L’aéroport international de Port-au-Prince prend de l’eau. Des photos de l’aéroport inondé jusque dans le salon diplomatique circulent. Sur Facebook, WhatsApp, Twitter, des Haïtiens et des Haïtiennes du pays lamentent le fait que, après les inondations aux Cayes, à Chardonnières, Martissant, Carrefour et autres communes du Grand Sud et de la zone métropolitaine, celle de l’aéroport Toussaint Louverture, notre principale ouverture sur le monde, achève de nous mettre à nu.

Cet aéroport a pourtant été présenté comme le grand succès de la précédente administration rose grâce, notamment,  à une rénovation à quelques dizaines de millions – les estimations varient – une publicité monstre et des photos #experienceIt vantant les mérites des nouveaux comptoirs, des belles affiches et du bel accueil folklorique, réservé aux visiteurs. Ce dernier me ramenant à l’esprit certaines images du règne des Duvalier, du temps des Haïti, Vive la Différence!, je confiai à quelques gens de ma connaissance tout fiers de ces changements que cela me semblait, un peu, faire dans le stéréotype facile et le maquillage factice et pas si habile de la réalité. Je questionnai la qualité du travail, les garanties offertes. Je fis part de mes doutes quant au respect des principes de passation de marché. Bref, j’étais sceptique.

Je ne tenais pas encore ce blogue, et n’eus donc pas le bonheur d’être traitée d’aigrie, mais j’ai eu droit au moins acerbe « il faut toujours que tu critiques tout« . C’était à l’époque d’un Premier Ministre qui savait se vendre et d’une Ministre du Tourisme tout aussi douée dans cet art. C’était l’époque où un Président-chanteur s’épuisait en inaugurations – de la cafétéria de la télévision nationale à la rénovation des terminaux de l’aéroport – alors que le pays se couvrait des tôles bleues et rouges d’Haïti en Chantier. À la télévision, dans nos rues, de belles affiches et de superbes montages vidéo présentent l’Haïti de demain. Nous sommes séduits. Haïti va décoller et les mal parlant sont priés de laisser marcher le pays.

C’est l’après-Goudougoudou. Les milliards de dollars promis – quoiqu’ultimement non délivrés – par la communauté internationale font rêver. Les deux millards de dollars de PetroCaribe aussi. L’argent coule à flots. Des hôtels de luxe sont construits. Le business de l’humanitaire est florissant. Celui des logements de luxe, des restaurants et des boîtes de nuit, aussi, par ricochet. C’est aussi l’arrivée en masse des touristes humanitaires dans cette république des ONGs qui nous servait encore de pays. L’on fit mieux. On annonça à grands cris qu’Haïti était open for business. On dépensa sans compter. On fit la Festa. La gourde continua sa chute vertigineuse. L’industrie humanitaire s’en alla vers d’autres cieux plus vendablesNos élections s’ajoutèrent à la débâcle. Matthew aussi. L’argent n’arrivant pas, les humanitaires restèrent chez eux et nous dûmes nous en remettre au Carnaval pour relever le Grand Sud.

Hier, alors que nous déplorions l’inefficacité de nos autorités à prévoir et limiter les conséquences de catastrophes socio-naturelles aussi mineures qu’une pluie d’une vingtaine de minutes, des yeux secs™ s’empressèrent d’insulter ceux et celles qu’ils perçoivent comme des traîtres à la Patrie. Qu’ils sont bêtes de se plaindre et de partager ces photos! A-t-on idée de faire circuler de telles images?  Que vont en penser les Blancs?

C’est un curieux travers que cette manie de se soucier du Blanc et de ce qu’il va dire, penser ou faire lorsque nous devons discuter de notre pays. De toute façon, nous savons déjà ce qu’il en pense: que nous sommes des enfants turbulents qu’il faut maintenir à distance. C’était d’ailleurs le but premier de la MINUSTAH.  Le 14 octobre 2006, en marge de la Conférence des Amériques, Johanna Mendelson, alors conseillère du chef civil de la MINUSTAH, accusait, sans ambages, l’instabilité haïtienne, d’avoir « déjà entraîné un flux croissant de réfugiés économiques qui tentent d’échapper à la misère et à la violence et ont occasionné la propagation du VIH/SIDA à la frontière » haïtiano-dominicaine. Le Blanc pense donc qu’il faut nous contenir sur ce territoire, nous maintenir céans. Même l’ambassade de Suisse – qui a la distinction non négligeable de se tenir à l’écart de nos parents du Core group – est peu tendre à notre égard dans ses conseils aux voyageurs:

Il est déconseillé de se rendre à Haïti pour des voyages touristiques ou autres qui ne présentent pas un caractère d’urgence, y compris les voyages humanitaires individuels sans avoir un contact sur place.

Les institutions publiques sont déficientes. La situation sécuritaire est précaire et imprévisible, le nombre de crimes violents est élevé. Les tensions politiques et sociales peuvent à tout moment donner lieu à des manifestations violentes.

