Ariel Henry appelle à l’aide

Le 11 juillet 2021, quatre jours après l’assassinat du Président Jovenel Moïse, le gouvernement haïtien dirigé par le premier ministre par intérim, Claude Joseph, demande aux États-Unis et à l’Organisation des Nations-Unies une aide militaire pour stabiliser le pays en vue des élections. Ils lui répondirent en le virant de la Primature pour y placer Ariel Henry. Hier soir, dans la nuit, alors qu’une foule en liesse célébrait la rumeur de sa démission, le Dr Henry et son cabinet ont décidé, à leur tour de soumettre formellement à la communauté internationale une demande d’assistance militaire.

L’appel à l’aide part aujourd’hui. À l’ONU, elle rencontrera le scepticisme de la Chine et de la Russie; à l’OÉA, elle fera la joie du Secrétaire Général Luis Almagro; aux États-Unis, elle se heurtera à l’ennui profond qu’évoque Haïti chez l’administration Biden-Harris.

Nous sommes bien loin de 1915 où un Woodrow Wilson, raciste idéaliste, enverra des troupes américaines prévenir l’anarchie en Haïti suite à l’assassinat du président Vilbrun Guillaume Sam. Le 18 février de la même année, dans la salle Est de la Maison Blanche, il avait assisté, conquis, en compagnie de ses filles et de membres de son cabinet, à une projection en avant-première de The Birth of Nation, un film faisant l’apologie du Ku Klux Klan en présentant les Noirs comme des sauvages, des paresseux, se vautrant dans la luxure et cherchant à subjuguer des Blancs qui leur étaient en tout point supérieurs – et, accessoirement, violer des femmes blanches.

Le film, le tout premier blockbuster américain, était une adaptation de l’oeuvre de Thomas Dixon Jr, raciste professionnel, ami et ancien camarade d’université du Président Wilson avec qui il partageait les mêmes idées sur le danger que représentaient les Noirs pour l’Union. De voir une foule de sauvages noirs entrer à l’ambassade de France pour en tirer leur président et le lyncher devait conforter le président américain dans sa conviction « scientifique » quant aux vertus de la ségrégation raciale. Certes, il existait une crainte réelle que le Dr Rosalvo Bobo ne prenne le pouvoir, mette fin à la politique douanière made in America du Président Guillaume Sam et nuise aux intérêts économiques américains. La chance de mater une révolution de Noirs n’a pas dû déplaire. Le lendemain même de l’assassinat, le 28 juillet 1915, les Américains débarquaient en Haïti pour n’en repartir qu’en 1934.

En 2022, la situation est bien différente. Le président américain est un libéral pour qui l’existence ou non d’Haïti n’a aucun impact sur son pays. Coupable du plus grand des crimes dans un monde capitaliste – l’extrême-pauvreté – Haïti n’intéresse guère. Le pays le plus pauvre de l’Amérique est en situation de crise permanente; c’est dans l’ordre des choses. Qu’il s’enfonce dans la mer des Caraïbes ou en émerge; le monde continuerait de tourner. Que son président soit assassiné, son peuple affamé, son territoire fragmenté … cela n’a guère d’importance.

Pour sauver les apparences, le FBI est dépêché sur place. Puis, rien. Ou, plutôt, une enquête ordonnée par le Congrès et des efforts pour cacher des liens entre le FBI, la DAÉ et les suspects. De temps à autre, quelques tweets sont offerts: pour nous doter d’un premier ministre, pour nous assurer du soutien de l’Oncle, pour nous rappeler qu’il est là même s’il ne fait rien. C’est à cette administration qu’Ariel Henry demande de l’aide. À moins que l’Ambassade américaine elle-même ne lui ait suggéré d’en faire la demande, cet appel tombera dans l’oreille de sourds.

Bien sûr, apparences obligent, cette demande est adressée à la communauté internationale mais la communauté internationale chez nous, ce sont les États-Unis d’Amérique; les autres – qu’ils soient membres du Core Group ou pas – font surtout de la figuration. Si le Dr Henry agit à la demande des États-Unis, une intervention étrangère ne devrait pas tarder. Le premier réflexe est celui de l’opération de maintien de la paix (par l’Onu) mais il faudra obtenir que la Chine et la Russie soient d’accord ou à tout le moins ne s’y oppose pas. Une option plus plausible est celle offerte par le Global Fragility Act (loi sur la fragilité mondiale) de 2019. Par cette loi, signée le 20 décembre par le président américain Donald Trump, les États-Unis d’Amérique se sont offerts les moyens d’intervenir dans les États fragiles afin de protéger le monde libre des « États sujets aux conflits qui peuvent être des vecteurs d’extrémisme violent, de migrations incontrôlées et d’extrême pauvreté »; des États comme Haïti donc.

Au mois d’avril 2022, sans fanfare ni trompette, l’administration Biden-Harris a publié une nouvelle politique visant à « interrompre les voies potentielles de conflit … et réduire les menaces avant qu’elles n’arrivent sur [les] côtes [américaines] ». Dans cette Lettre du président sur la mise en oeuvre du Global Fragility Act, l’administration annonce une stratégie américaine de prévention des conflits et de promotion de la stabilité s’étendant sur 10 ans; un « effort pour renforcer la sécurité et la prospérité des peuples du monde entier en aidant à renforcer les bases des parties du monde qui continuent de faire face à des défis pouvant conduire à des conflits déstabilisants et à la violence ».

L’exemple mis en avant est celui de l’Ukraine qui, depuis son invasion par la Russie en février 2022, bénéficie de milliards de dollars d’aide militaire américaine. En comparaison, Haïti n’a qu’une promesse de 3 millions de dollars pour son fonds pour le renforcement de la sécurité. Toutefois, il est fort possible que nous soyons assez déstabilisants pour que les États-Unis reviennent en Haïti protéger, à défaut d’intérêts économiques clairement définis, des intérêts sécuritaires se résumant généralement à nous garder chez nous.

Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :