Le Pasteur américain qui voulait devenir Président d’Haïti

Il arrive à votre blogueuse de donner des consultations payantes – en sus de ce blogue et ma présence sur les réseaux sociaux qui vous permettent d’avoir des consultations gratuites, de rien. Il faut bien qu’elle mange, qu’elle s’achète des chaussures et finance la fondation, Ayiti Nou Vle A et ses innombrables projets devant tous contribuer à Sauver Haïti. Aussi, par un beau jour de printemps, alors qu’elle habitait encore au pays de « Socrate », accepta-t-elle un voyage tout frais payé chez l’oncle Sam pour aller aider un client américain sérieux qui avait de grands rêves pour Haïti.

Ce n’était pas la première fois qu’on se parlait, ni se voyait, mais l’urgence de la requête était nouvelle. Alors, mi-curieuse, mi-intriguée, je fis mes adieux à Paris pour une semaine de recherches trépidantes. Il y avait tellement de mystère autour de la consultation qu’elle ne pouvait être qu’extraordinaire. Du reste, cela m’amusait qu’un Pasteur républicain d’une megachurch dans le Sud de l’Amérique aime autant écouter les conseils d’une athée ultralibérale vivant à Paris.

À mon arrivée, je compris vite pourquoi il fallait absolument que ce soit moi. Le Pasteur voulait devenir Président de la République d’Haïti et il lui fallait une marche à suivre. Après plusieurs décennies à travailler sur Haïti, il en était arrivé à la conclusion qu’il ne pourrait être vraiment efficace que dans un poste électif. Il avait comme un calling. Les missions évangéliques ne suffisaient plus. Dieu voulait lui confier la destinée de cette nation qu’il aimait tant.

Je commençai par essayer de lui faire comprendre la grande improbabilité de la chose – avec Dieu tout est possible (Marc 9:3) – laissant la porte ouverte pour une éventuelle candidature à une mairie quelconque. Je conseillai donc notre Pasteur sur:

  • les dispositions de la législation haïtienne quant à la candidature à un conseil municipal, incluant les exigences de citoyenneté
  • le processus d’acquisition de la citoyenneté haïtienne et les dispositions constitutionnelles quant à la double citoyenneté
  • les dispositions de la législation américaine quant à la double citoyenneté et l’impact éventuel de l’acquisition d’une nouvelle citoyenneté
  • les chances de succès d’une candidature d’un Blan
  • le poids politique des églises protestantes en Haïti
  • l’orientation à donner à une campagne éventuelle

Je me gardai d’évaluer le choix de Port-au-Prince ou les questions d’intention de vote – qui feraient l’objet d’une autre consultation si celle-ci ne détruisait pas complètement le projet du Pasteur comme l’aurait voulu la logique. Attendre dix ans pour acquérir la nationalité haïtienne pour devenir le maire d’une ville perdue quelque part en Haïti correspondait peu au profil d’un Pasteur d’une megachurch. J’avais bien ajouté, par conscience professionnelle, le cas du beau-père de feu Lady Di, Mohammed Al Fayed, qui obtint sa nationalité haïtienne en un temps record, mais les circonstances étaient suffisamment uniques et glauques pour qu’elles enterrent toute ambition du Pasteur.

Avant de devenir le propriétaire de l’un des plus prestigieux magasins au monde, Harrod’s, et le «beau-père» de « Princess Diana », Mohamed Abdel Moneim Ali Fayed n’était qu’un autre homme d’affaires arabe dans l’Haïti de François «Papa Doc» Duvalier dont il deviendra le bon ami avant de devenir Haïtien en novembre 1964, soit cinq mois après son arrivée à Port-au-Prince le 12 juin 1964. La chose est d’autant plus curieuse que c’était une arrivée remarquée. Le Nouvelliste du lendemain annonça l’arrivée d’un cheik bien souché envisageant d’établir de nouvelles entreprises en Haïti.

« Un éminent koweitien à Port-au-Prince », Le Nouvelliste, 13 juin 1964

Dans Le Moniteur du 5 novembre 1964, le dictateur promulga un décret déclarant que Monsieur Fayed avait bien rempli l’exigence de 10 ans et pouvait donc être naturalisé haïtien. Dans une lettre confidentielle à Washington, l’ambassadeur américain Benson E. Timmons III a noté que la citoyenneté instantanée de Fayed avait provoqué un scandale et ce qui dans l’Haïti de Papa Doc étaient des protestations bien téméraires. Deux juges refusèrent de participer à la mascarade mais un troisième finit par comprendre où était son intérêt bien compris.

Two judges successively refused to be a party to the naturalization proceedings on grounds of their blatant illegality but a third judge saw the light after feeling the heat.

Benson Ellison Lane Timmons III, cité dans THE CONMAN, THE DICTATOR, & THE CIA FILES, Daily Telegraph Magazine, 20 juin 1998.

Monsieur Fayed reçut en prime le passeport diplomatique 1067 pour faciliter ses voyages de représentation où il s’attelait à nous trouver des exploitants de pétrole – ayant déjà obtenu le contrôle de l’autorité portuaire nationale… où il finira par subtiliser quelques malheureux centaines de milliers de dollars, ce qui achèvera de le fâcher avec son ami dictateur et lui vaudra d’être déclaré persona non grata. Mais revenons à notre Pasteur.

Il trouva un autre consultant, révérend pasteur avocat médecin, qui l’assura de pouvoir lancer la campagne par une première rencontre au Champ de Mars avec au moins 30 000 personnes. Le bon Pasteur s’en remit à lui, avança pas loin d’une centaine de milliers de dollars et fut récompensé d’une petite réunion sur la place publique avec moins d’une centaine de personnes.

Le Pasteur rentra chez lui dépité, dégouté et tous ces autres mots pour dire fâché contre lui-même. Cela lui prit deux ans pour me raconter l’histoire et en rire. J’étais au courant. Il savait que j’étais au courant mais il s’en voulait encore trop pour en parler.

Il est des consultants dont la spécialité est de dire au client ce qu’ils veulent entendre. Voilà pourquoi je refuse de dédouaner aussi aisément que d’autres ceux de nos politiques. Nombre de nos législateurs écoutent conseillers et consultants leur sortir des bêtises à longueur de journée. Extrêmement conscients de leurs limites intellectuelles, ils n’osent pas remettre en question le « savoir » des maîtres… et s’en vont, en assemblée et dans les médias, (mal) répéter la leçon.

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