Le 21 novembre 2019, dans le cadre de la guerre ouverte de l’Etat haïtien contre « les contrats léonins » des compagnies de production d’électricité – lire la Sogener – le commissaire du gouvernement a.i. près du Tribunal de Port-au-Prince, Me Jacques Lafontant, attend, pour « faux et usage de faux en écriture privée, de surfacturation, d’enrichissement illicite, d’association de malfaiteurs et d’abus de confiance« :
- Madame Elizabeth Débrosse Préval, veuve de l’ancien Président René Préval, et actionnaire de la Sogener,
- Messieurs Daniel Dorsainvil et Frantz Verella, anciens Ministres des Travaux Publics, du Transport et de la Communication,
- Messieurs Jean Marie Vorbe, Dimitri Vorbe et Réginald Vorbe Fils, du Conseil d’Administration de la Sogener,
- Monsieur Roger Lefèvre, avocat.
L’invitation fait suite à une plainte de l’Etat haïtien, en date du 8 novembre 2019, et s’inscrit dans la nouvelle croisade du Président Jovenel Moïse contre ce qu’il appelle le système, les gardiens du systèmes, les bénéficiaires du système … c’est selon.
Depuis qu’il s’est, par une conférence de presse dans les jardins du Palais, délocké de sa réticence à présider en public, l’ex-Seigneur de la Banane et désormais Pourfendeur du Système multiplie les actions d’éclat. Un jour plus tôt, le 14 octobre 2019, circulaient sur les réseaux sociaux , des lettres informant la Epower, la Haytrac et la Sogener que leurs contrats avec l’Etat haïtien faisaient l’objet d’une réévaluation. Dans sa conférence du 15 octobre, le Président Moïse nous invita à suivre son regard – et son regard nous suivîmes, son #SuivezMonRegard devenant tendance sur tous les réseaux sociaux. Il s’était enfin trouvé des boucs émissaires et avait réussi à changer la conversation dans l’espace public.
La Conférence fut suivie d’une résolution du Conseil des Ministres en date du 23 octobre 2019, instruisant le Ministère des Finances de « suspendre les paiements de toutes valeurs en rapport avec l’exécution des contrats d’énergie électrique signés entre l’Etat haïtien et les firmes Sogener, E-Power S.A. et Haytrac ». De nouvelles lettres circulèrent sur les réseaux sociaux. L’État retint les services de Me Newton Saint-Juste, ancien camarade de combat de Me André Michel – avocat du peuple et fer de lance de l’opération peyi lòk. Me Saint-Juste annonça qu’il allait « forcer la Sogener de restituer à l’État une somme de 123 millions de dollars américains étalés sur plusieurs années« . L’État haïtien porta plainte et nous voilà en attente du 21 novembre.
Alors que le #PetroCaribeChallenge continue de s’effacer au profit de bifs au plus haut sommet du système, me revient à l’esprit, un autre bif qui a précédé d’une semaine la photo qui déclencha un mouvement.
Le 7 août 2018, tandis que « la société civile marchait contre la corruption« , se déroulait sur Twitter, un bif pour les âges. Le Petrobif arriva là où on ne l’attendait guère. Jusqu’ici, les tweetos étaient intéressés à un bif autrement plus sexy entre deux hommes autour des faveurs supposées d’une chanteuse de renom. Puis, sans prévenir, l’homme d’affaires Dimitri Vorbe invita deux proches du parti au pouvoir, Stanley Lucas et Cyrus Sibert, et l’ancien Premier Ministre Laurent Lamothe à participer au #PushupChallenge contre la drogue.
Un mois plus tôt, la nouvelle de la mort par overdose de Gunther Widmaier avait remis la question à l’ordre du jour, le Pushup challenge avait réussi à mobiliser des artistes mais les discussions sur Twitter semblaient surtout trouver curieux qu’il ait fallu la mort du fils du PDG de la radio Métropole pour que, finalement, l’on se mobilise contre la drogue. Le pushup challenge ne faisait guère recette … jusqu’à l’invitation de Monsieur Vorbe et la réponse plutôt inattendue de Monsieur Lucas:
Il y était question de groupe Blakawout, de pillages, de lutte pour la corruption et du dernier qui rira bien. Jusqu’ici, rien de bien surprenant pour Monsieur Lucas qui est difficilement le plus cohérent des twittos. C’est la réponse de Dimitri Vorbe qui débutera effectivement le #Petrobif. Il mettait le conseiller du président au défi de demander à Laurent Lamothe ce qu’il avait fait des fonds Petrocaribe ainsi que du fonds national de l’éducation et de l’argent de la diaspora qui y était affecté.
L’ancien Premier Ministre répondra directement à ce qu’il qualifiera d’audace sans nom. Comment celui qui avait reçu plus d’un milliard de dollars des fonds Petrocaribe – en vrai une partie des $612 161 711,62 affectés au financement des centrales électriques (possiblement la dette de $186 713 906,49 de la Sogener) selon le rapport d’audit spécifique de la Cour Supérieure des Comptes (2019: 29) – pouvait demander où se trouvait l’argent?
La réponse de l’industriel ne se fit pas attendre. Monsieur Lamothe ayant été Premier Ministre pendant trois ans, il n’aurait pas dû attendre aussi longtemps pour se plaindre du paiement de l’électricité. Il termina sur une référence à peine voilée aux Panama Papers.
Le #Petrobif était né! Les échanges continuèrent. Les révélations se multiplièrent – à propos, notamment d’un certain Rosny Desvarenne maître ès extorsion qui aurait eu l’habitude de venir réclamer de l’argent à la Sogener au nom de Laurent Lamothe – et Twitter érupta.
L’on s’extasia sur les montants:
L’on en salua la qualité:
L’on remercia les dieux de Twitter:
Un Haïtien du pays invita le gouvernement réputé engagé dans la lutte contre la corruption à prendre note et arrêter certains:
Une Haïtienne du pays invita à aller au-delà d’un énième bif qui, au final, ne nous apprenait rien de nouveau:
Le lendemain, un autre Haïtien du pays invita à une prise de conscience citoyenne:
Environ une semaine plus tard, le 13 août 2018, le Sénateur Patrice Dumont s’inquiéta du silence de la justice. Le 17 août 2018, le Sénat invita les protagonistes. Le 27 août 2018, la commission Ethique et Corruption du Sénat recevait Jean-Marie et Dimitri Vorbe pour qu’ils s’expliquent sur le #Petrobif.
Il fut question, entre autres, de la question de l’électricité, avec le Président de la Commission, Monsieur Youri Latortue, « annonçant que d’autres fournisseurs seront dans le viseur de la Commission sénatoriale ». Mais l’on n’en parla plus… jusqu’à ce qu’un président acculé y trouve la parfaite parade pour, possiblement, retourner la vague.