Les États-Unis d’Amérique sont le premier pays au monde à criminaliser la quête de liberté. Certes, la France avait marqué l’histoire en codifiant sa chosification de l’humain « Noir », mais avec le Fugitive Slave Act, c’est le fait même pour le Noir d’être libre que 31ème Congrès américain condamne.
Avec la loi sur les esclaves fugitifs, le législateur américain consacre le droit du propriétaire d’esclave à récupérer son bien, par tous les moyens possibles, et met à sa disposition des commissaires fédéraux chargés d’arrêter la marchandise et la renvoyer chez elle, sur simple déclaration de son « propriétaire », sans témoignage, ni procès. Les citoyens qui se mettaient en tête d’aider les fuyards étaient condamnés à une amende ou à la prison et les Noirs libres arrêtés à tort en prenaient pour leur compte – ils n’avaient qu’à pas être Noirs et libres dans le Sud.
Dans le pays de la poursuite du bonheur, être Noir et libre faisait désordre. Le médecin américain Samuel A. Cartwright ira même jusqu’à le pathologiser: la drapétomanie, l’envie irrésistible (mania) qu’a l’esclave de s’enfuir (drapetes). Il était alors recommandé, pour prévenir cette maladie mentale, de fouetter, dans le goût de Jésus, l’esclave boudeur et mécontent « sans motif ». C’est à cette Amérique que j’ai pensé quand j’ai vu la vidéo des agents montés de la patrouille frontalière « dissuadant » des Haïtiens de dépasser le Del Rio.
Del Rio se trouve au Texas. Le même Texas qui est actuellement en guerre contre les masques et les vaccins, contre le permis de port d’armes et contre l’avortement. C’est donc dans ce bastion conservateur que se joue l’avenir de milliers d’Haïtiens qui, pour la plupart, ont laissé leur pays il y a plusieurs années et ont marché du Brésil ou du Chili jusqu’à la frontière mexicaine pour se faire ramener chez eux, en avion, sans autre forme de procès.
Ils s’y sont pourtant rendus parce que la rumeur voulait que ce soit leur meilleure chance d’obtenir l’asile aux États-Unis d’Amérique. Certes, le président puis la vice-présidente américains s’étaient relayés pour leur dire que ce n’était pas la peine de venir. Mais, il s’agissait de Démocrates – réputés moins anti-immigration – qui venaient tout juste d' »ouvrir les vannes » du statut de protection temporaire (TPS) pour les Haïtiens. Les Haïtiens sont donc partis rejoindre la terre promise d’Obama et sont tombés sur l’interdiction d’entrer de son ancien vice-président.
Le moment est mal choisi. Joseph Robinette Biden fait face, depuis le début de son mandat, à des accusations de favoriser l’immigration clandestine. C’est faux mais c’est le lot des présidents démocrates, y compris Barack Obama qui s’est pourtant donné le mal d’expulser plus de migrants que son prédécesseur et tous les présidents du 20ème siècle combinés. Le Président Biden – en négociations difficiles pour faire passer son plan d’infrastructures au Congrès – ne va pas risquer de se faire taxer de pro-illégaux pour respecter l’humanité et la dignité des Haïtiens.
Le moment ne serait jamais bien choisi toutefois. C’est simple: ailleurs, on ne veut pas de nous. Les États-Unis d’Amérique qui, pour semer la démocratie partout, ne refusent pas moins d’en récolter les migrants; mais aussi, la République Dominicaine, les Bahamas, le Chili … qui revoient régulièrement leurs politiques d’immigration pour limiter le flux d’Haïtiens leur arrivant et rapatrient les nôtres à tours de bras.
C’est l’intérêt premier de la communauté internationale en Haïti: nous garder chez nous. Lorsque les Nations-Unies décrètent que nous sommes un danger pour la région c’est en terme de risques d’émigration. Le danger est de nous voir promener notre misère partout, aussi s’efforce-t-on de nous contenir chez nous. Toutefois, notre manie de vouloir une vie meilleure, nous fait chercher à nous enfuir par milliers mais des commissaires américains, bahaméens, brésiliens, chiliens, dominicains … ont vite fait de nous ramener à la réalité.