’humiliation constante de la nation, nous avons eu l’intelligence de nous humilier en premier avant qu’on ne nous humilie avec les autres. La belle affaire ! Et même si nous avons honte – nous avons un sang aussi – nous garderons les yeux secs. Tant pis. […]

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  2. […] nos peines et nos faiblesses ne seront plus qu’un souvenir du passé. L’État haïtien, placé en incubation, va finalement renaître, grâce à l’entêtement salutaire de nos meilleurs. Le peuple […]

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  3. […] Il n’y a pas si longtemps, le Président avait de l’allure; une allure de toro bravo, conscient d’avoir été choisi pour sa combativité et sa capacité à s’adapter aux conditions difficiles. Hier encore, on célébrait son exploit. Il avait, l’espace d’un jour, réussi à faire croire qu’il pouvait tout faire croire. Puis, le voile s’est déchiré. Sans compromis. Sans route par bois. Jusqu’au bout. Le laissant lui et ses commanditaires, ceux qui ont parié sur lui, sans draps et déshonorés. […]

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  4. […] voit se poindre le spectre d’une nouvelle intervention étrangère sous prétexte d’une responsabilité de le protéger qui ne réussit souvent qu’à alourdir ses maux; celle d’un peuple qui assiste […]

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  5. […] avec un score de 99.7 sur 120, Haïti occupe la 11ème place. Dans ces cas-là, ma discipline, celles des Relations internationales, se tourne vers les théories de la construction de l’État et, pour les plus entreprenants, […]

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