Quand un père « corrige » son fils de onze ans en utilisant une méthode de torture propre aux gangs

Sur la page Facebook de la police nationale d’Haïti, une publication particulièrement troublante arrête le regard. Elle est différente des annonces habituelles où des membres de gang plus ou moins connus sont présentés à la presse ou se retrouvent « mortellement blessés » au cours d’échanges de tirs avec la police. Cette fois, il s’agit d’un pauvre enfant de 11 ans ébouillanté par son père, suite à la disparition d’un billet de 100 gourdes (environ 67 centimes de dollars). Le garçon va bien. Enfin, aussi bien qu’on peut aller quand notre père, pour nous « corriger », nous verse sur tout le corps du plastique fondu. Nous n’en savons pas plus; la publication – datant d’une semaine tout juste –  a depuis disparu de la page mais elle est encore lisible dans le cache de Google:

Cadet Jean Maxin se non jèn gason sa ki jwenn arestasyon l nan dat 2 fevriye a nan zòn Jerizalèm pou zak maltretans li fè sou pwòp pitit li.

Page Facebook de la PNH, jeudi, 2 février 2023

Les détails – retrouvés sur le site du média en ligne Radiographie.ht – sont glaçants. Le père ne retrouvant pas l’argent en aurait déduit que son fils l’avait subtilisé. Pour le punir, il aurait fait chauffer un jerrican en plastique avant d’en reverser le liquide brûlant sur différentes parties du corps du « coupable ».

Les faits se déroulent à la Croix des Bouquets, territoire sous l’emprise des gangs depuis plusieurs mois. Le lecteur qui a attiré mon attention sur l’histoire – « vous semblez avoir repris du service et personne n’en parle, alors …  » – me signale qu’il s’agirait d’une pratique bien ancrée chez les gangs. Il existerait de nombreuses vidéos montrant des bandi torturant leurs victimes avec du plastique liquéfié. Le père serait-il lui-même membre d’un gang ? C’est l’hypothèque retenue par le lecteur. La mienne est plus inquiétante.

Par principe, je ne regarde pas les vidéos de gang. Cette publicité qu’ils se construisent avec l’aide de médias complaisants participe d’une brutalisation accélérée de notre société et d’une savante banalisation de la violence la plus extrême. Il s’agit là d’un jeu macabre auquel je refuse de me prêter. Une fois n’est pas coutume, nous devrons nous contenter du seul témoigange de notre lecteur. La chose admise, il est fort possible que, en corrigeant son fils présumé voleur, le père, terrorisé au quotidien par les gangs, ait voulu s’éviter le malheur d’avoir un futur criminel de son sang. Et si la méthode utilisée est assurément cruelle c’est qu’elle est désormais installée dans le zeitgeist et présentée comme étant très persuasive.

Si Haïti a ratifié la Convention des droits de l’enfant en 1994, les pratiques disciplinaires qu’elle interdit n’ont pas forcément changé. L’utilisation de la violence physique pour « corriger » les enfants est une pratique généralement admise. En 2012, une enquête du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) des États-Unis d’Amérique sur la violence contre les enfants en Haïti a trouvé que, au cours de l’année précédant l’enquête, « 90,0 % des femmes et 85,7 % des hommes âgés de 13 à 17 ans ont révélé que leur plus récente expérience de violence physique perpétrée contre eux par des adultes de la famille ou par des autorités locales était le résultat d’une action disciplinaire ou punitive ». 

En Haïti, la violence physique durant l’enfance est banale : deux tiers des jeunes de 18 à 24 ans en font l’expérience à la maison ou à l’école. Les filles et les garçons en sont également victimes. Timoun se ti bèt et qui aime bien châtie bien. Le père fait donc bien. Pour éviter que son garçon ne devienne un autre fils de malere qui finira « mortellement blessé » par la police, il lui réserve un châtiment cruel mais salutaire; comme un rappel permanent du caractère détestable et dangereux du vol.

Il faut sans doute ajouter à cela l’énorme frustration que constitue en ce moment la vie de tous le jours en Haïti. Un billet de 100 gourdes ne vaut plus grand chose mais c’est un peu un symbole de la dégradation en continu de nos conditions de vie. Entre les gangs qui nous terrorisent et l’économie qui nous anéantit. Ce qui doit inquiéter n’est donc pas tant qu’un père ait pu agir ainsi à l’encontre de son enfant de onze ans mais combien d’enfants de cet âge subissent , au moment où j’écris ces lignes, des supplices similaires ou pire.

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