Au Parlement haïtien, un homme en costard cravate, valise de VRP à la main, joue un rôle fondamental dans la vénérable institution. Depuis plus d’une décennie, il fait le lien entre les oligarques cherchant à corrompre et les parlementaires cherchant à être corrompus. Il organise les négociations, retient des chambres d’hôtel, négocie les montants … moyennant des frais raisonnables.
C’est un bon système. Tout le monde y trouve son compte et, surtout, l’honneur est sauf. S’il est bien connu que les voix au Parlement haïtien sont généralement achetées argent comptant, les transactions avaient la décence d’être couvertes d’un voile de mystère. Aussi, peiné-je à comprendre pourquoi un président de la chambre basse irait lui-même procéder à de tels échanges.
C’est ce qui m’a donné pause dans la charge du Département du Trésor américain contre l’ancien parlementaire, Gary Bodeau. Que Monsieur Bodeau soit un des « responsables corrompus [qui] ont créé un environnement qui permet aux gangs armés illégaux et à leurs partisans d’infliger des violences au peuple haïtien » n’étonne absolument personne. C’était déjà le contenu des « exactions » – lire sanctions – du Canada contre le concerné. Que l’ancien président de la Chambre basse ait sollicité et payé des pots-de-vin, pas plus. C’est le (dys)fonctionnement normal de l’institution. Mais qu’il en soit arrivé à enlever son job à un malhonnête citoyen qui le faisait si bien ?
In 2019, Bodeau offered to deliver a successful vote in Haiti’s Chamber of Deputies for a prospective ministerial appointee in exchange for millions of dollars paid out through individual payments to members of the Chamber of Deputies. Several Haitian businessmen provided between 500 and 600 million Haitian gourdes (approximately $6.2-$7.4 million) to members of the Chamber of Deputies to influence the outcome of a ministerial vote. In advance of the floor session, Bodeau participated in discussions on the vote and payments with various members of the Chamber of Deputies.
Département du Trésor américain, Treasury Sanctions Former President of Haiti’s Chamber of Deputies, 5 avril 2023
Pas que ce soit une nouvelle – la chose a été discutée, un livre tout nu en est sorti – mais quelle étrange idée que d’aller, soi même, à la Chambre même discuter votes et paiements ? C’est pour cela qu’il vaut mieux laisser faire un professionnel. Les négociations auraient eu lieu, avant, dans un hôtel de Pétion-Ville, autour d’un bon repas arrosé de bonne bouteille. Mais non, à en croire le gouvernement américain, Monsieur Bodeau est un pionnier.
Je suppose que, quand on est un élément du petit peuple qui a eu un succès inspirant et incarne l’espoir d’une génération, il importe de montrer son importance. Il importe de signifier aux autres parlementaires qu’on est important, qu’on connait des gens importants, qui peuvent débloquer des sommes importantes. Mais, peut-être, est-ce bien plus simple ? Les parlementaires de la 50ème législature étaient tout bêtement plus hands-on que les précédents.
Un ami avec qui j’en discutais vient de me rappeler l’histoire inénarrable de cet honorable parlementaire qui, en pleine réunion, avait demandé à l’ancien Président Jovenel Moïse « la petite queue » du montant du prêt de la République de Chine (Taïwan) pour faire voter une convention en énergie. « Donnez-moi la petite queue » – avait-il dit, manifestement sans faire attention à son phrasé – « et je m’assure que les collègues voteront pour ». Pas de filtre, pas d’entre-deux, pas d’intermédiaire.
La corruption à l’état pur.
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