Suivent des exemples, les uns plus effrayants que les autres, d’étrangers victimes de violence, et des estimations non chiffrées sur les risques inhérents à tout voyage en Haïti. Un tour sur les sites Internet des autres ambassades n’est pas plus encourageant. La France titre Criminalité, délinquance et troubles à l’ordre public. Le Canada invite à faire preuve d’une grande prudence « en raison du taux de criminalité élevé en différents endroits du pays ainsi que des tensions politiques persistantes ». Les États-Unis d’Amérique, eux, maintiennent un avertissement contre toute visite dans la péninsule Sud.  Quelque chose me dit que cacher les photos de l’aéroport inondé – ce qui est impossible de toute façon, nos rares visiteurs s’étant retrouvés les pieds dans l’eau et ayant déjà partagé les photos de la belle aventure avec les leurs – quelque chose me dit que d’escamoter ces images n’y changerait rien.

Le problème est toutefois ailleurs. Même si, par un extraordinaire miracle – la tautologie est voulue – quelque visiteur potentiel aurait décidé de ne plus venir en Haïti parce qu’il aurait vu notre aéroport sous les eaux, la chose n’aurait aucune importance. Nous n’avons besoin du feu vert de qui que ce soit – y compris le Président de la République – pour discuter des affaires de notre pays. Ce blogue a pris naissance parce que je tenais à le rappeler. Nous avons le droit de parler d’Haïti, quand, comment et avec qui nous voulons. Même dans cette farce démocratique qu’est notre régime actuel, nous gardons la loi de notre bouche. Elle est, avec la liberté d’association, l’un de nos plus précieux acquis de l’après-1986. Ce qui serait bête, c’est de ne pas en faire usage pour dénoncer la corruption, la gabegie et l’impéritie absolue d’une kakistocrassie qui pue autant qu’elle tue. Et ce qu’en pensent le Blanc, les pitres, les suceurs et les yeux secs™, eh bien, on s’en balance!

8 réponses à « Que vont en penser les Blancs ? Mais on s’en fout! »

  1. Totalement en accord, ce qu’en pensent les blancs, beurre, blancs toastés, on s’en balance! 🙂

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  2. […] La chose n’est pas nouvelle. Leslie Manigat, pendant sa courte présidence de « premier président constitutionnellement élu après 1986 » et Claudette Werleigh, notre première femme Premier Ministre, ont dans leur temps, essayé de mettre fin à, ou à tout le moins limiter, le désordre aux allures apodictiques qui règne dans la gestion des biens de l’État. Ils eurent le succès que l’on sait. La nouvelle administration a adopté une nouvelle approche. Là où, avant, une circulaire aurait suffi, un arrêté présidentiel est jugé nécessaire. Pourquoi, en effet, se soucier des lois, procédure, service dédié ou même du Manuel de Procédures administratives et comptables pour la gestion et la comptabilisation des Immobilisations Corporelles quand le Président peut parler point barre. Les effets d’annonce, c’est connu, c’est bien plus efficace. […]

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  3. […] l’un de nous, Haïtien et être humain, pour que nous embrassions sa cause ? Ou allons-nous, de peur de faire peur au Blanc, continuer de faire semblant de ne pas voir et exiger de  Ti Mako que, comme le lui demande sa […]

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  4. […] Ce n’est donc pas le réflexe qui dérange, c’est plutôt la suite que nous lui donnons. Nous oublions les autres. Délibérément. Et de la plus suffisante façon. Au problème collectif de l’insécurité, nous opposons nos murs de forteresse et nos agents de sécurité privée. Au problème collectif du blakawout, nous opposons notre arsenal de génératrices, d’inverters, de batteries et de panneaux solaires. Au problème collectif de l’accès à l’eau potable, nous opposons nos châteaux d’eau, nos camions d’eau et nos réservoirs. Puis, nous proclamons notre Haïti différente et prions le reste d’arrêter de nous embarrasser devant le Blanc. […]

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  5. […] nous jugeaient sur ce qui serait notre promptitude à « dénigrer » le pays sans tenir compte de ce  qu’en penserait le Blanc et qui, un an plus tôt s’en prenait aux malheureux de Labadie partis en mer promener leur […]

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  6. […] logique se tient. Pour ceux dont l’Haïti est différente, ceux qui s’inquiètent de ce que pourrait penser le Blancquand ce filtre n’est plus maintenu, ceux qui veulent voir les aigris maigrir … que la […]

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  7. Avatar de Wilgens Marseille
    Wilgens Marseille

    Je comprend bien!!! Mes droits doivent être respecter,
    Les haïtiens aiment quemander trop, le voilà la projection de nos veux images nous fait paraitre laide et aussi causé une deficience pour l’économie haïtienne…
    En verité si vous gardez vos forces envers la malecité de la vie haitienne. Si
    Gardez vos secrets vous serez toujours fort comme Nation…
    Si vous voulez essayer de retraced l’histoire de Ghana!!!

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