Une fois n’est pas coutume, c’est aux remarques relatives à une publication sur la page Facebook de ce blog que je réagis. J’y expliquais que non seulement être noir.e et chrétien.ne « collait pas » – pour reprendre l’expression heureuse de la chanteuse Tafa – être femme et chrétienne était tout aussi bizarre mais surtout que les gens, ayant la loi de leur bouche et de leur cerveau, ils avaient parfaitement le droit d’être bizarres tout comme d’autres avaient le droit de les trouver bizarres. C’est cela la liberté que nos ancêtres anciennement asservis se sont faits forts de nous donner pour que nous en profitions, en étant aussi bizarres qu’il nous plaît, si tel est notre désir.
Cette ode à la différence semble être le comble de l’hypocrisie pour certains d’entre vous, même si ce blog s’est toujours réclamé du fuchsia, c’est-à-dire de la bizarrerie, de l’étrange, du singulier. Pour une raison que j’ignore, des lecteurs de longue date semblent penser que ma remarque tiendrait à un rejet de l’Occident et de ses valeurs, incluant apparemment le féminisme et le respect des droits des personnes LGBTQ+. Des valeurs que je me devrais de rejeter pour être cohérente avec ma posture sur le vodou.
Je dois sans doute rappeler ici que, athée apathique de mon état, le vodou et toute autre religion (et j’inclus ici les différentes vagues de spiritualité New age) me laissent parfaitement indifférente. Je suis foncièrement libertaire. Dans le sens originel, déjacquien du terme. Tant que tu n’empiètes pas sur la liberté des autres, sois. Autorise- toi à être. Do you. Fly your freak flag. Si la religion, c’est ton trip, lâche-toi. Si ce n’est pas ta scène, ignore-la. Tant que personne n’impose sa vision du monde. Tant que les droits fondamentaux de tous.tes sont respectés. Tant que chacun.e est libre d’être.
Cette liberté est celle d’une femme haïtienne noire de décider (ou pas) d’être chrétienne même si, logiquement, tout cela « ne colle pas ».
Une femme chrétienne ne colle pas parce que la Bible sait être péniblement misogyne et d’une gynophobie hilarante. Un.e noir.e chrétien.ne ne colle pas parce que la Bible sait être extraordinairement raciste et colonialiste. Un.e haïtien.ne chrétien.ne ne colle pas parce que la Bible sait être résolument esclavagiste et Haïti est la terre de la liberté (et non les États-Unis d’Amérique, n’en déplaise à leur hymne national – pour les braves, nous sommes disposés à discuter).
Je ne prendrai pas le temps de démontrer ces caractéristiques plutôt évidentes – ce n’est pas le but de ce billet – encore que, si vous y tenez, je pourrais écrire une série dessus – ce pourrait être notre petite étude biblique du dimanche. Tiens, cela ferait un excellent podcast, auquel cas, il me faudrait un.e co-hôte. Si cela intéresse quelqu’un, vous savez comment me trouver. Mais, revenons au droit de chacun.e à la bizarrerie.
J’aimerais vous inviter à la (re) découverte de l’un des mes philosophes préférés, Søren Kierkegaard. Homme, Blanc, Chrétien, opposé à l’existentialisme athée de Jean-Paul Sartre (qu’il a précédé). Admiré par une Femme, Noire, Athée, nourrie de Sartre depuis l’âge de 8 ans.
Lorsque, âgée de 10 ans, j’essayais de donner un sens à ma récente découverte que, hormis le petit Jésus, que je trouvais et continue de trouver a-do-rable, je ne croyais pas du tout – mais alors pas du tout – en Dieu, les adultes dans ma vie – ma mère catholique, mon école catholique, toute ma culture catholique – n’ont pas su comprendre ce que voulait mon questionnement. Je n’étais pas intéressée à savoir si Dieu existait, je voulais comprendre en quoi c’était utile d’y croire ou, mieux encore, en quoi cela m’aurait même concerné qu’il existe. Je suis libertaire. Les dieux sont libres d’exister s’ils le désirent. Je ne voyais juste pas pourquoi je devais m’en soucier.
Ce n’est qu’à vingt ans que j’ai découvert pourquoi, si je le voulais, j’aurais pu. Il m’a fallu dix ans pour que, au détour d’un livre, dans le cadre d’une recherche pour un cours sur la sociologie des religions, je découvre Kierkegaard. Il avait eu des questionnements similaires aux miens. Il en avait déduit que rien de tout cela n’était logique et que, argumentaire crucial, c’est parce que justement rien de tout cela n’était logique qu’il y croyait.
L’absurde, je connaissais. J’adorais même. Depuis 8 ans. Depuis La Nausée. Puis Nana. Puis L’Étranger. Puis tout Dostoïevski. Intercalés entre les histoires de détective de la Bibliothèque verte et les aventures spatiales de Fleuve noir. Au secondaire, mes lectures se sont faites plus classiques, l’école aidant. Mes auteurs sont devenus plus convenus. Mais je restais fascinée par l’absurde. En pleine recherche du temps perdu avec Poil de carotte, Manon Lescaut, Paul et Virginie, j’attendais Godot avec la cantatrice chauve dans le désert des Tartares. Kierkegaard m’a sortie de l’attente vaine d’une réponse à un questionnement qui, ayant cessé de m’intéresser, revenait pourtant sans cesse. Ou plutôt il m’y a replongé de la plus absurde façon. Patricia, me dit-il, au final, on s’en fiche que tu t’en fiches, tout cela c’est entre toi et Dieu si tant est que Lui ne s’en fiche pas, auquel cas Il viendra Lui-même à toi. Comme un grand.
Kierkegaard est connu pour ses trois sphères de l’existence : l’esthétique, l’éthique, le religieux. Trois étapes du chemin de la vie où l’on se concentre sur soi, ses valeurs, Dieu. Cette invitation à vivre la vie qu’on a le plus profondément possible est attirante mais ce n’est pas là mon Kierkegaard. Kierkegaard était dans le désespoir de son isolation des autres et surtout de Dieu qu’il liait au péché. Je suis une introvertie insociable militante convaincue. Je n’ai pas peur de l’absurde. Au contraire, je me réjouis de la liberté (même illusoire) qu’il me permet. Non, mon Kierkegaard est celui qui envoie valser Hegel et ses certitudes rationnelles intenables. Mon Kierkegaard est celui dont la foi est à la fois défiance (envers la raison) et confiance (en Dieu). Mon Kierkegaard est cet homme transhistorique consumé par l’angoisse de la recherche de sa relation avec lui-même. Il est merveilleusement absurde mon Kierkegaard. Il s’affranchit du sens par un acte de foi.
Croire en Dieu parce qu’on y croit. Tout simplement. Sans autres motifs. Se donner à Dieu. Totalement. Sans conditions.
La foi de Kierkegaard ne s’accommode guère de l’objectif. Au contraire, elle s’y oppose. L’objectif est en dehors de nous. Nous est superficiel. La foi est intime. Profonde. Éminemment subjective.
La question qui est posée ici n’est donc pas celle de la vérité du christianisme en ce sens que si elle était résolue, la subjectivité l’adopterait volontiers et vite. Non, la question est de savoir si le sujet l’accepte.
Kierkegaard, « Devenir subjectif » in Post-scriptum aux Miettes philosophiques, Deuxième section, chapitre premier.
J’ai foi en Haïti. Je crois qu’elle trouvera sa voie. C’est absurde. Mais la question n’est pas celle de la vérité d’une Haïti de la dignité mais de savoir si je l’accepte. Je l’accepte.





Répondre à La couleur de Jésus – La loi de ma bouche Annuler la réponse.