Alcibiade

Aristocrate beau, intelligent, riche et politiquement bien souché, Alcibiade est l’enfant terrible d’Athènes. Homme d’Etat, général et orateur, il est de toutes les fêtes, de tous les combats et de tous les camps, de tous les scandales aussi. Le poète et biographe Diogène Laërce – cité par Michel Foucault dans le deuxième volume de son Histoire de la sexualité (1985: p72) – résume: « lorsqu’il était jeune, il détournait les maris de leurs épouses, et lorsqu’il était plus âgé, il détournait les femmes de leurs maris ». La vie d’Alcibiade fascinait les Athéniens et il le leur rendit bien. Dans sa Vie d’Alcibiade (tirée de ses Vies des hommes illustres), Plutarque rapporte cette anecdote:

Alcibiade avait un chien d’une taille et d’une beauté étonnantes, qu’il avait payé soixante-dix mines. Il lui coupa la queue qui était magnifique. Comme ses amis le blâmaient, et lui rapportaient que tous se répandaient en critiques mordantes à propos de ce chien, Alcibiade éclata de rire : « C’est exactement ce que je souhaite. Je veux que les Athéniens parlent de cela ; ainsi, ils ne diront rien de pire sur moi. »

Il venait d’inventer, avant l’heure, les relations publiques. Bien avant Erostrate qui atteint à la postérité en mettant le feu au temple de la déesse d’Artemis. Bien avant l’Empereur dictateur Jules César envoyant ses rapports de guerre à l’Acta Diurna. Bien avant la Guerre des courants entre la Westinghouse et la General Electric. Le principe général est simple. Puisqu’on va parler de nous, autant décider du sujet des débats.

C’est le propre de la propagande – pris dans le sens primaire, non péjoratif, du terme – que de chercher à persuader – et non convaincre – le public d’adopter une opinion, une idée, ou une doctrine. La persuasion usant de l’émotion – et non de la raison – l’on s’attache à trouver un individu ou un groupe de personnes coupables de tous les maux – un Président corrompu ou des hommes d’affaires véreux par exemple – pour l’ériger en bouc émissaire à offrir à la vindicte populaire. Des gens sur qui personne ne va pleurer. Des queues de chiens à couper.

C’est l’essayiste anglais William Temple, qui, le premier, esquisse une théorie de l’opinion. Dans On the Original and Nature of Government (1972), il observe que:

lorsque des hommes en grand nombre soumettent leurs vies et leurs fortunes à la volonté d’un seul, ce peut être de cœur, mais ce doit être d’habitude, d’opinion, la seule vraie fondation de tout gouvernement.

(Traduction de l’auteure)

L’opinion du public étant la base du gouvernement, la propagande (in)forme l’opinion publique dans le sens de son maintien ou de son démantèlement. Elle y arrive en décidant des queues de chien à couper et jeter en pâture pour distraire d’autres sujets qui pourraient le fâcher. C’est ici que les symboles prennent toute leur importance. Les symboles entraînent des réflexes pavloviens qui court-circuitent la pensée claire et distincte. Les archétypes et les stéréotypes se relaient pour, tantôt inviter à changer le système, tantôt encourager à s’en prendre à un individu ou un groupe. Tous les moyens et procédés sont bons pour contrôler l’arrivée des informations à l’intellect, mobiliser instincts et pulsions jusqu’à rendre indistinguables l’intellectuel de l’émotionnel.

Ainsi va la fabrique de l’opinion, entre quête de représentations collectives et manipulation des esprits. Le vrai succès réside toutefois dans le long terme. Un discours aussi persuasif soit-il ne dure que peu de temps. Le bon propagandiste sait qu’il faut caresser le public dans le sens du poil. Se placer de son côté. Partir d’opinions courantes pour les canaliser dans le sens qu’on souhaite.

La parade ne réussit pas toujours toutefois. Alcibiade meurt, en exil, assassiné – les auteurs n’arrivent pas à s’entendre sur les meurtriers, trop de gens lui en voulaient – sur ordre du roi de Perse, par les frères d’une jeune fille de bonne famille par lui séduite, voire sur ordre du général spartiate, Lysandre. Les queues de chien ne suffisent pas.

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